Mehdi Houas et le tourisme : Remada-Las Vegas… Un mirage pour vendre un village!

bouhedma-tunisie.jpgAu bout d’un an d’exercice, Mehdi Houas nous livre sa feuille de route. La Tunisie peut devenir la Suisse de la Méditerranée, la Singapour de l’Afrique et le Las Vegas du Sahara… Qu’à cela ne tienne! Rêvons ensemble. Mais si nous commencions par le commencement. Et le commencement, ce sont les ressources naturelles du pays que nous pouvons exploiter et les attentes de développements régionaux auxquelles nous devons répondre et d’urgence.

Sur les ondes de la radio Mosaïque FM, le ministre démissionnaire affirme regorger de bonnes idées pour sauver le tourisme tunisien. Sauf que les bonnes idées, il y en a des mille et des cent. Avec une bonne dose de volonté politique et des investissements nationaux et étrangers, il serait possible de construire non pas des “Châteaux en Espagne“ mais surtout pas des casinos à Remada. Encore fallait-il que le chargé du tourisme du gouvernement sortant ne coupe pas les ponts avec les opérateurs. L’administration sous sa tutelle aurait pu au moins établir le dialogue faute d’accélérer l’action.

Pour le moment, le tourisme tunisien souffre d’une conjoncture nationale et internationale très difficile. Les professionnels du secteur touristique coulent. Les politiques du pays sont occupés à se sortir de leur propre malaise. Les gouvernants sortants ont fait au mieux. L’équipe rentrante ne semble pas pressée à prendre en main la gestion du pays. Alors oui, rêvons!

Le rêve, selon Mehdi Houas, serait de faire de «Remada» un nouveau Las Vegas. Eh bien, non! Non pas par esprit de contradiction ou par conviction religieuse, quoique cela soit la tendance, mais plutôt car des choses plus simples et immédiates pourraient être mises en route. La prochaine direction du tourisme aura à rétablir un vrai partenariat et une meilleure communication privé/public. Des incitations, le soutien de l’existant et l’allégement des démarches administratives pourraient booster l’inventivité du secteur. Le gouvernement a le droit de rêver. Mais sa vraie mission est de convertir les rêves des entrepreneurs.

Faut-il citer quelques exemples concrets nécessitant l’intervention de l’administration et ne demandant pas de très gros financements pour donner l’impulsion? Il y en a aussi des mille et des cent. Celui de la plongée sous-marine serait un des plus édifiants. La Tunisie dispose du plus grand nombre d’épaves en Méditerranée. Des trésors inexploités qu’un pays comme Malte, en moins de 3 ans, a su convertir en richesses. L’île coule régulièrement des épaves dépolluées pour enrichir son offre de plongée touristique qui renforce sa position de destination MICE.

L’administration du tourisme tunisien n’a qu’à mettre en marche les mécanismes qu’il faut pour s’approprier une part de marché dans ce segment. Jusqu’ici considérée comme la chasse gardée du ministère de la Défense, cette niche contribuera à rafraîchir surtout l’image de la destination.

Une mise à niveau des centres de plongée, la participation à des salons spécialisés, des événements comme un Festival de la plongée ou de chasse aux trésors sous-marins feront le reste. Simple comme bonjour! Des exemples comme celui-ci, il y en a plein. La Tunisie est fort heureusement encore un immense terrain vierge où toutes les niches sont encore exploitables.

Côté terre et à Kairouan, pourquoi ne pas travailler à la valorisation de la plus grande grotte d’Afrique du Nord en créant autour du «Jbel Essarj» un vrai centre de sports extrêmes et actifs? Du cross, du delta plane, du VTT, des raids équestres, des treks… Là aussi, l’idée est simple. Pareil projet est porteur de développement pour les populations locales. Avec des micros projets taillés sur mesure pour la jeunesse qui perd autant patience qu’espoir.

S’il s’agit seulement de rêver, alors pourquoi se priver de souhaiter un tourisme dans le vent qui ne se développe pas uniquement avec du béton armé? Est-ce si compliqué de commencer par des hôtels troglodytes reconvertis en somptueuse bougie hôtel? Est-ce si complexe de soutenir l’artisanat et le talent de ses artisans? Peut-on provoquer la création de Spas de grand luxe sous des tentes au milieu de la steppe, dans le désert et aux abords des parcs nationaux de Jebil ou de Bouhedma? Cela ne coûterait-il pas moins cher en eau que le plus grand Hammam du monde que propose M. Mehdi Houas?

La liste des projets qui pourrait changer la face de la destination en moins de temps qu’il n’en faut est longue. Pareils produits rajeuniront et changeront la clientèle et susciteront de l’intérêt pour la destination. Les voyageurs d’aujourd’hui veulent vivre une expérience qui marque et ils y mettent le prix. A nous d’anticiper leurs attentes. Le danger qui nous guette serait de «copier» des modèles qui marchent ailleurs. Des modèles qui ont fait leur temps et auxquels les clients se sont habitués et dont ils se sont aussi probablement lassés.

Dans ses propositions, Mehdi Houas parle de créer un Festival de cinéma. Mais combien y a-t-il de festivals cinématographiques en Tunisie? Ne conviendrait-il pas de doter de vrais moyens et soutenir ceux qui existent en les structurant et internationalisant? Comment ignorer les prestigieuses JCC et ne pas leur redonner la dimension qui leur revient? Cet évènement a une légitimité historique qu’aucun festival ne peut acheter, même à coup de milliards. Le Festival du film de Doha, malgré ses énormes moyens, n’arrive pas à acheter l’essentiel, un public.

L’actuelle administration semble avoir compris l’importance de l’événementiel, mais nous ne pouvons que restés consternés par le «ratage», du reste pas imputable à la direction du tourisme, lors des élections du 23 octobre. La Tunisie a accueilli sur son sol plus de 1.500 journalistes venus du monde entier. N’était-ce pas là une vraie occasion pour faire visiter les monuments et sites du pays, ouvrir ses musées la nuit et organiser des événements de tous genres? Il est indéniable que nous avions d’autres craintes et urgences. Mais quel gâchis! A l’avenir la Tunisie devra apprendre à mieux gérer les opportunités quand elles s’offrent. La question du rayonnement de la Tunisie et de l’image qu’elle donne au monde est prioritaire. C’est là où précisément nous avons besoin de rêveurs et de visionnaires.

En attendant et pour en revenir aux propositions de Mehdi Houas, il est important de ne pas confondre rêves et folies. Comment se permettre de parler avec l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique de la possibilité de jumeler Remada avec Las Vegas et d’en faire une zone franche? Quelle idée de génie! Une zone franche interdite aux Tunisiens qui ferait gagner aux Européens amateurs de jeux en ligne quelques précieuses heures de vol en leur proposant Remada au lieu de Macau. Il fallait oser!

Cette suggestion serait-elle du goût des populations de ces régions oubliées qui se remettent difficilement de la révolution et souffrent toujours d’exclusion? Il conviendrait de le leur demander avant de se précipiter à l’envisager. Au-delà de cet impair, gare à cette envie de céder des concessions comme l’ont fait certains pays du Moyen-Orient. La Tunisie est un pays qui a toujours su se réinventer. Aujourd’hui et plus que jamais, elle saura convertir son intelligence en pariant sur ses ressources humaines et naturelles pour trouver des voies à son développement.

En attendant, le tourisme tunisien pourrait, comme l’a suggéré le ministre du Tourisme, passer du culturel au mieux disant culturel. Rafraîchir les musées, concevoir des circuits thématiques, créer des festivals et soutenir toutes les initiatives, c’est important. Les destinations touristiques du monde, qui arrivent à tirer leur épingle du jeu malgré la concurrence, osent. Les cartes magnétiques des chambres d’hôtels sont dessinées par des sommités de la peinture, et les hôtels sont conçus par des bijoutiers et des créateurs de mode. Mehdi Houas, au lieu d’inviter notre créateur international Ezzedine Alaia à uniquement faire un défilé de mode, pourrait le solliciter à concevoir et «lifter» des hôtels tunisiens en perte de cachet et de rentabilité, à l’instar d’Armani ou de Baccarat.

Au final, on se retrouverait avec un hôtel Alaia à Tozeur abritant un des casinos les plus exclusifs du monde. On viendrait alors en Jet privé passer un week-end de rêve et regarder «Le Patient Anglais» dans le plus beau des écrins. Son lieu de tournage. Une rêverie dont on ne devrait pas se priver!

Ne surtout pas confondre rêve et folie. La folie serait de céder des concessions de notre pays et d’autoriser ceux qui veulent chasser les outardes au prix de très gros investissements en le mettant sous dépendance. La destination n’est pas une partie de «Blackjack» et encore moins un «hammam» d’où l’on rentre et sort à sa guise, comme le dit si bien un vieux dicton tunisien!