A l’origine, journaliste avant de devenir réalisateur et acteur, Tahar Houchi est le fondateur et directeur artistique du Festival international du film oriental de Genève (FIFOG), un jeune festival qui fête déjà ses 13 ans d’existence.

Dans une interview accordée à la TAP, à l’occasion de la tenue de la 13e édition (du 21 au 29 avril 2018), cet Algéro-suisse,  qui a quitté la Kabylie il y a 20 ans, explique l’ascension du FIFOG au fil des ans.

Pour un citoyen d’origine maghrébine et un festival à thématique, celui du film oriental, qui ne concerne pas systématiquement le cinéphile suisse, qu’elle serait la recette de réussite pour organiser un festival de film?

Tahar Houchi: C’est simple, dans une société réglée à la montre, il faut d’abord intégrer ses règles et mode de pensée, inviter des professionnels qui répondent à ses attentes lors des débats et surtout respecter les horaires de projection.

Cette rigueur me vient aussi de mon background algérien de quelqu’un ayant grandi à la montagne où tout est à anticiper et à prévoir en optant pour une rationalisation et une bonne gestion de la vie, ce qui a quelque part facilité mon adaptation en Suisse.

Côté dépenses, les détails sur le budget du FIFOG sont disponibles sur internet, car tout citoyen peut demander d’accéder à ce genre d’informations.

De quelque 80 spectateurs à la première édition, le festival est passé à 10.000 lors de l’édition 2017. Cette année l’on prévoit 12.000 spectateurs, avec des chiffres qui évoluent, car il y a eu des projections sur plusieurs endroits et des programmes dans les écoles, et pour des détenu(e)s et des réfugiés, manière de les aider à s’intégrer et à ne pas trop se dépayser.

Plus le festival gagne en notoriété et en nombre de spectateurs, plus les dépenses et les moyens sont importants, ce qui pousse à trouver un équilibre permettant d’avancer doucement et patiemment.

Un constat concerne aussi la date de la tenue du Festival qui a coïncidé avec le beau temps ce qui encourage les gens à sortir beaucoup plus qu’à fréquenter les salles obscures.

Proportionnellement au nombre d’habitants estimé à 300 mille dans tout le Canton suisse, le nombre de spectateurs par film s’avère énorme par rapport à d’autres villes plus peuplées où se tiennent des festivals de cinéma. De là, la mesure du succès demeure relative.

Côté programmation, comment se font les préparatifs du festival?

Le choix des films est fait sur toute la période de l’année, à travers une présence dans des festivals de films dans le monde entier ou des œuvres proposées par les professionnels eux mêmes (producteurs, réalisateurs et distributeurs) sur la plateforme Web du FIFOG ou recommandés par un réseau d’intervenants dans le cinéma.

Aussitôt le festival fini, l’équipe se met à travailler sur l’édition qui suivra en traçant les grandes lignes et objectifs dont certains sont abandonnés d’autres sont réalisés suivant l’intérêt des collaborateurs qu’on sollicite.

Le Fifog est attentif à ce qui se passe dans l’industrie du cinéma dans le monde, en tenant compte de toutes les nouveautés filmiques, sur la scène internationale et dans chaque pays mais, également, les questions qui touchent les différentes sensibilités sociales et idéologiques et qui nous permettent parfois d’anticiper sur certains faits d’actualité.

Quelle est la principale caractéristique de cette édition du FIFOG?

Cette année le FIFOG met à l’honneur la femme et la jeunesse, une thématique qui va avec la sélection des films qui devaient être retenus, car un festival n’est pas un alignement de films sans cohérence mais plutôt une sorte de tableau au ciel étoilé où les lumières se tardent.

Loin de surfer sur l’actualité dominante en l’occurrence le buzz médiatique créé par les dénonciations à Hollywood, on a voulu mettre en valeur les films de femmes qui travaillent dans des conditions beaucoup plus complexes que les hommes. Sur les 8 compétitions du FIFOG, 6 films de femmes sur 7 sont en compétitions officielles et 13 femmes sur 15 sont membres de jury.

La jeunesse c’est aussi une part de la société exclue dans beaucoup de pays notamment en Orient. A travers des courts métrages coups de cœur, des créations sans compromis, les jeunes transmettent leurs émotions et idées par des courts-métrages, généralement, aussi authentiques que les longs-métrages.

Le focus sur l’Iran suit une tradition initiée dans les éditions précédentes, avec des focus sur des pays orientaux d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le choix de mettre l’Iran à l’honneur revient au fait qu’il s’agit d’un pays prolifique en matière de films dont la qualité est indéniable.

Le festival cherchait à présenter des films de femmes ou des films d’hommes qui parlent de femmes ce qui n’était pas aussi évident où l’industrie du film est dominée par les hommes. Cependant, le Fifog a réussi à choisir des films en présence de leurs réalisateurs, hommes, productrices, monteuses et distributrices.

Ceci ne traduit pas une place de choix de la femme en Iran mais, seulement, pour dire que les femmes sont présentes et travaillent malgré toutes les difficultés et contraintes imposées.

Le cinéma tunisien est largement présent avec onze films dont beaucoup en compétition officielle, est-ce un choix ?

Ce n’est pas forcément un choix mais plutôt le résultat d’une collaboration sérieuse de la part des réalisateurs, comédiens, producteurs, ainsi que celle de l’ambassade de Tunisie à Berne et de la Mission permanente de la Tunisie auprès de l’Office des Nations Unies et des Institutions spécialisées qui s’impliquent et manifestent un grand intérêt aux films et à la culture tunisienne.

Le partenariat couvre aussi le transporteur aérien Tunisair, un des facteurs qui font que le film tunisien s’impose plus facilement.

Deux producteurs deux réalisateurs et une actrice sont présents sauf que la date du Fifog ne coïncide pas avec l’agenda de certains invités ou qu’ils sont empêchés de venir pour des raisons de santé, le cas de Selma Baccar et Elyes Baccar.

Treize ans après, quel bilan faites-vous de ce jeune Festival international du film oriental de Genève?

L’histoire nous enseigne que les idées qui finissent par s’imposer dans le monde sont lancées par des petits groupes.

Au début les gens avaient un regard assez sceptique sur l’idée de créer ce festival. Notre début était avec des courts métrages sur 2 jours, dans un seul lieu, et 2 invités pour arriver, aujourd’hui, à plus de 200 partenaires dans un festival qui offre 102 films tous genres confondus et qui se déroule sur 25 lieux de projections, à Genève, et communes, avec 25 intervenants et 80 invités d’Orient et d’Occident. Un impressionnant écho est visible dans les médias suisses et autres, ce qui permet de mesurer l’intérêt suscité par le festival et le degré de satisfaction.

Proposer des projections et compétitions dans des écoles signifie, surtout, que le pari est gagné en crédibilité et fidélisation, car il est difficile de pénétrer dans ces institutions extrêmement sérieuses et sensibles, à la fois. Notre présence pour la première fois dans des lieux comme la prison témoigne, aussi, du grand sérieux, de la reconnaissance et de la crédibilité à l’égard du comité d’organisation du festival.