Faut-il plus d’argent pour la recherche ?

Il faut le dire, bien que très insuffisants, les fonds alloués à  la recherche et à l’innovation (R&I) n’ont jamais tari. Les financements réguliers des structures de recherche (271 laboratoires, 630 unités de recherche), des équipements lourds (70 unités de services communs de recherche), des lignes de bourses pour les doctorants, écoles doctorales (37), remboursements des frais de missions des chercheurs participant à des conférences internationales…ont le mérite d’exister. Leur importance était de maintenir ce secteur la tête au-dessus de l’eau.

En plus, une deuxième génération de fonds a été lancée depuis deux ou trois décennies : une panoplie de programmes et mécanismes destinés à la mobilisation des ressources (PNM), collaboration avec les entreprises économiques (FORESMAT, PNRI, PRF…) parfois ciblant la mobilité des chercheurs ou l’incitation des entreprises à installer l’innovation (PIRD, ITP, MOBIDOC) a été mise en place à différentes époques et financée souvent majoritairement par le contribuable.

Nous comprenons en tant que chercheurs que la R&I ait besoin de plus de subsides pour survivre et beaucoup plus pour répondre aux besoins prioritaires fixés, enfin, par le gouvernement (plus précisément le département de tutelle). Nous le comprenons, mais nous invitons tous les concernés à poser la question qui fâche : est-on sûr que plus de subsides affectés et dépensés comme de tradition pourront améliorer la productivité de la R&I et surtout son impact sur le développement du pays ? Rien n’est moins sûr. Cette question nous oblige à en poser beaucoup d’autres. En particulier comment la recherche doit être gouvernée en Tunisie sans (trop) y risquer l’argent du contribuable ?

…Ou mieux d’argent, mieux de gouvernance ?

Dans le contexte de la nouvelle économie, la problématique de la R&I est posée en termes de système national d’innovation (SNI) conçu comme cadre stratégique de la conception et la mise en œuvre des politiques publiques sectorielles de développement.

Ainsi, la mise en perspective de tout le système permet de positionner les différents acteurs et bénéficiaires leurs missions, objectifs et besoins exactement comme on place un orchestre avec instrumentistes devant jouer une symphonie avec partition et Maestro en face d’un public de mélomanes.

ECOSYSINNOV : Considérer l’infrastructure immatérielle

Fin 2017, pour la première fois en Tunisie, le département en charge de la recherche a ouvert un Appel d’Offres sur la base de 6 groupes de priorités nationales (30 domaines prioritaires). Sur 120 candidatures, seules 11 ont été retenues pour financement. Au final, une moyenne de 100 mille dinars par année et par projet sur une période de 3 ans, ce qui a mobilisé une enveloppe globale de 3,5 MDT (encore modeste).

Parmi les PRF retenus, “ECOSYSINNOV” marquera un tournant dans la recherche universitaire dans la mesure qu’il quitte la piste de la recherche thématique (technologique ou non) pour aborder la question cruciale de l’infrastructure immatérielle supportant les SETI (Science, Engineering Technology & Innovation). Ceci marque l’appui à la proposition ECOSYSINNOV de l’ENIT, organisée en plateforme ouverte portée par 2 unités de recherche U2S (pilote) et LAMSIN associant la Chaire UNESCO ‘’STI Policy’’ et TAASTI (Tunisian Association for the Advancement of STI) en partenariat avec l’ANPR, le point focal du MESRS pour dynamiser le SNI et développer la recherche partenariale.

Toutes les parties sont ainsi décidées à inaugurer une recherche non point thématique traditionnelle (eau, énergie, TIC), mais une recherche  inédite, encore plus nécessaire et même urgente,  pour mettre en place un Ecosystème de R&I favorable à la symphonie “Production, diffusion et utilisation des connaissances” et par conséquent favorable à la nouvelle économie. Cet Ecosystème est la véritable réponse stratégique et efficace à la question posée “comment gouverner notre R&I sur la base de politiques publiques favorables  au développement ?”.

ECOSYSINNOV se propose de développer les actions  suivantes :

  1. Caractérisation exhaustive du SNI tunisien fondé sur les SETI selon les nouveaux standards de l’UNESCO. Cette revue fera exister notre pays sur la plateforme GOSPIN dédiée aux pays dotés de SNI structurés ou en voie de structuration. Par ailleurs, une plateforme nationale dotée d’une base de connaissances accessible aux chercheurs, planificateurs et décideurs mais aussi aux investisseurs et entreprises en veille dans le domaine des SETI.
  2. Conception de programmes académiques et professionnels ainsi que d’un modèle d’affaires d’une académie des nouveaux métiers du SNI allant du concepteur d’une politique publique STI au monteur de projets internationaux de recherche au manager des diverses structures relais, d’appui, d’interfaçage ou de valorisation (technopoles, pépinières, incubateurs, bureaux de transfert…) en passant par le rédacteur et manager de brevets. A ce volet professionnel sera adjoint un volet académique consistant en une école doctorale dans les “sciences de transfert de connaissances et de technologies”.
  3. L’analyse fine d’une nouvelle approche de ré-industrialisation de l’économie tunisienne comme exemple d’une politique publique conçue et mise en œuvre dans le cadre de cet écosystème.

Par Bahri REZIG, Professeur à l’ENIT 

VP TAASTI,

Coordonnateur scientifique Action I, ECOSYSINNOV