“La simplicité est la sophistication suprême !” Sous l’éclairage de cette citation merveilleuse de Léonard de Vinci, on va passer en revue la ‘politique de la CLIM carbonée’ en Tunisie.

1- Situation actuelle : faire simple mais de travers !

Pour faire face à la demande électrique de la climatisation, les pouvoirs publics ont recouru à l’accroissement du parc de production à combustion basé sur les centrales fossiles pérennes ! En d’autre terme, au lieu de répondre à une demande intermittente d’électricité par une offre d’énergie intermittente et concomitante extraite du soleil, on répond par une offre structurelle !

En effet, les moyens dédiés à la climatisation, selon un rapport du ministère de l’Energie de fin octobre dernier, se présentent comme suit :

– Investissement colossaux (6,590 milliards de dinars): 2,940 milliards de dinars durant 2011-2015, soit 590 M/an, contre un total de 2,350 milliards de dinars pour 2006-20010 et 1,300 milliard de dinars pour la période 2001-2005 !

– La capacité installée et dédiée à la climatisation frôle la moitié du parc de production électrique du pays, en dehors de celui du renouvelable éolien et hydraulique ; elle s’élève à 2.446 MWp ; quant au parc national total, il s’élevait en 2015 à 5.224 MWp et 5.476 MWp pour 2016, alors que la pointe de la consommation électrique constatée était en baisse : en 2015, elle était de 3.599 MWp² et seulement 3.400 MWp pour 2016.

– En pleine puissance, ces 2.446 MW déployés, pour la clim, fourniraient autant d’énergie que la production nationale, alors que la demande totale générée par la clim ne dépasse pas les 5% de ladite production ! En effet, selon le même rapport, la climatisation a généré 904 GWh/an, dont n’arriveraient aux compteurs des usagers que 871 GWh, le reste ce sont les pertes structurelles, pour une production nationale annuelle d’électricité de l’ordre de 18 TWh !

– La part du parc de production dédiée à la climatisation semble donc disproportionnée à ce qui pourrait être concevable dans un pays de la ceinture solaire telle que notre vaillante Tunisie avec ses 2000 kWh/an/m² +/- 10% de rayonnement GHI mobilisable à merci via les panneaux photovoltaïques devenus très bon marché depuis : La baisse spectaculaire des coûts et les avancées technologiques récentes qui viennent de supprimer les deux dernières barrières à l’expansion de l’énergie solaire à grande échelle. Moins cher que le charbon et le gaz (avec stockage) dans les zones géographiques les plus ensoleillées telle que la nôtre, le solaire apparaît également deux fois moins onéreux que l’énergie nucléaire nouvelle génération !

– Entre 2009-13, la puissance installée en climatisation dans le secteur résidentiel BT a augmenté d’environ 250 MWp/an !

– Au rythme de l’évolution de la canicule, et vu la politique menée jusqu’ici, vers 2030 on aura à se doter de 2.500 MWp supplémentaires, la saga continuera de plus belle : investissement annuel de l’ordre du 950 millions de dinars comme ça a été le cas pour l’investissement de 2017 ! En vérifiant et en analysant le tableau des importations (portées par ce lien), on trouverait que celles en relation directe avec l’énergie fossile dépassent les 10 milliards de dinars pour 2017! C’est de l’ordre de 20% des importations et de 66% de notre déficit commercial !

– La pression sur la demande fossile, oblige à faire feu de tout bois : le recours à des moyens inadéquats, comme relevé dans ledit rapport: usage de turbines à gaz à faible puissance: 20 à 30 MW et turbines à gazole reconnues par leur faible rendement et leur forte consommation de combustible alors que le soleil est gratuit et ne s’use qui si l’on s’en sert ! C’est en somme la descente aux enfers à pas de course… décidée par nos pontes énergivores en fossile !

– Perte d’électricité lors de la transmission et de la distribution:

De 2012 à 2016, le cumul de la production électrique nationale a été de 88.178 TWh pour des livraisons cumulées de 73.536 TWh, soit une freinte de route de 14.642 TWh, pratiquement la consommation annuelle moyenne de la période (14.707 TWh) ! Sur 100 kWh produits, 84 seront livrés et 16 partaient dans la nature pour la polluer ! C’est l’équivalent d’une centrale à combustion de 330 MWp tournant à plein régime et sans arrêt ! Ce qui renchérit les prix et la fameuse compensation budgétaire réservée à l’énergie. D’après les statistiques de la Banque Mondiale, le taux moyen de perte électrique DANS LE MONDE a caracolé de 9,5% en 1960 à 8,3% pour 2014, alors que la Tunisie caracole au double de ce taux ! Il y a du chemin à faire donc. C’est ni la centralisation ni la verticalité à outrance qui vont nous sortir du guêpier, au contraire c’est notre perte qui sera assurée ainsi tant qu’on ne se branche pas sur le PV solaire et sur les sites de consommation pour limiter les pertes au minimum!

Pertes STEG sur transport et distribution:

– 2015=2 899 GWh=15,65%=755 479,4 tep=301 millions de dinars qui partent en fumée! C’est l’équivalent de nos importations de blé pour 4 mois de consommation… de pain!

– 2016=3 001 GWh=16,44%=782 060,6 tep=311 millions de dinars…

–  Perte moyenne mondiale = 8,3%, selon la Banque mondiale !

– Autant dire que le hiatus part en vrille et crescendo ! Pour une consommation dédiée à la clim de l’ordre de 5% de notre production nationale, on lui consacre 50% du parc ?

Il y va de la gestion de nos maigres ressources énergétiques fossiles, de nos maigres réserves en devises afin de faire face au déficit énergétique montant crescendo depuis 2010 jusqu’à frôler la barre fatidique de 50%, en 2017, alors que notre gisement solaire est d’au moins 17 000 TWh/an > à 4 milliards de tep/an pour une consommation électrique annuelle de l’ordre de 16 TWh < à 1/1000 !

2- Le Pic qui tombe à Pique :

  • On voit bien ici, sur le schéma dudit rapport, que le summum du recours à la clim intervient pour beaucoup dans la montée en puissance de la demande, rien que pour le résidentiel on a une consommation de l’ordre de 1000 MWh en pleine canicule…

  • Schéma correspondant pour les installations solaires PV :

On voit ci-dessous la courbe de charge pour le PV solaire, elle est en adéquation parfaite avec la demande de notre parc de climatisation établi par les services de notre vaillant Ministère de l’Energie

3- La Clim dé-carbonée : Pour faire simple comme le conseillait De Vinci:

L’aigle ne fuit jamais la tempête, plutôt il s’en sert pour prendre de la hauteur ! Pourquoi fuyons-nous le Chalumeau du Ciel?

Marions donc les deux courbes ; celle de la demande CLIM et de l’offre PV ! On peut facilement écrêter le pic, par du PV sur les toitures des usagers institutionnels et résidentiels, avec des pertes de moins de 5%, en déployant 2 GW c PV ! La réduction du pic de la demande serait de :

  1. a) Installations PV fixes : pic raboté de 400 MWh sur le site de consommation et pour une livraison de 3 TWh/an ou
  2. b) Installations mobile munis de traqueurs pour suivre la course du soleil : pic raboté de 560 MWh et pour une livraison de 4,2 TWh /an ; Traqueur que le génie local maîtrise bien la fabrication !

La production annuelle d’électricité verte mobilisé ainsi au profit de la clim nous offrirait une économie en énergie primaire conséquente de l’ordre de (a)750 000 tep/an ou (b) 1 050 000/an tep/an et pour 25 ans, de quoi rémunérer l’investissement engagé ! Aussi, sachant qu’un kWh délivré par les centrales à combustion, aux compteurs des consommateurs, nécessiterait de flamber 2 litres d’eau déminée, on économiserait, pour un pays assoiffé tel que le notre, 6 à 8,4 M de m3 d’eau potable/an, c’est une usine de dessalement valant 100 M de dinars à ne pas construire….

Par ailleurs, la réduction de nos importations de gaz, serait de l’ordre de 500 millions de dinars par an, on raboterait ainsi notre déficit commercial d’autant!

Le gisement d’emplois directs serait de l’ordre de 2 emplois/MW déployé, soit 4000 postes, et autant d’emplois indirects pour nos jeunes désœuvrés sciemment par le recours au fossile!

Sachant que l’ajout d’électricité verte proposé aura un rendu annuel inférieur à 30% de la production nationale, il n’aura aucune peine à être absorbé par le réseau de distribution dont la tolérance d’intégrer l’énergie renouvelable intermittente s’élève à 30% !

c- Californie, un exemple parlant : on voit bien comment, cet Etat de climat méditerranéen bénéficiant du même degré d’ensoleillement que le notre, a réussit depuis quelques années déjà à éroder son pic avec du PV ; pour nous tout ce qui est demandé urgemment c’est de réduire le pic caniculaire diurne !

Ainsi on ramènerait la pointe de la consommation constatée en 2016 de  3400 MW à 3000 ou 2840 MW selon l’option a ou b! Une véritable sinécure pour la nature et pour les deniers publics !

Au prix courant d’aujourd’hui, l’investissement requis ne dépasserait pas les 1000 $/ kW c PV et serait à la charge des usagers, financé par un programme idoine sur les fonds spéciaux promus par la COP21, dédiés à la lutte contre le dérèglement climatique, dont nous souffrons en premier : le déficit pluviométrique constaté pour janvier dernier s’élevait à 72%

Continuer ‘ business as usual’ c’est aller droit à une rupture de charge imprévisible ou à des charges d’investissements titanesques comme le cas le long des 15 dernières années ; mais aux conditions applicables à un pays désargenté et mal noté par les agences de rating … Ce que semble être le choix du Ministre de l’Energie qui vient d’annoncer un programme  très ambitieux…. Il prévoit d’investir 5 milliards de $ pour renouveler  et étendre le  parc en 3 ans ?! On est mal très mal !

La Tunisie, a initié dès 2009 le programme Prosol’élec, destiné aux secteurs résidentiels et tertiaires. Ce programme a permis la diffusion de petites unités photovoltaïques surimposées au bâti d’une capacité de 1 à 2 kWc, dans le cadre du régime de l’autoproduction. Il s’agit pour le cas d’espèce de lancer- en toute urgence- un programme Pro-Clim, où chaque climatiseur sera doté d’au moins 1 kW c PV, avec effet rétroactif pour les installations anciennes. Le financement sera similaire que pour l’ancien programme.

Quant à la recommandation majeure des auteurs du dossier, qui faisaient fi de la pépite de Léonard de Vinci, ils préconisent : “Encourager l’usage de la climatisation au gaz naturel et toute autre technologie n’utilisant pas l’électricité (sic) par des avantages fiscaux et des primes à l’investissement” ….Tout un programme … Par ailleurs, comme par hasard, le terme ‘énergie solaire’ n’a jamais été mentionné dans les 7 pages du dossier! Abscons non ?

En dernière analyse, voilà ce que nous permettait le soleil généreux : avec un investissement nominal équivalent à ce qui a été déjà dépensé pour la CLIM jusqu’à ce jour, et malgré la baisse du dinar, on pourrait récolter 3 à 4 fois plus d’électricité sans dépenser un kopeck pour le carburant ! Il n’est pas beau et généreux le soleil ? Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir !

La demande d’électricité est plus faible la nuit et le soleil toujours présent le jour, l’énergie solaire est une excellente base en journée. On peut donc remplacer une partie des centrales à combustion sans faire appel aux moyens de stockage

Quand le pic tombe à pique : on ramasse du fric au lieu d’en dépenser ?!

CHEIKHALIFA Mohamed, Macro-économiste, physiocrate