«Je vous avoue que nous ne sommes nullement rassurés sur le climat d’affaires dans votre pays. Nous avons l’impression que nous n’avons plus affaire à un Etat et des institutions mais à des mafias qui gèrent nombre d’administrations concernées par la création d’entreprises et les investissements. Le cadre réglementaire dont parlent les hauts responsables de votre pays est peut-être mal assimilé par les exécutants. Nous n’arrivons toujours pas à saisir le niveau de sérieux des engagements de l’Etat en ce qui concerne les partenariats publics-privés, sans parler des mauvaises pratiques dont nous entendons parler dans les ports et certains services administratifs».   

Cet entrepreneur est français, c’est-à-dire en provenance du pays considéré comme étant le premier partenaire économique de la Tunisie. Comment parler dans ce cas d’un redémarrage des investissements étrangers lorsque l’image du site Tunisie a été altérée à ce point? La présidente de l’UTICA a, elle-même, déclaré à maintes reprises que dans la situation actuelle du pays, il n’est pas question d’investir. Si les nationaux hésitent à investir dans leur propre pays, que dire alors des internationaux?

Nous n’arrivons toujours pas à saisir le niveau de sérieux des engagements de l’Etat en ce qui concerne les partenariats publics-privés, sans parler des mauvaises pratiques dont nous entendons parler dans les ports et certains services administratifs

Ceci en l’absence d’une politique claire de lobbying économique et politique en faveur de la Tunisie. Serions-nous pauvres à tel point où, comme le font d’autres pays ou un parti comme Ennahdha, nous sommes incapables de louer les services d’une agence de lobbying? Une agence qui parlera de ces Tunisiens qui prennent des risques et réussissent leurs paris, et de ces autres étrangers qui croient toujours et encore en notre pays?

«Pouvons-nous investir dans un pays où les syndicats sont aussi forts?»

Un autre entrepreneur français, membre d’une organisation représentant une région de la France dont le PIB est égal à celui du Portugal, a pour sa part exprimé ce souci: «Pouvons-nous investir dans un pays où les syndicats sont aussi forts?». La réponse lui a été donnée par Mohamed Ali Boughdiri, chargé du secteur privé à l’UGTT et membre du bureau exécutif de l’UGTT, qui a tenu à le rassurer lui garantissant que l’UGTT tient à défendre les intérêts des travailleurs en préservant les entreprises. Ne doutons pas de la bonne volonté de M. Boughdiri et prions pour que ces vœux ne restent pas pieux !

Si ceux qui détiennent le pouvoir de décision sont dans le doute, comment devons-nous réagir,

Autre attestation venant cette fois-ci d’un cadre hôtelier tunisien : «Vous savez ce qui m’effraye le plus madame, c’est lorsque nous recevons dans notre unité hôtelière des ministres, que nous leur posons des questions sur les chances de notre pays de s’en sortir et qu’ils réagissent en nous disant “Inchalla“ ou en levant leurs mains au ciel! Si ceux qui détiennent le pouvoir de décision sont dans le doute, comment devons-nous réagir, nous en tant que peuple?».

Cela fait sept ans que personne ne réussit à bien tenir le gouvernail de la Tunisie et cela n’arrivera pas de sitôt si toutes les bonnes volontés ne s’y mettent pas et arrêtent de s’exprimer à travers les réseaux sociaux, et si les politiques consensuelles mesquines ne changent pas.

La vision! Où est la vision?

Une question à un million de dollars: comment être sûrs que le gouvernement est capable de donner confiance aux investisseurs et redonner confiance à ses propres citoyens afin que ceux-ci puissent espérer évoluer dans un climat socioéconomique sain? La vision! Où est la vision?

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on sait que la qualité des institutions d’une société est d’importance capitale à un développement réussi. Mais les institutions valent également par ceux qui les dirigent. Et ce que nous vivons aujourd’hui dans notre pays s’apparenterait plus à un chaos institutionnel !

Des ministres qui ont peur de leurs collaborateurs, des cadres moyens et même des sous-cadres et qui ne prennent pas de décisions et ne s’engagent dans rien. Ils auraient peur qu’un sous-sous fifre qui connaît un député leur monte une affaire faite de délations et de fausses allégations pour qu’ils soient confrontés à la hargne et la haine d’élus du peuple qui ont fait de l’impolitesse, de l’incorrection et de la brutalité un fonds de commerce.

Madame, en ce qui me concerne, j’ai tout compris, je ne m’adresse plus aux premiers responsables, je n’en ai rien à cirer, ce sont les cadres moyens que je gâte et cajole

Par contre, le sous-fifre, lui, a tout pouvoir de décision, il peut faciliter nombre de choses à ceux qui font preuve de générosité. «Madame, en ce qui me concerne, j’ai tout compris, je ne m’adresse plus aux premiers responsables, je n’en ai rien à cirer, ce sont les cadres moyens que je gâte et cajole, du coup, j’ai tout ce que je veux sans trop me casser la tête, et je peux vous assurer que cela marche à tous les coups». Un autre témoignage d’un investisseur de taille qui gère l’une des belles affaires de la Tunisie.

Lorsque l’on s’acharne sur les compétences, l’on s’attarde sur les détails et que l’on oublie l’essentiel, lorsqu’on ne voit pas le tableau en entier mais que notre regard s’attarde sur tout juste un petit point, lorsque l’on manque de clairvoyance et qu’on n’a pas de vision, l’Etat meurt et tout devient permis.

les pouvoirs publics sont frileux et les ministres et hauts cadres sont allergiques aux signatures

En Tunisie, il n’y a plus d’institutions sécurisantes, les changements de cabinet sont légions, les pouvoirs publics sont frileux et les ministres et hauts cadres sont allergiques aux signatures qui peuvent servir les intérêts du pays par couardise et incapacité d’assumer leurs responsabilités. Une grande partie des députés est populiste, a peur des syndicats et massacre les créateurs de richesses et d’emplois en rackettant au passage, à chaque fois que l’occasion se présente, et une autre sert les intérêts des partis en soutenant les sponsors qui ont droit à tout.

Des élus du peuple, aux dires d’un taximan -j’adore le bon sens populaire- tellement obnubilés par les questions d’argent qu’ils ont oublié l’essentiel : voir grand et préserver le pays et ses intérêts.

Face à autant d’amateurisme amoncelé sur près de 7 ans, ne nous étonnons pas de voir les conflits sociaux s’exacerber, les cerveaux fuir le pays, le budget de l’Etat pourtant débattu par la commission des finances de l’ARP rejeté après coup -à mourir de rire- et le taux d’inflation atteindre les 6,4%, ce qui illustre le degré d’effondrement de l’économie.

Mais ce n’est pas grave. L’homme qui a dit non n’a-t-il pas également annoncé que la terre de la Tunisie est protégée par les saints?

Amel Belhadj Ali