Samedi 27 juillet 2019, les Tunisiens ont enterré Béji Caïd Essebsi, décédé deux jours plus tôt à 93 ans. Certains analystes et médias disent que c’est la « fin d’une époque, celle de l’exécutif issu du mouvement national, dominée par l’ombre tutélaire de Habib Bourguiba ».

En attendant l’organisation de l’élection présidentielle –forcément anticipée-, c’est le président de l’Assemblée des représentants du peuple, Mohamed Ennaceur, 85 ans, qui assure l’intérim sans pouvoir se présenter comme le veut la Constitution.

L’un et l’autre (BCE et Mohamed Ennaceur) ont connu et travaillé avec Bourguiba. Et avec leur départ, c’est également forcément une page qui se tourne, celle de l’Etat issu du mouvement national, écrit le site Medias24.com.

D’ailleurs, ajoute la même source, «derrière tout le parcours de BCE, jusqu’à ses plus récentes initiatives, jusqu’à ses tics et ses mimiques, ses proverbes et son franc-parler, son charisme et son immense culture, se dresse l’ombre d’un géant, Habib Bourguiba, fondateur de l’Etat moderne en Tunisie».

Autre point commun entre Bourguiba et BCE, ils sont tous les deux morts dans le même endroit, à savoir l’hôpital militaire de Tunis; le premier en 2000, le deuxième en 2019. Toutefois, si Bourguiba a été enterré “presque clandestinement“ par Ben Ali allant jusqu’à interdire “la retransmission télévisée et des obsèques nationales“ (il a fallu attendre la révolution de 2011 pour que le film des obsèques soit diffusé à la télévision), BCE a eu tous les honneurs d’un chef d’Etat.

Medias24.com conclut que ce “samedi 27 juillet, c’est donc à la fois l’hommage à BCE et à son père spirituel, Bourguiba. Car c’est en se réclamant de Bourguiba que BCE a réuni plus de 55% des suffrages en 2014 et est devenu président du pays“.

Michel Jobert (ancien ministre français des Affaires étrangères (entre 1973 et 1974) sous Pompidou, et ancien ministre du Commerce extérieur entre 1981 et 1983 (sous Mitterrand), assurait, en 1986, que Béji Caïd Essebsi «fut un excellent ministre des Affaires étrangères… et un fidèle disciple de Bourguiba en matière de pragmatisme et de politique des étapes».

Et maintenant…

On est bien obligé de reconnaître qu’après la disparition de Caïd Essebsi, même si elle était attendue mais peut-être pas maintenant, une question centrale se pose : qui va assurer la continuité des idées révolutionnaires de Bourguiba en matière sociétale et culturelle ? Car, il ne suffit pas de se réclamer “bourguibiste“ pour l’être réellement.

Le danger aujourd’hui pour la Tunisie et les Tunisiens, c’est le manque de recul et d’analyse des personnes, des propos, des programmes et des postures qui essayeront de vendre le “bourguibisme“ pour accéder au sommet de l’Etat sans pour autant en avoir l’étoffe. D’ailleurs, à regarder de plus près, on peut voir que les Tunisiens semblent avoir voté Bourguiba pour élire BCE.

Maintenant qu’on s’achemine vers la fin de la génération des hommes ayant la trempe de Bourguiba, et les fondements d’un Etat moderne étant solidement posés, l’heure est venue de construire la Tunisie du 21ème siècle, pensons-nous ; construction qui ne peut se faire avec les vieux (les plus de 65 ans) malgré tout le respect qu’on leur doit.

Ce n’est pas une mince affaire, parce qu’il y a un mot qui hante le subconscient collectif tunisien : les “sages“, comme si tous les vieux étaient des “sages“, et comme s’il n’existait pas des jeunes “sages“, matures. On dirait même que ce mot nourrit une espèce de peur chez certains et un espoir chez d’autres.

Attention à la marche…

Alors est-ce que le “bourguibisme“ va encore “vendre“ ? Sans doute, car nos politiciens ne manquent pas d’idées mais n’ont pas d’audace, pressés qu’ils sont pour accéder à la magistrature suprême. Ceci dit, puisqu’il est certain qu’une dictature ne s’installera plus en Tunisie, un incompétent n’aura aucune de chance de perdurer à la tête de l’Etat en tout cas pas plus que 5 ans, c’est-à-dire le temps d’un mandat.

Toujours dans cette logique, les idéologues et autres populistes doivent comprendre, eux aussi, qu’ils n’ont aucun avenir sur la scène politique tunisienne.

Tout ceci pour dire que la Tunisie se trouve réellement, cette fois-ci, à la croisée des chemins : hommes d’affaires politisés, élites intellectuelles sans réelle emprise sur le devenir du pays, un peuple déboussolé, ego surdimensionnés, politiciens plus soucieux pour se maintenir à leurs postes que pour servir les intérêts du peuple, etc.

Et compte tenu de notre Constitution, aucun jeune de 50 ans ou moins, imbu de volonté, qui a des idées à même de faire avancer économiquement la Tunisie… ne devrait songer à se présenter à l’élection présidentielle pour aller moisir au Palais de Carthage, un endroit certes magnifique et symbolique mais fait pour un jeune.

Donc, pour sauter ou dépasser cette étape, le peuple doit mûrir, voter avec l’esprit et non avec le coeur. Il s’agit de choisir des personnes capables de développer économiquement la Tunisie. Par contre, si on choisit des démagogues, des vendeurs de rêves et autres utopistes, que ce soit pour la présidentielle ou pour les législatives, la Tunisie ne s’en sortira pas, économiquement. Car, aucune démocratie, aussi solide soit-elle, ne peut résister à la pauvreté.

Puisqu’on y est, à la fermeture du dépôt des candidatures pour l’élection présidentielle anticipée, nous remarquons justement beaucoup de candidats (98 à la clôture des dépôts de candidatures) -pour ne pas tous- farfelus, des démagogues, des utopistes voire des malhonnêtes, des vieux et même des très vieux (pour une jeune démocratie). Certes beaucoup d’entre eux ne seront pas retenus, mais même parmi ceux qui vont concourir on ne voit aucun qui soit capable de sortir la Tunisie de l’ornière.

Si vous ajoutez à cela le peu de prérogatives que confère la Constitution au président de la République, on peut s’attendre au pire. Car, une chose est sûre: un président sans majorité au Parlement -ce qui est fort probable-, ne pourra rien faire. Puisque la volonté et la compétence sont insuffisantes pour amener la Tunisie sur un palier supérieur.

Tallal BAHOURY