Tunisie : Mehdi Khemiri, “Pour réussir, il faut une bonne idée et une bonne personne”


mehdi-khemiri1.jpgLe fondateur et ancien patron de Topnet lance un fonds d’investissement
spécialisé dans les technologies de l’information et de la communication. Et se
veut plus novateur que les sociétés d’investissement à capital risque dans la
manière de détecter, d’analyser de financer les projets.

Vous semblez profondément marqué par votre première expérience de création
d’entreprise…

Pour être passé par là, je sais que la meilleure manière de frustrer un
entrepreneur c’est de gérer son projet de manière administrative. Bien sûr avec
la nouvelle loi sur la création d’entreprise et la pression qu’elles ont subi,
je vois que les sicars commençent à changer. Si on regarde les sicars deux ou
trois ans en arrière, le dossier qu’ellle demandait au promoteur d’un projet
était le même que celui réclamé par les banques. C’était une gestion absolument
administrative. Comme les banques, les sicars mesuraient le risque du projet et
non sa rentabilité. Quelques sicars ont adopté une vision financière avec étude
du projet, analyse des opportunités, etc. Mais au niveau expertise métier il n’y
a eu aucun progrès. De ce fait, un ingénieur porteur d’un projet très innovant
technologiquement n’est pas sûr de faire passer son idée ou que le potentiel de
son projet soit évalué à sa juste valeur. Aujourd’hui, tous les fonds
d’investissement sont spécialisés.

Vous voulez vous distinguer des sicars au niveau de la manière de financer et de
vous engager dans un projet. Mais pour la sortie, allez-vous procéder de la même
manière, c’est-à-dire liquider votre participation à une échéance et à un prix
convenus d’avance, ou rester définitivement dans le projet ?

A mon avis, les deux extrêmes sont un peu gênants. Dire qu’il faut absolument
sortir dans cinq ans, alors que le projet peut encore avoir à ce moment-là un
grand potentiel. C’est vrai que les choses se développement rapidement à
l’étranger. En trois à quatre ans, une start up peut grandir. En Tunisie, les
choses sont parfois un peu plus compliqées. Il faut se battre ; c’est le
parcours du combattant.

Au cours des trois dernières années,
Topnet a connu un développement énorme,
mais auparavant nous sommes passés par cinq années de parcours du combattant.

D’un autre côté, je crois que la valeur la plus importante d’une entreprise
c’est son potentiel, pas les dividendes. En bourse, la valeur d’une société et
le montant des dividendes qu’elle distribue sont deux choses différentes. Donc,
annoncer qu’on reste à l’infini dans une entreprise, c’est comme si l’ont disait
qu’on ne va jamais cueillir le fruit. La matière première d’un fonds c’est
l’argent. Il faut donc qu’il y ait un cycle de production, avec une entrée et
une sortie de cet argent.

D’autant qu’il y a des cas, comme ce fut pour Topnet, où l’intérêt de
l’entreprise et son développement consisterait par exemple à faire partie d’un
groupe. On ne se porte acquéreur d’une entreprise que si l’on est convaincu de
pouvoir créer plus de richesse que ses anciens actionnaires, sinon cela n’a pas
de sens. L’exit est quelque chose d’intéressant pour tout le monde, mais il ne
faut pas qu’il soit sous la contrainte et très rigide.

Aujourd’hui nous avons une bourse très active et s’y introduire doit être
l’objectif premier de toute entreprise atteignant une certaine taille. Ce doit
être un rêve. S’il n’y avait pas eu la cession à
Tunisie Télécom, Topnet aurait
été introduite en bourse.

L’introduction en bourse permet à l’entrepreneur de récolter le fruit de son
travail en faisant du cash out partiel, et aide l’entreprise sur le long terme à
accéder à la bonne gouvernance et à la transparence. Car vouloir garder le
contrôle exposera tôt ou tard l’entreprise au risque de rester une
PME pour
toujours et d’être confrontée à des problèmes de succession, peut être de
diversification, de changement de technologie, etc.

Si l’entrepreneur a une vision possessive de son projet, il vaut mieux qu’il le
fasse lui-même en se faisant financer par une banque. Car la vision d’un fonds
d’investissement c’est l’association pour créer de la valeur. L’entrepreneur
possessif constitue le plus grand danger pour l’entreprise.

Du point de vue d’Innovest, que serait un bon projet?

Pour réussir, il faut une bonne idée et une bonne personne. L’idée peut être
excellente, mais si la personne ne peut pas porter le projet cela ne sert à
rien. Et pouvoir porter un projet, cela implique deux choses : d’un côte
l’expertise du domaine et les capacités managériales de l’entrepreneur et de
l’autre son état d’esprit. Une bonne personne sans une bonne idée risque de
peiner –sauf si vous l’aidez à affiner son concept ou le mettez sur un autre
projet-, et une brillante idée sans une bonne personne cela n’a aucun intérêt.