Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, n’en a jamais eu mystère : il n’entend guère se contenter des prérogatives que lui accorde la Constitution du 14 janvier 2014 et veut s’approprier une grande partie de celles exercées par l’autre tête de l’exécutif, le chef du gouvernement, Youssef Chahed en l’occurrence.

De ce fait, sa décision récente de créer des commissions au sein du Conseil de Sécurité Nationale, interprétée par beaucoup comme une concrétisation de cette volonté de «présidentialiser» le régime, n’a guère étonné.

Par contre, ce qui a un peu surpris c’est que le chef du gouvernement, qui jusqu’ici insistait sur la très bonne, voire parfaite entente avec le chef de l’Etat, prenne une initiative qui a été décryptée comme une réaction à celle du président de la République. D’où la résurgence des spéculations sur une guerre que se livreraient les deux parties en coulisse. Et on doit à la vérité de dire qu’il y a de quoi les alimenter, puisque le chef du gouvernement, en tant que personne, ne figure pas dans la nouvelle architecture tissée autour du Conseil de Sécurité Nationale (CSN).

Certes, il est membre du CSN, mais d’aucune des treize nouvelles commissions créées. Et Quand il fait référence à La Kasbah, le texte créant ces commissions parle de «La présidence du gouvernement». De plus, celle-ci n’est membre que de deux commissions (Sécurité économique et financière et Sécurité de l’Energie et des ressources), plus une troisième où c’est le secrétariat général du gouvernement qui représente La Kasbah (Sécurisation de la vie politique et de la vie publique).

De ce fait, on est fondé à se demander si Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed sont encore en aussi bonne entente que ce dernier le proclamait encore jusqu’à récemment. On peut au moins en douter. Certes, aucune des deux têtes de l’exécutif n’affirme encore ouvertement le contraire. Toutefois, s’il n’a pas évoqué –pas encore?- en public la décision du chef de l’Etat de créer treize commissions permanentes, ce qui a poussé certains à l’assimiler à un véritable «Shadow cabinet» -un gouvernement de l’ombre- destiné à retirer au chef du gouvernement l’essentiel des prérogatives que lui accorde la Constitution, Youssef Chahed semble avoir choisi d’y réagir par des actes.

En effet, on ne peut pas interpréter autrement la décision du locataire de La Kasbah de créer, lui aussi, comme l’ont récemment révélé les quotidiens Le Maghreb et Assabah, de nouvelles … commissions au sein de la présidence du gouvernement. Cette décision a été concrétisée par deux circulaires qu’il a récemment adressées aux membres de son gouvernement.

En novembre dernier, le gouvernement a mis sur pied des commissions techniques chargées des grandes réformes (fonction publique, caisses sociales, banques, entreprises publiques, etc.) au sein desquelles siègent des représentants du gouvernement, de l’UTICA, de l’UGTT, et des partis politiques.

En décembre, ce sont trois nouvelles commissions (économique, sociale et législative) qui ont vu le jour afin de suivre les décisions et les projets qui n’ont pas été concrétisés, et dont le travail fait l’objet d’une évaluation à chaque réunion ministérielle. Les débats et décisions de ces commissions, qui se réunissent tous les lundis, feront également l’objet chaque mercredi d’un exposé présenté par un ministre. Un dispositif dont la mission, telle que présentée officiellement, consiste à anticiper les crises en essayant d’y apporter des solutions pour les explosions sociales à répétition. Mais on ne peut pas exclure que l’objectif –inavoué- de la manœuvre soit de contrer l’initiative présidentielle en occupant les ministres pour ne pas laisser le temps à la «machine» de Carthage (voir «Le nouveau dispositif du Conseil de Sécurité Nationale») de les aspirer.

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En réalité, la Décision du président de la République, président du Conseil de Sécurité Nationale, datant du 30 octobre 2017, et concernant la formation de commissions permanentes au sein du Conseil de Sécurité Nationale, ne crée pas une nouvelle réalité politique. Elle la consacre, puisque la pratique, c’est-à-dire l’extension des prérogatives du chef de l’Etat au-delà des limites de celles que lui accorde la Constitution, a précédé le texte qui est venu leur apporter un habillage juridique.

En effet, le Conseil de Sécurité Nationale a planché lors d’une réunion tenue le 8 mai 2017 –c’est-à-dire cinq mois avant la promulgation de la Décision du président portant création des 13 commissions tout le champ relevant du gouvernement-, certes sur la situation sécuritaire du pays, mais également sur «les moyens d’assurer la réussite de la saison touristique estivale, et le bon déroulement du mois de ramadan ainsi que celui des examens scolaires et universitaires de fin d’année».

MM