Une étude réalisée par la GIZ et les Nations unies (Institut de recherches sur la justice et les crimes inter-régionaux) n’a pas semblé intéresser médias et décideurs publics.

Intitulée « Flots financiers illicites et recouvrement d’avoir en Tunisie », cette étude brosse un tableau pas très brillant de la situation dans le pays. Elle met l’accent sur une menace particulière : celle du terrorisme.

« Le rapport 2016 du Groupe d’action financière (GAFI) indique que la plus grande menace pour la Tunisie est le financement du terrorisme, suivi de celui de la corruption et la vulnérabilité du secteur financier ».

L’économie tunisienne souffre beaucoup des flux financiers illicites (FFI). Une étude de la Global Financial Integrity (Intégrité financière mondiale) montre que la Tunisie subit une perte de plus de 1,2 milliard de dollars (environ 4 milliards de dinars) par an en raison des FFI. En 2013, ce montant s’élevait à plus de 2 milliards de $ en 2013 (5,6 milliards de dinars), soit 181 $ par habitant.

Une autre étude a récemment révélé que les revenus du commerce informel entre la Tunisie et ses voisins (Libye et Algérie) sont de l’ordre respectivement de 1,8 et 2,4 milliards de $, soit 11,760 milliards de dinars.

Avec un PIB déclaré de 38,79 milliards $ (110 milliards de dinars) *, nous ne pouvons pas dire que ces pertes n’érodent pas en profondeur l’économie nationale.

Un point toutefois en faveur de la Tunisie, celui de sa résilience face à la criminalité organisée. En effet, selon le rapport GIZ/Nations unies, la Tunisie est très résiliente à la criminalité organisée grâce à son cadre législatif robuste qui lui permet de lutter contre elle. Il n’en demeure pas moins que nombre d’activités illicites, existant sous différentes formes, menacent sérieusement la stabilité économique et sociale du pays.

Le terrorisme et son financement : les activités criminelles les plus répandues

Selon le GAFI, c’est le terrorisme et son financement qui représentent l’activité criminelle la plus répandue, suivie de la corruption. Le Département d’État américain et ENACT estiment que les clandestins et la traite des personnes représentent également des menaces importantes pour le pays.

La contrebande illégale de drogues (en particulier de cannabis) et le trafic de marchandises et de carburant nuisent considérablement à l’économie tunisienne dans son ensemble. 2019, les douanes tunisiennes ont indiqué que la valeur des marchandises de contrebande saisies s’élevait à 244 millions de dinars tunisiens (MDT) ; pour les 11 premiers mois de 2021, le montant des marchandises saisies a été de 278 MDT.

Parmi ces marchandises, le carburant représente une perte de revenus énorme, tant pour l’État que pour les propriétaires d’entreprises locales. En 2017, on estimait qu’environ 30% de toutes les ventes de carburant appartenant au pays provenaient du marché illicite du carburant, avec plus de 20 000 personnes impliquées dans son trafic. Rien qu’en 2016, quelque 40 stations-service ont fait faillite en raison de cette activité illégale.

Les drogues et le tabac représentent également des produits de contrebande populaires. La consommation et le trafic de cannabis sont en hausse depuis dix ans.

Des recommandations ont été émises dans le cadre de l’étude GIZ/Nations unies pour juguler les phénomènes de fonds financiers occultes en Tunisie. On y suggère d’adopter systématiquement la confiscation pour sanctionner les transgresseurs de la loi : « Le gouvernement tunisien devrait envisager d’adopter et mettre en œuvre la confiscation, comme une norme et non comme une exception, ce qui doit permettre au tribunat, une fois la condamnation prononcée, de saisir automatiquement les biens dont on prouve qu’ils ont été acquis de manière illicite.

Les auteurs de l’étude appellent également à adopter des mécanismes plus souples pour trancher dans les affaires pénales en rapport avec les fonds financiers illicites dont la négociation avec un défendeur qui s’engage à restituer les biens dont il est prouvé qu’ils sont les produits d’opérations criminelles, ou lorsqu’il fournit des informations fiables concernant des crimes graves ou des avoirs obtenus illicitement.

La Tunisie n’a pas attendu le rapport en question pour renforcer ses opérations de lutte contre les fonds illicites. La toute dernière création de la CTAF (Commission tunisienne des analyses financières) est la plateforme Hannibal dont l’une des missions est un contrôle rigoureux du trafic des devises et du blanchiment d’argent.

La plateforme Hannibal est le produit d’une coopération étroite entre le ministère de l’Intérieur, les douanes, les banques, les bureaux de poste et les bureaux de change. Elle a pour rôle d’identifier et surveiller les risques nationaux de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Lire aussi: En 2020, la CTAF a transmis à la justice 697 dossiers de blanchiment d’argent et de crimes sous-jacents

Elle permet de :

– obtenir des données en temps réel sur le volume d’importation des produits étrangers en devises et toutes les opérations bancaires effectuées en devises ;

– surveiller la destination finale des devises exportées ou importées et déclarées à la douane et calculer ainsi le volume de devises étrangères qui n’ont pas suivi le circuit légal de manière à identifier les « passeurs de fonds », une activité qui s’est beaucoup développée pendant cette décennie surtout de et à destination de la Turquie via des personnes présumées « respectables » ;

– fournir des données pertinentes aux institutions financières pour réduire les risques liés à l’utilisation du système financier légitime pour mener des transactions en espèces suspectes ;

– effectuer plusieurs intersections selon un ensemble de variables à obtenir des avertissements immédiats en fonction des paramètres programmé ;

– fournir des données en temps réel sur les saisies de devises étrangères et les statistiques selon les classements choisis.

Aussi bien la BCT, la CTAF que les services des ministères des Finances et de l’Intérieur s’investissent aujourd’hui dans la lutte contre la contrebande, le financement du terrorisme, le blanchiment d’argent et toute forme de fonds occultes pouvant menacer la sécurité économique de la Tunisie. Reste maintenant la justice : assure-t-elle, assurera-t-elle ?

Amel Belhadj Ali

*2017

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