Ancien candidat l’élection présidentielle, Sophien Bennaceur, qui a consigné, en 2019, son programme politique et économique dans un ouvrage pragmatique «La République que nous voulons», continue à réagir aux crises que connaît le pays et à proposer des pistes pour en sortir. Dans ce contexte, il vient de publier une communication intitulée « La force tranquille sur les décombres du nouvel autoritarisme ».

Dans ce document, Sophien Ben Naceur, actif sur les réseaux sociaux, tire les enseignements des émeutes des jeunes, en janvier dernier, et surtout de leur répression brutale par les forces de l’ordre.

Abou SARRA

« Car, dit-il, il est facile de réprimer les jeunes et d’appliquer sur eux à la lettre la loi pour les délits qu’ils ont commis, mais il est difficile pour le système politique en place de rendre compte des injustices qu’il a commises à l’encontre de ces mêmes jeunes ».

Sophien Ben Naceur perçoit dans ce dérapage répressif le début de la fin du système en place.

L’urgence de combattre un autoritarisme multiforme

Tout en faisant assumer au pouvoir la responsabilité de la répression disproportionnée des jeunes indignés sans encadrement et sans espoir en un avenir meilleur, il relève que l’autoritarisme qui prévaut actuellement dans le pays ne consiste pas en l’étouffement des libertés politiques et de la libre expression. « Si c’était uniquement le cas, note-t-il, la Tunisie serait un Eden démocratique ». Pour lui, l’autoritarisme que vit la Tunisie est un autoritarisme multiforme.

  • Un autoritarisme administratif « stalinien » qui interdit aux jeunes et investisseurs toute initiative d’entreprendre.
  • Un autoritarisme social qui bloque toute opportunité d’emploi et fait miroiter, au nom de l’Etat providence, que le secteur public demeure le seul employeur possible.
  • Un autoritarisme économique qui soumet, paradoxalement, une économique libérale au bon vouloir d’une administration bolchévique, bureaucratique et sous-développée.
  • Un autoritarisme diplomatique qui limite les relations extérieures du pays à la seule sphère francophone et occulte le potentiel des débouchés offerts par les zones anglo-saxonne et sud-est asiatiques.

Les grandes lignes d’une alternative salutaire

Première conclusion tirée de cet autoritarisme multidimensionnel par Sophien Ben Naceur : la démocratie en Tunisie est devenue, ni plus ni moins, une coquille vide, voire un simple accessoire. D’où l’enjeu d’une autre alternative.

Dans cette perspective, il propose ce qu’il appelle «la force tranquille», un mouvement dynamique qui se situe exclusivement en mode d’action et non en mode tendanciel, comme c’est le cas avec le système en place. Ce même système qui a fait que l’homme d’affaires soit constamment arnaqué, que la classe moyenne (moteur de la consommation) soit paupérisée, que le travailleur voie son pouvoir d’achat diminuer au quotidien, que le cadre soit marginalisé par l’effet de l’absence d’opportunités d’emploi…

Le projet qu’il propose serait de réunir, dans le cadre d’un nouveau “pacte social” ou “contrat social” qui associerait, autour des mêmes valeurs et d’une même vision futuriste réalisable, investisseurs, forces de travail, compétences technologiques et scientifiques… L’ultime but étant de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de politiques capables d’élaborer une nouvelle vision économique, sociale, financière, diplomatique.

Concrètement, il propose, en priorité, la mise en œuvre d’une approche sociale inclusive, l’éradication de la pauvreté, l’emploi des jeunes, la généralisation des prestations publiques de qualité, des politiques électorales qui favorisent l’alternance pacifique, des réformes sectorielles (commerce, finances, administration…). Il suggère d’agir, en priorité, sur cinq principaux volets.

Agir en priorité sur les secteurs structurants

Le premier consiste en la libéralisation de la politique de change et ses corollaires : la levée de tous les obstacles qui entravent les financements en devises, la légalisation de la détention par chaque Tunisien d’un compte en devises avec des garde-fous, la libéralisation des importations des produits qui n’ont pas leurs équivalents en Tunisie (voitures…).

Le deuxième porte sur l’enjeu d’opter pour une politique d’intégration sociale qui mettrait fin à l’iniquité sociale et aux écarts sociaux actuels. L’idée de Sophien Ben Naceur est de faire profiter toutes les catégories sociales des bienfaits du libéralisme économique et de se fixer, à cette fin, des objectifs précis. Au nombre de ces objectifs, figurent le relèvement du revenu par tête d’habitant et son adaptation aux besoins réels des individus, l’augmentation du SMIG à 1 000 dinars, la réactivation des régions-districts économiques et leur dotation d’infrastructures adéquates (autoroutes, routes expresses, voie ferrées…).

Autres réformes à engager : la rationalisation de la compensation et l’urgence de ne la faire bénéficier qu’à ceux qui la méritent, l’ouverture de perspectives pour les retraités, l’investissement dans des projets respectueux de l’environnement, et cerise sur le gâteau, l’abandon de la mentalité de l’assistanat et son remplacement par celle de l’initiative et de la participation.

Le 3ème volet a trait à la démocratisation du contenu et des supports technologiques de l’enseignement. Sophien Ben Naceur recommande la promotion de l’enseignement et le travail à distance (télétravail) et la généralisation de l’accès des cadres et étudiants aux supports des technologies de l’information et de la communication (internet haut débit, PC…).

Une mention spéciale pour l’adaptation des nouveaux métiers et la formation en général aux besoins réels de l’économie et d’institutionnaliser la langue anglaise comme langue de travail.

Le quatrième propose une nouvelle stratégie des échanges extérieurs de la Tunisie. A ce propos, Sophien Ben Naceur tire à boulets rouges sur la focalisation sur le marché fournisseur français et prône la diversification des débouchés en s’orientant davantage vers les marchés porteurs anglo-saxons (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne…).

Le cinquième volet est d’ordre politique. Il recommande l’efficacité politique et l’abandon du tribalisme politique qui prévaut de nos jours dans le pays.

Il suggère un nouveau projet politique devant aboutir à terme à l’édification de la 3ème République et à l’instauration d’un régime présidentiel contrôlé par un Parlement pluriel composé de pôles politiques aux idéologies claires.

Dans la foulée des réformes, il propose la révision de la loi électorale et celle sur les partis politiques.