Le secteur Textile & habillement en Tunisie, fleuron de l’industrie manufacturière locale depuis plus de 40 ans en termes d’emplois (177.000 postes) et de nombre d’entreprises avec 1.820 entreprises dont 1.524 totalement exportatrices serait selon les centrales patronale et syndicale, « en déclin significatif ».

Pour avoir une idée de l’ampleur de la crise, sur 5 articles écoulés sur le marché local, un seul est d’origine tunisienne, et ce, selon la fédération nationale du textile (Fenatex).

Pour délimiter les responsabilités patronat et syndicat pointent du doigt la prolifération de l’informel et de ce qu’ils appellent « la contrebande légalisée ». C’est du moins si on croit deux responsables représentant les deux centrales.

Dans une récente déclaration, Habib Hazami, le Secrétaire Général de la Fédération Générale du Textile, de l’Habillement, du Cuir et des Chaussures de l’UGTT a révélé  que seules 70 entreprises sont actuellement actives dans ce domaine, un nombre bien loin des plus de 200 unités qui opéraient autrefois le secteur.

Le nombre des unités de tissage et de finition en déclin avancé

Cette réduction drastique témoigne d’une érosion de l’industrie textile (tissage et finition), réduite au taux de 15% de la filière globale du textile-habillement qui compte encore 1.700 entreprises.

Principale difficulté rencontrée par le secteur, l’importation massive de tissus finis depuis Taïwan, une pratique que Hazami qualifie de “contrebande légalisée”.

Cette situation place les entreprises locales, qui s’engagent dans le processus complet de fabrication, du lavage à la finition, dans une position désavantageuse en raison de coûts de production élevés.

Autre difficulté évoquée par Hazami, l’importance du volume d’importations, « la Tunisie importe annuellement plus de 100 millions de mètres de tissu, une quantité qui, si elle était réduite à 20 millions, pourrait significativement contribuer à la relance du secteur textile local ».

La fripe de luxe livrerait une concurrence déloyale au secteur manufacturier

Pour sa part, le représentant du patronat,  le président de la Chambre nationale syndicale du commerce du textile et du prêt-à-porter, Mohsen Ben Sassi a tiré des boulets rouges sur la « fripe de luxe » et lui a fait assumer une part de la crise dans laquelle se débat le secteur.

Ben Sassi a qualifié, dans une déclaration faite le 21 mars 2024, d’ »illégaux » les vêtements d’occasion, communément appelés “fripe de luxe”. Il a laissé entendre que ce type de commerce qui commence à envahir les quartiers chics des grandes villes, livre une concurrence déloyale au Prêt-à-porter industriel.

Ben Sassi estime que les nouveaux vêtements vendus dans des magasins d’une superficie allant jusqu’à 300 mètres carrés, qualifiés de “fripe de luxe”, ne relèvent pas de la catégorie des vêtements d’occasion et sont donc en violation de la loi en ce sens où ils concurrencent déloyalement le secteur manufacturier formel.

Les solutions proposées

Au rayon des solutions, Ben Sassi a préconisé le soutien aux produits tunisiens qui seraient d’après lui « compétitifs » (prix abordables) et « d’ excellente qualité ».

De son côté, Habib Hazami a proposé l’application de la préférence nationale en vertu de laquelle le gouvernement peut favoriser les entreprises locales dans l’attribution de marchés publics ou offrir des subventions et des avantages fiscaux principalement aux entreprises nationales.

A titre indicatif, pour stimuler la production locale il a plaidé pour l’octroi exclusif aux entreprises de textile locales du marché des uniformes des forces armées et de la police.

La responsabilité du secteur et des structures d’appui

Par delà ces revendications patronale et syndicale, il faut reconnaître que les textiliens tunisiens, habitués aux situations de rente que leur procurent  les juteuses incitations fiscales et financières ne se démènent pas assez pour s’imposer sur les marchés local et étranger.

Pour ne citer qu’un seul exemple : réputés d’être jusque là par l’effet de la sous-traitance, de simples poseurs d’étiquettes, les textiliens tunisiens ne font pas preuve d’innovation,  d’imagination et d’anticipation. Est-il besoin de rappeler que la tendance, aujourd’hui  est à l’anticipation.

Face à la recrudescence de la concurrence turque et chinoise sur le marché européen, les textiliens tunisiens n’ont d’autre solution pour devancer ses concurrents que de s’informer, à l’avance (deux ans au moins) des macro-tendances de la mode. L’anticipation de la mode est devenue de nos jours un enjeu stratégique. Il faut reconnaître que les instruments disponibles pour s’en informer sont coûteux mais c’est aux structures d’appui (CETTEX) de s’en charger.

Par ailleurs, les textiliens tunisiens pour s’imposer à l’extérieur doivent faire leurs preuves sur le marché local. Après plus de quarante ans d’activités, ce secteur ne parvient pas à habiller la population locale. Plus de 60% des tunisiens s’habillent chez les fripiers et ne se permettent d’acquérir des habits neufs qu’à l’occasion des périodes des soldes.