Bruxelles s’attaque à l’opacité fiscale favorable aux multinationales

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évasion fiscale des entreprises (Photo : Emmanuel Dunand)

[18/03/2015 12:39:25] Bruxelles (AFP) Quatre mois après le scandale LuxLeaks, la Commission européenne a dévoilé mercredi son plan de lutte contre l’évasion fiscale des entreprises, dont la mesure-phare est l’échange d’informations sur les accords passés entre les Etats et les multinationales qui permettent à ces dernières de quasiment échapper à l’impôt.

“Il est devenu inacceptable pour les citoyens que des sociétés refusent de payer leur juste contribution à l’impôt”, a martelé lors d’une conférence de presse le commissaire européen chargé du dossier, Pierre Moscovici. “La transparence fiscale est indispensable pour lutter contre les pratiques fiscales opaques et abusives”.

La Commission estime que l’évasion fiscale prive chaque année les budgets publics des Etats membres de l’UE de plusieurs milliards d’euros.

La mesure emblématique consiste à introduire l’échange automatique d’informations sur les rescrits fiscaux, ou décisions anticipées. Le scandale LuxLeaks a mis en lumière les centaines de “tax rulings” conclus au Luxembourg lorsque Jean-Claude Juncker, l’actuel président de la Commission, était Premier ministre.

M. Moscovici a insisté sur le fait qu’il n’était “pas question de faire le procès de ces rulings fiscaux”, une pratique légale qui permet aux entreprises de bénéficier d’une certaine prévisibilité quand elles investissent dans un pays, mais qui favorise l’évasion fiscale des multinationales.

En revanche, la proposition “s’attaque au manque de transparence”, car “c’est l’opacité qui crée des utilisations critiquables” et, “trop souvent, les Etats membres ne sont pas au courant des décisions prises par d’autres Etats membres”, a-t-il dit.

Les Etats membres devront désormais échanger des informations sur leurs rescrits fiscaux avec leurs 27 partenaires automatiquement tous les trois mois. Si ce rendez-vous trimestriel n’est pas respecté, “on pourra déclencher des enquêtes”, a dit M. Moscovici. La transparence concernera rétroactivement tous les rescrits fiscaux existant depuis 10 ans, a-t-il précisé.

La Commission compte sur cette transparence pour inciter les Etats et les entreprises à mettre de l’ordre dans leurs pratiques et à choisir des “comportements plus vertueux”, a-t-il expliqué.

– Premier pas –

Mais pour l’ONG Oxfam, il s’agit de propositions “faibles”, qui “ne font rien pour empêcher les accords fiscaux favorables aux entreprises, comme ceux mis en évidence par LuxLeaks”. Une approche consistant à interdire ces pratiques “n’aurait jamais trouvé un accord”, l’unanimité des 28 étant requise pour toute question relative à la fiscalité, s’est défendu Pierre Moscovici.

La Commission espère que les Etats membres adopteront sa proposition d’ici la fin de l’année pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Elle compte aussi sur le soutien du Parlement européen.

Premier parti à réagir, le PPE (droite européenne), le parti de M. Juncker, a souhaité une adoption du texte “la plus rapide possible”. Mais ce n’est qu’un “premier pas”. “Nous ne voulons plus de sociétés boîte aux lettres”, a-t-il assuré.

La Commission complètera ses propositions en juin, avec un plan d’action pour rendre la fiscalité des entreprises plus équitable au sein du marché unique. Ce paquet comprendra une proposition sur une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis). Le sujet, gelé depuis des années, sera relancé et “on demandera aux Etats membres de prendre leurs responsabilités”, a dit M. Moscovici.

La Commission agit sur plusieurs fronts en matière d’harmonisation fiscale: quatre accords de rescrits fiscaux sont dans le collimateur de la commissaire chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, qui soupçonne des avantages indus accordés aux entreprises concernées. Il s’agit d’Apple en Irlande, Starbucks aux Pays-Bas, Fiat et Amazon au Luxembourg.

Mme Vestager enquête aussi sur un système belge de rescrit fiscal.

M. Moscovici a par ailleurs annoncé étudier des mesures relatives à la publicité des activités des multinationales pays par pays, y compris les impôts qu’elles y paient. L’ONG ONE France a jugé cette annonce “encourageante”. La Commission avance toutefois prudemment, estimant “nécessaire d’examiner avec beaucoup d’attention les objectifs, les avantages et les risques d’une initiative de ce type”.