“Il te faut aller au charbon”, dit en substance le chef de l’Etat à Youssef Chahed (YC). En indiquant ce mode d’emploi de secours à son chef du gouvernement, en vue de forcer la formation d’une majorité de circonstance à l’ARP, BCE donne à YC une occasion historique d’apparaître dans la peau d’un homme d’Etat. Et, par conséquent, de présidentiable.

Le chef de l’Etat, comme à l’accoutumée, a pris tout le monde de court en accordant une interview sur Nessma tv. Comme toujours, BCE apparaît comme l’unique régisseur de la vie politique dans notre pays, et c’est rassurant, car il prouve qu’il est dans son rôle, celui de maître d’œuvre de l’ingénierie démocratique de cette deuxième République qui doit être un ”Etat de droit”, selon ses propres termes.

Naïvement, on dit de la politique c’est l’art du possible. C’est peut-être l’occasion de forcer le destin, pour ceux qui sont habités par le génie politique.

Nessma tv : L’habileté d’un choix

Il y a eu une certaine cohue autour du choix du président pour passer sur Nessma tv. BCE n’est ni novice en politique, ni candide, ni ignorant de ce qui se dit autour de son choix. En allant chez Nessma tv, il s’assurait un maximum d’audience car de la sorte il “allumait“ indirectement la curiosité de l’opinion, selon nous. Et puis, si litige fiscal il y a avec la chaîne, eh bien la voilà dans le collimateur des services administratifs concernés. A eux de faire leur travail et de faire toute la lumière sur l’affaire.

“Si j’embrasse mon ennemi, c’est pour mieux l’étouffer“, dit Britannicus. Voilà le tour est joué. Ce faux trait de favoritisme à l’adresse de la chaîne est totalement lavé de tout soupçon.

Mais par-delà ce trait anecdotique, comment évaluer la prestation du président ?

Le “carton jaune“ en public à YC pour calmer les esprits

Il est évident que BCE a conscience de l’ampleur de la dimension que des esprits malveillants et intéressés donnent à la crise actuelle. Le moment est venu pour déminer la crise politique car elle s’emparait des rouages de l’Etat. Et qui plus elle plombe l’esprit et le moral des Tunisiens. Lui sait que cette crise est surfaite.

Il ne s’agit pas d’une vraie panne du système, mais bien d’une tentative d’étrangler le système. Hélas, l’actuel régime d’Assemblée permet ce genre de manipulations. La seule façon de dynamiter les auteurs de la crise, ceux qui en tirent les ficelles et ceux trop pressés d’en toucher des dividendes, était de donner une petite fessée, en public, au chef du gouvernement.

En s’y prenant de cette façon, BCE pense pouvoir empêcher les présidentiables trop pressés de ne plus jeter de l’huile sur le feu. Ces derniers entretiennent, avec acharnement, le sentiment de la vulnérabilité du chef du gouvernement en étant impatients d’activer son siège éjectable.

Tous les ingrédients malsains s’y retrouvent, notamment son incapacité à être le chef d’une majorité. En scénarisant une petite fessée à Youssef Chahed, BCE calme le jeu. Et la démo procédurale quant au remplacement du ministre de l’Intérieur sonnait comme un “carton jaune“.

Six martyrs sont tombés. C’est lourd à porter pour le chef du gouvernement. Mais les poursuites sont lancées et on se laisse aller à espérer que cela finira par un grand coup spectaculaire dans la lutte contre le terrorisme. Et en la matière, le parcours du gouvernement est hautement apprécié du bon peuple. D’ailleurs, la reprise du tourisme le souligne fort bien.

A partir de là, comment dégager YC de l’ornière ? Voilà l’objectif que semble rechercher le président ?

Monter au filet et tout de suite

La meilleure défense c’est l’attaque, et BCE est rompu à ce genre d’exercice martial, qui consiste à joindre l’unité des contraires, disent les tacticiens. Les municipales ont fragilisé les soutiens démocrates et ont encore conforté leur assise électorale et non la mainmise d’Ennahdha sur les rouages de l’Etat. C’est cette situation défavorable que BCE s’applique à retourner à l’avantage du gouvernement. C’est le moment de monnayer le projet d’Ennahdha à conforter son image de parti de gouvernement que le président cherche à exploiter.

Alors, en demandant à Youssef Chahed d’aller à l’Assemblée et de solliciter une majorité de fortune, c’est un exercice de ruse pour exploiter la circonstance. Le gros du bataillon parlementaire nahdhaoui soutiendrait un gouvernement qui leur sert de cuirasse, pour le moment. Et c’est ce groupe qui fera la différence s’il y a un vote de confiance. Nous sommes en présence d’un deal à risque calculé.

Youssef Chahed est en position de force, en ce moment. Il a un satisfecit du FMI, un autre de la BM et celui tout récent de l’UE. Que demande le peuple sinon d’abord du pain ? Et cette validation multilatérale le fait apparaître dans la position de l’homme de la situation. Au mois de mars 2018, YC disait : “Moi ou l’instabilité“. Nous prenons le pari que le chef du gouvernement ira solliciter le vote de confiance à l’Assemblée car il a de belles cartes en mains. Et l’Assemblée ne le défiera pas.

Un CV de présidentiable

BCE a tout planifié pour sauver le soldat Youssef Chahed. Ce dernier est attendu pour un délicat exercice d’équilibrisme, et BCE, son mentor, l’y aiderait. Quoi qu’il en soit, YC se présenterait avec un bilan plutôt favorable dans la perspective de la présidentielle. Mais son atout maître sera l’avenir car il a le soutien des principaux bailleurs de fonds du pays et il lui sera aisé de jouer l’avenir plutôt que le passé.

En réalité, BCE a tracé à Youssef Chahed la feuille de route qui le confirmerait dans un statut d’homme d’Etat. En rédigeant un CV de chef politique, il casserait l’image du poulain de BCE et pourra solliciter les suffrages sous son identité propre.

Il y aura une deuxième mi-temps à l’interview de BCE le 25 juillet, au cours de laquelle les choses préciseront davantage.