Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, récupère le ballon et promet du beau jeu. Habile revirement tactique. Peut-il éteindre les feux de la crise ?

Youssef Chahed a réussi une belle médiatique, bien réfléchie et donc méditée. Il a mis tous les éléments de son côté jusqu’au timing. Voulant avoir l’attention des Tunisiens, il a évité de parasiter les feuilletons télé et ne s’est montré qu’à partir de 21h30. Pour le coup c’est bien vu !

Une stature de chef

On avait coutume de dire que ce qui fait l’homme politique, c’est la somme d’une occasion et la manifestation d’une volonté. La sortie de Youssef Chahed d’hier soir (mardi 29 mai 2018) était tout à fait opportune et se situe dans ce cadre précis. Béji Caïd Essebsi, en suspendant les concertations sur le Document de Carthage 2 et en faisant le vide, à la faveur d’un déplacement à l’étranger, lui servait une balle en or. Et ce n’est pas fortuit, car nous croyons à une habile une-deux, pour le salut du GUN (Gouvernement d’union nationale).

Et, voilà que Youssef Chahed a su s’emparer de l’occasion en livrant un baroud de leader. Sa montée au filet était un deal passé en direct avec l’opinion, pour une légitimation populaire. Le chef du gouvernement s’est auto-sauvé des attaques de tous ses détracteurs. Il fait échec –et Mat?- à l’UGTT et à HCE.

Le sens de l’instant

En s’affichant devant l’opinion, Youssef Chahed signe un grand coup de charisme. Voilà un homme politique qu’on donnait pour mort et qui ressuscite de ses cendres, de fort belle manière.

En effet, le chef du gouvernement propose un deal que le peuple peut difficilement refuser. Les grandes réformes, d’abord. La préservation des finances publiques, le sauvetage des caisses sociales, la mise en place du cadre du dialogue social et la lutte contre la corruption. Tous les piliers de la stabilité, en somme, ainsi que du salut public ! Un chef politique qui prend ses responsabilités et qui vient solliciter le plébiscite populaire ! Qu’est-ce que vous dites de ça ? Entre la stabilité et l’éventualité d’une relance du système ou le saut dans l’inconnu, l’élan populaire évitera de pencher pour l’aventure. Mais cet acte de courage et de cohérence n’en est pas moins malgré tout un coup de poker.

YC fait coup double

Dans son allocution, ciselée de manière professionnelle en termes de communication, Youssef Chahed flingue à bout portant HCE. Pourra-t-il lui enlever Nidaa Tounès des mains et avec qui le rebâtira-t-il ?

Dans la foulée, il retire le tapis sous les pieds de l’UGTT. La centrale se retrouve avec un ensemble de causes perdues. Souvent les conflits sociaux récents apparaissent comme des actes d’arrogance de ceux qui paralysent l’économie, ou se fichent de l’intérêt général pour réserver soit des rentes, soit des “privilèges“ corporatistes ou ceux qui sabotent l’école publique.

Le champ des luttes syndicales a été bel et bien miné par le chef du gouvernement, et en proposant de parachever les structures du dialogue social, il retire des mains de la Centrale l’arme de la revendication et de la contestation. La fin du syndicalisme ouvrier ? Wait and see !

Comment construire un contrat de confiance avec la jeunesse ?

Tout porte à croire que le deal de Youssef Chahed aura l’adhésion du bon peuple. Le retour de confiance attendu de la part des Tunisiens, bien installés socialement, semble quasiment acquis. Mais Youssef Chahed entend conquérir la jeunesse. Quel est son deal avec ce bastion électoral de l’avenir? La Start up Act est déjà en phase de mise en place. Le programme de l’économie solidaire est en négociation. Mais cela ne suffit pas, parce que la frange radicale des jeunes qui veulent tout et tout de suite est importante. Et c’est là le casse-tête d’entre tous, qu’il faudra résoudre.

Dans le programme de Youssef Chahed, tout converge vers un sauvetage de l’économie. A moins d’embrayer sur une forte vague de reprise, capable d’absorber le gisement des jeunes en mal de travail et en mal d’être, la partie sera difficile.

Youssef Chahed a-t-il pour autant éteint les feux larvés de la crise ?

Pour sauver son avenir, Youssef Chahed prend le pari d’aller au charbon. Comment faire le décompte de ses alliés ? Il y a d’abord Ennahdha. Ce parti veut apparaître comme un parti de gouvernement et il sera présent à l’appel.

Les députés de Nidaa Tounès n’ont pas d’autre choix que de rallier le mouvement sinon on leur fera endosser la crise et ses retombées désastreuses.

Il reste deux inconnues. Qui choisir pour rebâtir Nidaa Tounès et qui choisir pour conduire les grandes réformes qui visent à booster l’économie. N’oublions pas que c’est la performance économique qui décidera de l’avenir de Youssef Chahed.

Dans son initiative, Youssef Chahed doit posséder une carte maîtresse. Nous pensons que de paris où il se trouve actuellement BCE a dû lui souffler que la crise libyenne est en voie de guérison définitive. Le redémarrage de l’économie libyenne c’est un troisième poumon pour l’économie tunisienne. Et c’est un atout majeur. N’oublions pas, lors d’un séminaire à l’IACE, un expert de l’ONU a affirmé que 1% de croissance en Libye, c’est 0,9% de croissance en Tunisie. La corrélation économique est bien actée. Et cela peut faire la différence.