Le 29 novembre 2018 se profile comme “The Day after“. En effet, on le perçoit comme le jour d’après le 14 janvier 2011. L’errance du parcours démocratique nous conduisait à l’égarement. Et, voilà que BCE, en ce jour, donne l’étincelle pour rectifier le tir. A bout portant, on dirait. On retrouve l’esprit et l’allant du fameux “Pas en avant“. La logique de la patrie reprend le dessus sur les petits calculs de partis. BCE prend rendez-vous avec l’histoire.

Jeudi 29 novembre, marquez bien cette date. Oh, yes! Save the date. Ce jeudi n’est pas comme ses aînés, jeudi noir*, il échappe à cette malédiction. Par le génie patriotique, ce jour devient jeudi de l’espoir démocratique.

Ennahdha, la mise à l’index

Les faits ici sont de peu d’importance. Rappelons-les, toutefois. Ce jour, BCE a confié au Conseil national de Sécurité le sort de dossiers piégés. Oui, vous avez bien lu, il s’agit de dossiers explosifs. Ils concernent les assassinats politiques des martyrs de la nation, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. De même, l’enquête sur le corps sécuritaire secret, ou parallèle, du parti Ennahdha, soupçonné d’espionnage des corps de l’Etat. Et, dans la foulée celle visant l’assassinat de François Hollande lors de sa visite en Tunisie, en juillet 2013. Tout cela est bien intriguant, en surface.

Cependant, dans l’opinion tout converge à charge du parti Ennahdha et de ses activistes de l’ombre -ou des ténèbres-, comme l’on voudra. Les accointances de ce parti et même sa probable collusion avec la nébuleuse terroriste hantent l’esprit des Tunisiens. Et, c’est allé au-delà de la simple présomption. Par conséquent, une soif de connaître la vérité s’empare du peuple. Il y a une fixation nationale sur le sujet. Le Conseil National de Sécurité est dans une posture telle qu’il doit aller jusqu’au bout. La vérité devra être dévoilée au grand jour. Et ce dernier acte devient “ardente obligation“. Et par-delà les faits, la question est de savoir “jusqu’où ira l’onde de choc“.

Au service de la patrie et non sous mandat nahdhaoui

Ce jeudi 29, BCE, une fois encore, montre qu’il a les coudées franches. Il s’exprime publiquement dans une vidéo diffusée sur le site de la présidence. Oui, il montre au bon peuple qu’il est franc du collier. Il dira en substance qu’il récuse le carton rouge d’Ennahdha. Il faisait là allusion au ton directif du communiqué d’Ennahdha, publié tard dans la soirée du 27 où on lui intimait de rester neutre. “Tenez-vous à carreau“ était la traduction en langage populaire de la consigne adressée au chef de l’Etat.

A sa manière, BCE alerte sur la tentative de ce parti de régenter l’Etat, au motif d’une victoire de courte tête au scrutin municipal.

Le président Essebsi affirme haut et fort qu’il prendra ses responsabilités en saisissant le Conseil National de Sécurité. Il prend l’opinion à témoin, rappelant qu’il est sous mandant populaire et pas à la solde d’Ennahdha.

A sa manière, BCE alerte sur la tentative de ce parti de régenter l’Etat, au motif d’une victoire de courte tête au scrutin municipal. Et d’une plus grande présence au gouvernement à l’issue du dernier remaniement.

BCE lui signifie que tout cela n’est pas un droit à l’hégémonie sur la vie politique de la nation. La souveraineté est un acquis inaliénable du peuple tunisien. Avec habileté, le voilà qui met Ennahdha en porte-à-faux. Ce parti voudrait donc substituer son socle électoral au peuple tunisien. Il y a donc comme une tentative de manipulation de légitimité. En gouvernance d’entreprise, on dira qu’il y a tentative de contrôle minoritaire.

Attention, le fair play est à la base des mœurs politiques en démocratie.

Le scénario frisson du choc des cultures politiques

Par-delà ce pugilat politique, se déroule la mère des batailles pour la démocratie. Ennahdha pensait avoir bouclé la transition avec la Constitution de janvier 2014. Par certains aspects, ce texte lui procure un masque démocratique. Ennahdha y voyait un sauf-conduit pour filer vers une victoire en octobre 2019 aux prochaines législatives.

Or ce jeudi 29 novembre, BCE lui met une tare, lui accolant un passif judiciaire. Outre qu’il l’a fait trébucher sur le projet de loi portant sur l’égalité successorale. En refusant le principe de l’égalité dans l’héritage, Ennahdha a commis une erreur de parcours. Le parti s’est appuyé sur une fausse béquille, à savoir sa lecture islamiste de l’article premier de la Constitution.

la lecture démocratique de cet article stipule un régime civil pour un peuple musulman. De ce fait, tous les articles qui suivent prennent sens et notamment ceux relatifs aux libertés publiques et à l’égalité entre les genres.

En s’agrippant à la lecture intégriste, Ennahdha met en avant le fait que l’Islam est la religion de l’Etat. C’est-à-dire une option ferme pour une République islamiste. Dans cette perspective, tous les articles suivants n’ont plus de raison d’exister, et c’est la Chariaa qui prend leur place. Et adieu libertés publiques et égalité entre les genres.

En revanche, la lecture démocratique de cet article stipule un régime civil pour un peuple musulman. De ce fait, tous les articles qui suivent prennent sens et notamment ceux relatifs aux libertés publiques et à l’égalité entre les genres. C’est ce qui sert de base juridique à l’égalité successorale qui est le dernier palier sur la voie de l’égalité totale, entre l’homme et la femme.

Ce projet abolirait le dernier trait de discrimination à l’égard de la femme tunisienne. Et cette œuvre d’émancipation totale de la femme ne heurte en rien les commandements de la religion musulmane, comme le démontre le rapport de la COLIBE.

“Alea jacta Est“, BCE franchit le Rubicon

Ennahdha est tombé dans la trappe des urnes. Assoiffé de pouvoir, il a accumulé les contreperformances. On voit un parti dire en façade avoir renoncé à la Chariaa. Et BCE le poussant à la faute démontre que ce parti garde son référentiel charaïque chevillé au corps.

Sa condescendance pour le secteur informel ne fait que compliquer l’existence au secteur organisé et pourrir la vie aux économiquement faibles. La vénalité de ses responsables au gouvernement est un sujet colporté par tous. La volonté de noyautage des circuits administratifs avec les nominations partisanes apparaît dans toute son étendue aux yeux de l’opinion. Ses forfaits démocratiques s’entassent. Ajouter, les accusations qui concernent la sécurité nationale et la boucle se trouve bouclée.

Ce parti est regardé comme un “OGM démocratique“. Et on découvre que l’ADN islamiste reste identique à lui-même, avec un toilettage grotesque

Le parti avait la partie belle auparavant de rejeter les critiques qui lui étaient adressées en se réfugiant derrière le paravent de l’anti-islamisme primaire. A présent la donne a changé. Ce parti est regardé comme un “OGM démocratique“. Et on découvre que l’ADN islamiste reste identique à lui-même, avec un toilettage grotesque.

Tout le projet nahdhaoui se révèle à l’opinion dans sa réalité, repoussée par la majorité du peuple. Et c’est BCE, procédant par petites touches, qui l’a mis à nu. Et, le provoque en duel. Désormais Ennahdha est dos au mur et ne peut plus compter que sur sa base électorale. S’il arrive au prochain scrutin, c’est-à-dire s’il échappe à la dissolution entre temps, ce parti se retrouvera dans une configuration tout à son détriment. Et en face, il devra affronter un Nidaa ragaillardi car l’offensive de BCE lui profitera directement.

La joute électorale nous paraît réglée. Le thème central sera la réécriture de la Constitution ou son éventuel amendement. La loi électorale figurera au menu. La nature du régime sera également revue et, en toute probabilité, rectifiée. Toutes ces composantes, une fois rectifiées, pourraient concourir à asseoir la stabilité politique.

Nous voyons pour notre part que ce jeudi 29 novembre a fait revenir la rivière dans son lit. La transition démocratique sera remise à plate couture et ça repartirait comme en janvier 2012 date de démarrage des travaux de la Constituante. Ce nouveau chantier pourrait servir de programme électoral pour BCE. Et d’ailleurs, l’homme semble taillé pour le job. Born to lead, disent les Anglo-saxons.

Cela dit, on reste dans l’iconographie destourienne car le néodestour décrivait Bourguiba comme celui qui “mène le combat et garantit le résultat“. Il n’y a pas de doute, BCE se met dans la posture du démocrate suprême. Ce qui est en ligne avec sa personnalité.

Ali Abdessalam

*Jeudi noir se dit du fameux jeudi d’octobre 1929, jour du crash boursier à Wall Street qui a été le point de départ de la crise de 1929. Egalement référence au jeudi 15 septembre 2008 qui a vu la faillite de Lehman Brothers et a donné lieu à la crise financière de 2008.