Si l’augmentation des impôts et des taxes est rendue inéluctable en raison de la crise économique que connaît la Tunisie et touche toutes les classes sociales et les professions, les observateurs n’ont pas manqué de relever l’exception faite aux sportifs, notamment les footballeurs qui touchent souvent des revenus élevés et des primes généreuses.

La plupart des citoyens et des experts ne trouvent pas de justification à cette exception faite aux sportifs, notamment en cette période de crise aiguë à laquelle fait face le pays.

La pertinence de la promulgation d’une législation obligeant les sportifs professionnels à payer des impôts pour l’Etat divisent les milieux sportifs, de l’économie et des finances, les uns la justifiant par les difficultés des clubs et les autres la dénonçant en faisant valoir le devoir d’égalité des citoyens et les difficultés financières de l’Etat.

Les divergences sont d’autant plus marquées que le niveau de vie des citoyens n’a cessé de se dégrader ces dernières années, contrastant avec le renchérissement du volume des salaires des sportifs, notamment des footballeurs.

Des voix se font désormais entendre dans les milieux sociaux et économiques demandant une imposition sur les revenus des sportifs et la promulgation de législations contraignant les clubs de football en particulier à adopter des méthodes de gestion transparentes.

Si l’Etat bataille pour mobiliser des ressources de l’ordre de 1,355 milliard de dinars pour financer le budget de 2018 en augmentant les impôts, relevant les taxes à la consommation et imposant les salaires et les revenus, “les impôts générés par le secteur sportif peuvent atteindre des dizaines de millions de dinars”, selon l’expert financier et économique Walid Ben Salah.

Le nouveau ministre des Finances, Ridha Chalghoum, est monté lui-même au créneau en estimant que “des revenus substantiels auraient pu être générés par les artistes et les sportifs”.

Il a annoncé à cet égard que le projet de loi de finances prévoit l’enregistrement des contrats des artistes et footballeurs et par conséquent le prélèvement d’impôts au profit du trésor public ainsi que des mesures contre l’évasion fiscale, par souci d’égalité.

L’expert dans le droit sportif, Anis Ben Mime, estime à cet égard que “le paiement des impôts à l’Etat est le plus haut devoir de citoyenneté”.

“Le sportif qui est avant tout un citoyen est tenu légalement et moralement de s’acquitter de son devoir fiscal par esprit d’égalité sociale”, a-t-il fait valoir.

Il a souligné que “l’évasion fiscale est un crime entraînant dans les pays démocratiques des poursuites judiciaires et des sanctions sévères”, affirmant que “le devoir fait aux sportifs professionnels de payer leurs impôts atténue aux yeux de la société les accusations qui leur sont faites de bénéficier de l’immunité, du favoritisme, de l’exemption de service militaire et du devoir fiscal”.

Ben Mime croit savoir que le ministère des Finances a décidé de mettre fin à l’évasion fiscale en incluant des dispositions obligatoires dans le projet de loi des finances 2018 qui sera débattu bientôt par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

“Après la loi de 2015 qui permet un rééchelonnement des dettes des clubs sportifs en raison de la crise qu’ils connaissent depuis 2011, les nouvelles législations obligeront les joueurs de payer leurs impôts avec une déduction par les clubs de leurs salaires et primes annuels selon des critères fixés par le ministère”, a-t-il précisé.

Le principe d’égalité en matière fiscale est désormais admis par plusieurs sportifs. Ainsi, Walid Hicheri, joueur de l’US Monastir, reconnaît que les salaires des footballeurs ont nettement augmenté ces dernières années, notamment dans les grands clubs.

“Personnellement je ne suis pas tout à fait contre le paiement par un sportif des impôts, mais la carrière du joueur n’est pas longue et peut à tout moment s’arrêter, ce qui pose des questions sur son avenir après la fin de sa carrière”, a-t-il estimé.

Hicheri admet la nécessité pour l’Etat d’étudier la question “sur tous ses aspects”, mais se prononce aussi pour la création d’un syndicat “défendant les intérêts des joueurs et les incitant à assumer leur devoir”.

“On doit prendre au sérieux les problèmes du joueur tunisien et lui garantir son avenir afin qu’il soit sur le même pied d’égalité avec tout autre citoyen, soucieux de ses droits et conscient de ses devoirs, notamment le devoir fiscal”, a-t-il souligné.

Selon des experts, certains footballeurs tunisiens perçoivent “des salaires faramineux”, notamment dans les quatre grands clubs, l’Espérance ST, le C.Africain, l’ES Sahel et le CS Sfaxien, par rapport au niveau de vie et du pouvoir d’achat du citoyen moyen.

Cette disparité est perçue comme une provocation par les milieux sportif, social et populaire, d’autant plus avec le marasme économique du pays.

Des appels sont désormais lancés par des spécialistes, des observateurs du monde sportif et des finances pour “un plafonnement des salaires et primes” des sportifs pour atténuer l’inflation des revenus, les spéculations et même des magouilles dans le domaine du sport, afin d’instaurer un peu plus de transparence et d’équité.

La rue tunisienne voit avec beaucoup de suspicion le laisser aller dans ce dossier. Haithem Rebai, 27 ans, habitant la cité populaire Ettadhamen, dénonce à cet égard “l’exception faite au joueur tunisien dans le paiement des impôts alors que des transactions à coup de milliards, des montants inimaginables en comparaison du vécu tunisien sont conclus entre les joueurs et les courtiers”.

“C’est incompréhensible car toute personne qui travaille perçoit un salaire et se doit de payer ses impôts afin de pouvoir redresser la situation difficile du pays, et il est inadmissible que le fonctionnaire, le médecin, l’avocat et l’universitaire s’acquittent de leurs devoirs alors que les sportifs en sont exonérés”, a-t-il souligné.

Pour sa part, l’expert Walid Ben Salah a indiqué que “faire une exception aux sportifs en matière fiscale est une forme d’évasion fiscale et une violation de la loi de nature à causer des déséquilibres des finances”.

“Comme les autres citoyens, les sportifs ont des droits et des devoirs fiscaux à l’égard de l’Etat. En tant que salariés des clubs ils doivent se conformer à la loi sur les impôts payés directement ou indirectement”, a-t-il précisé à l’agence TAP.

Il a fait remarquer que “les nouvelles propositions de la loi des finances 2018 sont venues pour faire évoluer les législations”. “Les lois et législations en vigueur en Tunisie depuis des années traitent sur le même pied d’égalité tous les citoyens, sans exception, et la question de paiement des impôts exige une plus grande rigueur des services fiscaux et du ministère des Finances, et une application stricte de la loi à l’égard de tous”, a-t-il affirmé.