Rien ne changera dans le gouvernorat de Gafsa sans une révolution culturelle qui pourra transformer les mentalités et sauver l’une des régions les plus racées de la Tunisie de la décrépitude. Le phosphate, qui aurait dû être une bénédiction pour cette zone minière riche, est devenu une malédiction et l’une des causes de son instabilité sociale structurelle.

La CPG (Compagnie des phosphates de Gafsa) risque la faillite, et aux dernière nouvelles, son PDG a dénoncé une pratique qui avait démarré avec Ben Ali et qui a atteint des dimensions intolérables après 2011 : celle des recrutements à outrance dans le secteur de l’environnement. 

Soit des salaires réels de 700 à 800 dinars accordés à des travailleurs fictifs et des chômeurs de Gafsa. 95% des recrues dans l’environnement, 11.500 dont 7.500, sont de la région et le reste dispatché entre Sfax et Gabès, ne travaillent pas et perçoivent leurs salaires en restant chez eux. Faites le compte et vous verrez qu’aucune entreprise aussi puissante soit-elle ne peut résister à pareille hémorragie financière.

En cherchant la stabilité sociale et en choisissant la posture de l’autruche par l’adoption de décisions aussi lâches que ponctuelles, on a signé l’arrêt de mort d’une région connue jadis pour le nombre élevé de ses diplômés, sa dynamique culturelle et l’attachement de ses enfants à sa terre.

Au lieu de convaincre la population de se tourner vers une autre voie que celle de la fonction publique pour assurer l’avenir de sa progéniture, on a préféré la facilité, cherchant à satisfaire les caprices des tribus à l’intérêt et de la région, et de ses enfants et du pays, suivant ainsi le célèbre dicton tunisien «oktolni ilyoum w ahyini ghodhoua» (Tue-moi aujourd’hui et fais-moi revivre demain).

Travailler dans le public sonne comme une condamnation à perpétuité. S’il n’y a pas de travail avec l’Etat, on préfère le statut de chômeur…

«En général à Gafsa, témoigne un haut cadre, lorsqu’un enfant échoue dans ses études à l’école publique, on ne le forme pas pour qu’il devienne un artisan, ou un travailleur manuel, on ne l’encourage pas à monter sa propre affaire. Au contraire, on l’inscrit dans le privé et on s’acharne sur lui jusqu’à ce qu’il ait un diplôme qui lui permet d’intégrer la fonction publique. Travailler dans le public sonne comme une condamnation à perpétuité. S’il n’y a pas de travail avec l’Etat, on préfère le statut de chômeur conjugué avec celui de révolutionnaire que de créer sa propre entreprise ou de travailler dans le secteur privé en acceptant ses qualités et ses contraintes».

La CPG ! Tout le monde rêve d’y voir un jour ses enfants. Aujourd’hui que les contestataires, parmi lesquels figurent des mercenaires, des bandits militants et des jeunes manipulés par des partis ou des lobbies, ont fini par creuser la tombe de la CPG, que reste-t-il à dans la région ? Presque rien. Des enjeux géoéconomiques et des intérêts d’argent ont mis à mort la compagnie. A force de construire des murs sur les rails au su et au vu des autorités publiques, protégés par on ne sait quelle force ou quel diktat, des contestataires mercenaires ont ruiné un fleuron de l’économie tunisienne.

Aucun investisseur privé ne prendrait le risque de s’implanter dans pareille zone au risque de se trouver lui-même ruiné.

Et le malheur dans tout cela est qu’aucun investisseur privé ne prendrait le risque de s’implanter dans pareille zone au risque de se trouver lui-même ruiné.

Encore heureux qu’une usine telle que Yazaki y tienne le coup avec les syndicats forts sur tout le territoire national et encore plus forts à Gafsa ! Si ce n’est la compétence des dirigeants et leur ténacité face à des travailleurs, qui ne sont pas de tout repos car tout le temps, dans une logique revendicatrice, malgré toutes les incitations et les encouragements de la multinationale, les investisseurs auraient plié bagage depuis un bail ! Il y aurait même des projets qui auraient pu être réalisés sur place mais dont les clients frileux ont préféré les réaliser dans des sites plus stables socialement et plus sécurisants. Quoi de plus normal !

S’agissant des activités des composants automobiles, la compétitivité consiste en un bon rapport qualité/prix, la discipline des travailleurs et surtout la capacité de n’importe quel site à respecter les délais de livraison. Ce n’est malheureusement pas très sûr à Gafsa !

A qui la faute ?

Ce qui se passe aujourd’hui est la conséquence, comme cité plus haut, d’une tournure d’esprit presque exclusive aux régions du centre-ouest et du sud-ouest. Des régions où le niveau intellectuel est assez élevé mais où la culture entrepreneuriale est quasiment absente.

Nous ne pouvons assurer la marche de nos entreprises à cause de l’absence de la main-d’œuvre ou de son incapacité à s’adapter au rythme du secteur privé

Entre les régions du Sahel, le Cap-Bon, Sfax, Djerba et celles de l’intérieur, on parle très souvent du gap de l’investissement public, ce qui est archi-faux selon nombre d’économistes, mais on ne parle jamais du gap en rapport avec l’esprit de l’entreprise et l’importance d’encourager la libre initiative et la création de projets. Nous avons même des exemples d’enfants de la région qui voulaient y développer des entreprises mais qui l’ont fui parce que : «Nous ne pouvons assurer la marche de nos entreprises à cause de l’absence de la main-d’œuvre ou de son incapacité à s’adapter au rythme du secteur privé».

Qui oserait investir dans une zone où les revendications sont un pain quotidien jusqu’à devenir une dépendance de l’esprit ?

Il revient aux enfants de Gafsa de sauver leur région !

Grands temps pour que les enfants de Gafsa se remettent eux-mêmes en cause et osent une révolution culturelle. Grands temps pour qu’ils travaillent sur eux-mêmes et arrêtent de politiser leurs attentes et leurs ambitions de développer leurs régions, encouragés par des partis qui ont montré ces dernières années leurs limites à tous points de vu, si ce n’est la facilité à décevoir aussi bien les attentes de leurs sympathisants qu’à trahir les intérêts du pays.

Le mouvement mobilisateur lancé récemment par les travailleurs de la CPG avec pour leitmotiv «Sauvons la CPG» pourrait être une lueur d’espoir pour la région s’il est conjugué avec un autre leitmotiv «Entreprenons, créons, innovons et investissons». La CPG ne peut plus et ne doit plus être l’épée de Damoclès qui détruit le développement de la région et handicape l’économie du pays.

Le mouvement mobilisateur lancé récemment par les travailleurs de la CPG avec pour leitmotiv «Sauvons la CPG» pourrait être une lueur d’espoir pour la région…

Dans l’attente, le président de la République devrait peut-être prendre l’initiative, grâce à l’autorité morale dont il dispose, de mettre fin à la logique consensuelle du gouvernement d’union «confessionnelle et idéologique» et qui ne permet la prise d’aucune décision mais tout au contraire encourage la dilution des responsabilités pour changer les donnes sur terrain.

Toute la Tunisie est fatiguée, épuisée, angoissée par la mollesse dans l’application des décisions gouvernementales telles la protection des sites de production qui n’a jamais eu lieu.

Quant aux apprentis politiques de l’ARP, qu’ils continuent leurs diatribes populistes qui ne valent plus rien et auxquelles personne ne croit

Les internationaux eux-mêmes ont perdu leur confiance dans la capacité de la Tunisie à mener à bon port le navire de la transition économique. Ils s’attendent à ce qu’elle entre droit dans le mur pour que tous les décideurs en prennent pour leur lâcheté et leurs bêtises et passent le flambeau à d’autres qui voient, décident, appliquent et avancent !

Quant aux apprentis politiques de l’ARP (à quelques exceptions près), qu’ils continuent leurs diatribes populistes qui ne valent plus rien et auxquelles personne ne croit, au lieu de réfléchir les bonnes lois et de légiférer dans l’intérêt du pays. Car, quand le navire prendra de l’eau, ils seront les premiers auxquels le peuple aura du plaisir à enfoncer les têtes dans les profondeurs de la Méditerranée ! On n’a pas idée d’être aussi limités politiquement, économiquement et socialement, et de vouloir prendre toutes les décisions pour la gestion d’un pays le prenant, lui, en otage ainsi que son peuple figurant, pourtant parmi les plus éclairés du monde arabo-musulman.

Amel Belhadj Ali