Le CEPEX organise une première africaine avec une plateforme de e-Business qui va connecter les exportateurs tunisiens aux acheteurs de 25 pays du continent. Une prouesse technologique. Et de grands espoirs commerciaux.

Ali Abdelssalam

Le CEPEX (Centre de promotion des exportations) connaît une grande euphorie pour avoir réussi à mettre sur pied une plateforme électronique de business matching. C’est cette plateforme qui permettra de réaliser la « Tunisia Africa E-business Meetings ».

De format 100% numérique, cette manifestation se déroulera les 18, 19 et 20 novembre 2020 et sera activée à partir du siège du CEPEX. Dans cette optique, lundi 16, Chekib Ben Ahmed, DG du CEPEX, s’est connecté aux représentants de la presse des 25 pays participants pour leur présenter l’événement et dialoguer avec eux des perspectives d’élargissement des échanges intra-africains.

Le switch technologique audacieux

Tunisia Africa Business Meetings est une initiative conçue dans le cadre du Conseil supérieur des exportations, réuni au cours de l’année 2018. Elle était initialement programmée pour les 10 et 11 septembre 2019. Les conditions matérielles n’étant pas réunies à l’époque car le pays organisait les élections et législatives et présidentielle. D’où son report pour 2020.

Le CEPEX, son organisateur, ne s’est pas laissé démobiliser par les caprices de la pandémie de Covid-19, et a décidé de la tenir en format numérique en la baptisant « Tunisia Africa E-Business Meetings ». Et c’est la seule parade que l’on pouvait opposer aux restrictions de voyage, de séjour ainsi qu’aux contraintes de distanciation. Et ce sera fait. Et l’adhésion des pays participants a été totale. Ce qui est une gageure d’un point de vue technologique et un pari risqué d’un point de vue organisationnel.

La manifestation aura bel et bien lieu et les participants pourront dialoguer en mode virtuel. En effet, la plateforme de Business Matching permet aux participants d’avoir un agenda individuel de contacts selon leurs souhaits. Ce meeting se déroulera donc dans des conditions optimales. Et Chekib Ben Ahmed promet de publier le nombre de rendez-vous BtoB effectifs qui servirait d’indicateur de performance.

Etoffer les échanges intra-africains, utopie ou réalité ?

Ce rendez-vous continental arrive à point nommé. Tous les pays africains voient leurs échanges avec le rester du monde stagner ou régresser du fait du ralentissement des flux commerciaux, des suites de la crise sanitaire. C’est l’occasion de se pencher sérieusement sur la possibilité de doper les exportations intra-africaines lesquelles ne représentent que 17% du total des échanges du continent.

En soi, il faut bien reconnaître qu’ils sont en-dessous du potentiel de l’Afrique. Proches de nous, les échanges intra-européens représentent 67% du total du commerce extérieur de l’Union. Cela nous laisse de la marge.

En Tunisie, les pouvoirs publics considérant que l’avenir du commerce extérieur du pays est largement tributaire d’une percée continentale, le chef du gouvernement a voulu envoyer un message politique fort à la communauté d’affaires en inaugurant lui-même l’événement.

Par ailleurs, cette orientation trouve un écho favorable partout sur le continent. D’ailleurs, l’Union Africaine sera représentée par son haut commissaire au commerce. Et même les bailleurs de fonds abondent dans ce sens, à l’instar de la coopération allemande, GIZ, est partenaire de ce sommet commercial.

Il faut rappeler que l’expansion des exportations est un puissant accélérateur de croissance. C’est dire l’importance de Tunisia Africa E-Business Meetings.

L’événement connaît une participation étoffée de la part des pays sub-sahariens. Un rapide coup d’œil sur le Top five nous donne le Nigeria en tête avec la plus grande représentation qui compte 102 acheteurs confirmés. La Côte d’Ivoire arrive en 2ème position avec 67 importateurs. Le Cameroun alignera 63 acheteurs et le Kenya 62 importateurs. La Tunisie a toujours cherché à développer ses échanges avec le reste du continent mais c’est resté un vieux pieux, car non suivi d’effets… Et l’horizon continental ne manque pas d’enthousiasmer les opérateurs nationaux. Mais comme on le verra plus loin, les obstacles s’avèrent parfois démotivants.

L’Etat des lieux

De quoi échangeront les 384 opérateurs tunisiens inscrits et confirmés sur la plateforme avec, tenez-vous bien, les 452 importateurs issus des 25 pays africains attirés par cette foire ?

A l’évidence, les opérateurs tunisiens ont privilégié les 12 secteurs d’activités où ils réunissent des avantages comparatifs. Mais là également où ils possèdent des capacités de production suffisantes ainsi qu’une certaine expérience du commerce international. Il y aura, comme l’on s’y attendait, le secteur du BTP, celui des matériaux de construction, du textile/habillement, des IAA, des IME, de la chimie ainsi que l’artisanat et les services, pour ne citer que les secteurs phares.

A ce jour, 1 300 rendez-vous BtoB ont été enregistrés. Il faut savoir que la Tunisie ambitionne de doubler ses exportations sur le reste du continent. A l’heure actuelle, ils ne représentent que 2,75% du total de ses échanges extérieurs. L’objectif recherché est d’aller vers les 5% en 2021. L’audace marchande aidant, cet objectif reste à portée de main, n’étaient les contrariétés de la crise sanitaire. Mais Chekib Ben Ahmed soutient que les flux avec certains pays ont surfé sur la Covid-19. Avec le Cameroun, à titre d’exemple, nos échanges ont enregistré une augmentation de 6% sur les 9 premiers mois de 2020 par rapport à 2019. En revanche, ceux avec la Côte d’Ivoire, notre premier partenaire et avec qui nous réalisons 10% de nos échanges africains, ont baissé de 12%. Toujours est-il que l’un dans l’autre, les flux sont sur une tendance en augmentation.

Les obstacles à l’expansion du commerce

Les opérateurs rencontrent des obstacles à la chaîne. En premier viennent les liaisons aériennes et maritimes, rares et avec des réseaux de desserte qui n’assurent pas une couverture territoriale optimale. Vient ensuite la chaîne logistique et l’infrastructure portuaire notamment, souvent en défaut. A titre d’exemple, le port de Radès, dont la capacité de traitement du fret et du trafic commercial est modeste, ne permet pas des expéditions directes pour les destinations africaines. Les expéditions tunisiennes doivent transiter par des ports intermédiaires, tel Tanger Med. Et cela surcharge les coûts et réduit l’avantage concurrentiel.

Il y a également les conditions tarifaires. Elles présentent des disparités et sont parfois discriminantes. Il y a aussi, comme le révèlent les études de TABC (Tunisian African Business Council), les difficultés de financement des exportations. Sans oublier également la rareté des compagnies d’assurance à l’export. Sur le continent, dix pays possèdent des compagnies de couverture des exportations, laissant le risque à la charge totale de l’exportateur.

La lueur d’espoir de la Zone de libre-échange africaine

Quoiqu’il en soit, les opérateurs sont décidés à avancer. Et sur cette voie, les pouvoirs publics en Tunisie souhaitent apporter une contribution en conséquence.

Chekib Ben Ahmed annonce la refondation du FOPRODEX (Fonds de promotion des exportations), et c’est un levier considérable pour la promotion des exportations. Il est envisagé de porter les subventions maritimes à 50% ; celles aériennes à 60% et les incitations pour les opérations de promotion, dont notamment les participations aux foires, à 70% de leur coût.

Pourquoi avoir attendu autant ?, s’interroge un confrère ivoirien. Il faut bien commencer un jour. Et nous espérons que ce ne seront pas des mécanismes seuls qui seront mis en place mais bien une stratégie modulable et pérenne. Il reste que les opérateurs font la part des choses. Les aides ponctuelles sont d’un secours précieux. Cependant, rien ne remplace la prise de risque directe. Pas moins de 120 entreprises tunisiennes sont physiquement implantées en Côte d’Ivoire et cela est à même de constituer une force de vente considérable. Les importations tunisiennes en provenance de la Côte d’Ivoire ont été multipliées par dix, entre 2018 et 2020. Voilà un exemple à répliquer. Bien entendu, il va y avoir la ZLECA.

A l’heure actuelle, 90% des marchandises sont concernées et les tarifs douaniers ont été révisés en conséquence. Cependant, les négociations sur les règles d’origine sont en cours de négociation. Et dans cette perspective, on peut s’attendre à un cadre qui pourrait susciter un boom des échanges intra africains.