Celui qui n’a pas le courage de se rebeller n’a pas le droit de se lamenter. La citation est du grand Che, et c’est Nafaa Ennaifer, un syndicaliste patronal, qui le mentionne dans un statut publié sur les réseaux sociaux. Pour lui, trop c’est trop et il est temps de mettre fin à l’ère de la médiocrité. «Nous observons, impuissants, l’accession au pouvoir (directement ou indirectement) des médiocres, des cupides et des bandits. Nous en mesurons l’effet dévastateur sur l’économie du pays et sur l’avenir des générations futures. Mais nous ne faisons rien de concret pour contrer cela et pour offrir une alternative à cette vraie mafia qui s’est installée dans notre pays. Un sursaut ! Une initiative ! Voilà ce qu’attend le peuple de ses vraies élites. Et elles ne manquent pas. Sinon, lisons la Fatiha, et laissons-les dépecer le pays et le mener à la faillite».

Le discours de Youssef Chahed du mardi 29 mai en pleine crise politique, faillite institutionnelle et marasme économique, s’est-il voulu la réponse à toutes ces revendications exprimées aujourd’hui par la majeure partie du peuple tunisien ?

En s’adressant au peuple yeux dans les yeux, en appelant tous les acteurs politiques et économiques, la société civile et les députés à assumer leurs responsabilités, Youssef Chahed a-t-il voulu le prendre à témoin, mettre fin aux doutes qui rongent les Tunisiens lambda s’agissant de son parti et les informer sur les défis auxquels tout le monde doit faire face aujourd’hui ?

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Nommer le directeur exécutif du parti Nidaa Tounès et l’accuser publiquement d’être à l’origine de tous les échecs encourus par le parti, à commencer par les élections en Allemagne en passant par les municipales, est pour nombre d’observateurs une déclaration de guerre. HCE serait-il le seul responsable de la débandade du parti ou est ce que les courtisans, les arrivistes et opportunistes politiques y sont pour beaucoup?

Youssef Chahed a mis hier (mardi 29 mai 2018) les nidaistes, les députés et le peuple aux pieds du mur. C’est comme s’il leur disait : «Je vous ai tout déballé, maintenant c’est à vous de décider et de choisir entre moi -qui considère que la seule ligne rouge est la Tunisie- et les autres». Le chef du gouvernement joue à quitte ou double : «Je vous offre une planche de salut… Je suis votre salut, assumez vos responsabilités et vos choix».

Trop facile et trop tard diraient beaucoup!

Pour Slaheddine Dridi, professeur en mass-médias, dans le discours prononcé par Youssef Chahed, mardi 29 mai, il y a eu deux étapes : d’abord, sa rédaction en arabe littéraire,
ensuite, sa transformation en arabe tunisien, l’arabe bourguibien. «Et croyez-moi, la tâche n’est pas de tout repos. Le texte est de haute teneur politique. Le cameraman a parfaitement cadré l’orateur. Youssef Chahed y a mis beaucoup de foi et d’apparente sincérité. Je suis tenté de penser que cela doit être l’œuvre d’une personne bien aguerrie à ce genre d’exercice. Youssef Chahed s’y présente comme le redresseur du parti Nidaa, le rassembleur des nidaistes, le fondateur d’une nouvelle majorité le reconfigurateur du paysage politique tunisien. C’est du Macron dans l’air».

Pourquoi Ennahdha n’a pas été citée ?

Youssef Chahed n’a pas manqué d’appeler les partenaires sociaux à rejoindre ses rangs, considérant qu’ils sont des partenaires indispensables.

Par contre, il a continué dans la logique du consensus. Un consensus avec qui ? Avec la Nahdha ? Le chef du gouvernement compte-t-il récupérer son parti ou s’allier au parti islamiste?

Les avis sont mitigés. Il y en a qui ont déploré le fait que le chef du gouvernement a condamné Nidaa mais pas l’exercice catastrophique de la Troïka. Cette Troïka qui est à l’origine de la faillite des institutions, de la crise économique et des caisses sociales vides.

Pourquoi ? Pourquoi le parti islamiste n’a pas lui aussi subi les foudres du chef du gouvernement, et pourquoi à ce jour, il n’y a eu aucune arrestation dans les rangs des responsables de la faillite des finances publiques ?

Pourquoi les amnistiés ont ils bénéficié d’une rallonge de l’âge de la retraite alors qu’ils ont des dédommagements et que les caisses sociales sont en faillite?

Pourquoi Sihem Ben Sedrine continue à sévir et pourquoi le document signé entre elle et Mehdi Belgharbia ne stipule pas clairement la date de la passation et les derniers délais pour couvrir tous les dossiers au gouvernement?

Youssef Chahed qui a suscité un engouement chez certaines franges des Tunisiens fatiguées de voir les affaires de l’Etat devenir des affaires des familles devrait répondre à ces questions pour rassurer ses compatriotes surpris par ce coup de force.

«Sans entrer dans le détail du contenu du discours (que je trouve bon), la stratégie adoptée par YC me semble réfléchie et judicieuse à ce stade. En particulier, son utilisation de la tactique de Tarek Ibn Zied (qui brûla ses navires pour ne laisser qu’une seule alternative à ses troupes : affronter l’ennemi et gagner) est courageuse et ne peut que renforcer son image ainsi que l’estime et le soutien d’une frange importante de la population qui a besoin plus qu’à n’importe quel autre moment, d’un homme fort, clair et tranchant pour affronter les défis et vaincre les “résistances”. Je vous laisse imaginer le reste de l’histoire.
Mais en gros, c’est un début de mise en orbite ! Après, il faut que la mécanique suive … et que les batailles soient gagnées !». Le commentaire est de Nafaa Ennaifer à propos du discours prononcé par le chef du gouvernement.

Des zones d’ombre persistent toutefois, Béji Caïd Essebsi était-il au courant de la teneur du discours de Youssef Chahed? Auquel cas, il aurait pris position contre le directeur exécutif du Nidaa et son fils ! Le président de la République est-il dans la logique du fameux dicton tunisien «Fokhar ykassar ba3dhou» et que le plus fort gagne?

En tout cas, ce qui est sûr c’est que le chef du gouvernement a décidé de battre les tambours de la guerre! Quant à Hafedh Caïd Essebsi, des proches nous ont soufflé qu’il serait prêt à s’éclipser totalement du paysage politique et à donner les rênes du parti à d’autres. Info, intox ou manipulation politicienne?

Le paysage politique tunisien est plus que jamais chaotique et quoique beaucoup disent ou pensent de la solidité d’Ennahdha, personne ne peut jurer de rien car si les querelles nidaistes sont exposées sur la place publique, les querelles intestines nahdhaouies ne sortent pas des murs de majliss Al Choura.

Jusqu’à quel point ces deux partis pourraient résister aux pressions de leurs bases et aux cafouillages de leurs dirigeants bien que ceux qui président à leurs destinées soient des politiciens aguerris?

La Tunisie a besoin d’une troisième voie, mais laquelle ?

Amel Belhadj Ali

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