Le dernier rapport sur les mouvements sociaux réalisé par l’Observatoire social tunisien relevant du forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) révèle que, malgré le confinement total décrété en Tunisie depuis le 22 mars 2020, 254 protestations collectives et 30 cas et tentatives de suicide ont eu lieu pendant le mois d’avril.

Selon le rapport, les mouvements de protestation collectifs se sont déroulés dans les rues et les sièges sociaux des institutions aux niveaux local et régional, mais aussi sur le réseau social Facebook.

La plupart des demandes des manifestants concernaient le droit à l’eau et à la nourriture en particulier dans les zones rurales de Kairouan, où des denrées alimentaires essentielles telles que la semoule, la farine et l’huile subventionnée manquaient dans les commerces.

Par ailleurs, dans certaines régions, les manifestants pour la semoule et la farine ont eu tendance à recourir à la force à travers le blocage et la saisie des camions transportant ces denrées par les citoyens vivant une situation de famine.

En outre, certaines régions ont connu un état de tension sociale revendiquant l’accélération de l’octroi de l’assistance sociale approuvée par le gouvernement pour aider les personnes qui ont souffert d’un impact direct sur leurs activités comme les
travailleurs, artisans et personnes marginalisées.

Sidi Bouzid en tête

Le rapport souligne que la cartographie de protestation a changé pour la première fois puisque le gouvernorat de Sidi Bouzid a été le plus protestataire au cours de ce mois d’avril avec 75 mouvements de protestation (soit un taux journalier d’environ 2,5 mouvements) surpassant ainsi le gouvernorat de Kairouan, qui a été pendant des mois et des années classé premier au niveau des protestations.

Le gouvernorat de Kairouan est donc arrivé en deuxième place avec 41 actions de protestation, suivi de Sousse (24 mouvements de protestation) puis de Médenine (20 mouvements de protestation), de Kasserine (17 mouvements de protestation), de Tataouine (14 mouvements de protestation) et de Gafsa (13 mouvements de protestation); tandis que le nombre de manifestations sociales dans le reste des gouvernorats a été inférieur à 10 mouvements de protestation tout au long de ce mois d’avril.

Les gouvernorats de Tozeur, Mahdia et Nabeul, ont connu seulement deux mouvements par gouvernorat.

La région Centre-Ouest a représenté un foyer de protestation avec 133 mouvements de protestation, suivie par les régions de l’Est (Centre, Sud et Nord) avec 90 mouvements de protestation, la région du Sud-Ouest avec 20 mouvements de protestation et le Nord-Ouest avec 11 mouvements de protestation.

Plus de 47% du total des manifestations sont instantanées

Les manifestations instantanées ont représenté 47,6% du total des manifestations observées dont 22,3% enregistrées dans le gouvernorat de Sidi Bouzid (27 mouvements de protestation) tandis que le pourcentage de mouvements violents a atteint les 36,6% du total des mouvements observés à Sidi Bouzid seul et qui constitue 54,8% du total des mouvements observés (51 mouvements de protestation violents).

Malgré le confinement et l’état de fermeture presque totale dans le pays, les formes de protestation les plus importantes observées au cours du mois d’avril ont été les rassemblements protestataires avec 29,1% du total des moyens de protestation observés, suivis des sit-in (18,1%), des appels de détresse (12,6%), des appels à travers les médias (7,5%) sans oublier les grèves et autres.

Les manifestations dans le secteur sanitaire ont été les plus importantes outre des contestations pour des raisons de sécurité, la détérioration du niveau de vie, la situation économique et sociale et la baisse des services dans diverses régions.

Cette situation présage une prochaine explosion sociale qui caractérisera la période post-Corona, met en garde le rapport.

Suicide et tentatives de suicide

Le mois d’avril a enregistré 30 actes de suicide et de tentatives de suicide dont 87 % chez les hommes. Le groupe d’âge de 26-35 ans et 36-45 ans ont été les plus enclins au suicide et tentatives de suicide avec un pourcentage d’environ 66%.

Le suicide et sa tentative par automutilation en se coupant les veines ont représenté la forme la plus courante à laquelle les victimes ont eu recours (9 cas) avec 30% du total des formes de suicide observées, suivies du suicide par immolation de 27%, du suicide par pendaison de 23% et le saut et la précipitation à hauteur de 10%.

En ce qui concerne la cartographie du suicide et tentative de suicide, le gouvernorat de Kairouan ne monopolise plus la première place en enregistrant seulement deux cas tandis que Siliana arrive en tête avec 6 suicides et tentatives de suicide suivis par les gouvernorats de Mahdia, Sfax et Tunis au troisième rang avec un total de 12 cas soit une moyenne de quatre cas pour chaque régions.

L’espace domestique, le plus touché par les violences

Face au confinement imposé dans les habitations, l’espace domestique a été l’espace le plus important des cas de violence, avec environ 29% des incidents de violence enregistrés en avril, suivi par la voie publique pour plus de 20% et les espaces de travail qui ont été témoins d’environ 18 % des actes violents.

Les autres cas de violence ont été répartis entre les espaces commerciaux (4%) et les espaces de santé, notamment les hôpitaux (environ 2,5%), les transports en commun et l’espace virtuel (1,2%).

La cartographie de la violence n’a pas connu de changements significatifs pendant la période de confinement général, les gouvernorats de Tunis, Kairouan et Sousse ont enregistré le plus d’incidents de violence, suivis des gouvernorats de Siliana, Ben Arous et El Kef.

Crise structurelle des droits de l’homme

La crise de Corona a également révélé une crise structurelle des droits de l’homme qui a touché les migrants résidant en Tunisie dans des abris tels que le centre d’accueil d’El Ouardia. Ces crises structurelles seront le moteur d’une trajectoire complexe de protestations et de tremblements sociaux dans les prochains mois, à moins que le gouvernement ne parvienne à anticiper la dégradation de la situation et à mettre en place un plan de sauvetage économique et stratégique urgent, conclut le rapport.