En plus de la suspicion d’avoir été –pour certains, elle l’est encore- «ami» de l’extrémisme, voire du terrorisme, notamment quand il avait gouverné le pays de novembre 2011 à novembre 2014, le mouvement Ennahdha est sans cesse attaqué depuis un certain temps sur sa relation avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

Une relation problématique pour le parti présidé par Rached Ghannouchi. Car l’arrimage à ce pays, à son régime et au président turc, à l’islamisme orthodoxe et radical, réfute un tant soit peu le discours développé depuis le dernier congrès d’Ennahdha par son leader sur sa sortie de l’Islam politique –que les Nahdhaouis considèrent comme une invention des orientalistes- pour aller vers ce qu’il appelle une démocratie islamique -comme il y a une démocratie chrétienne.

Mais ce n’est pas tout. Aujourd’hui, le mouvement Ennahdha donne l’impression que parfois pour lui la Turquie passe avant la Tunisie. Et que le maintien et le développement de ses relations avec ce pays valent tous les sacrifices, même au détriment de ceux des Tunisiens et de la Tunisie.

Deux faits au moins poussent à s’interroger à ce sujet. D’abord, le boycottage du vote de l’article 35 de la Loi de finances 2018, article relatif aux mesures tarifaires destiné à contenir de la balance commerciale dont beaucoup imputent une grande partie du déséquilibre à la Turquie. Les députés d’Ennahdha s’étaient retirés lors de la séance plénière du jeudi 7 décembre 2017 officiellement au motif que le vice-président de l’Assemblée, Abdelfatteh Mourou, avait refusé d’accorder un point d’ordre au chef du bloc d’Ennahdha, Noureddine Bhiri. Est-ce le vrai motif ? En fait, on peut se le demander, à tort ou à raison, si en se retirant avant le vote du fameux article, les députés d’Ennahdha et, par-delà eux, la direction de leur parti n’a pas voulu envoyer au «Père protecteur» turc un message disant à peu près ceci : voilà, nous avons fait tout ce que nous pouvions faire pour empêcher l’adoption de l’article 35, mais nous n’y sommes malheureusement pas parvenus.

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Le deuxième fait troublant, et il s’inscrit dans la même logique est imputable à l’hebdomadaire de langue arabe «Arrai Alaam».

Dans son édition du jeudi 18 janvier 2018, cet organe qui fait office de porte-voix officieux du mouvement Ennahdha, a publié une interview de l’ambassadeur de Turquie en Tunisie, Omer Faruk Dogan. L’entretien est choquant parce que le journaliste qui l’a réalisé s’est contenté de servir de faire valoir au diplomate turc. Sans tenter de porter la contradiction.

L’ambassadeur de Turquie a ainsi eu droit à des questions –du genre «Est-ce qu’il y a des projets turcs en Tunisie afin de réduire le chômage» ou «A combien s’élève l’aide financière de la Turquie à la Tunisie».

Pis, le journaliste a même laissé le diplomate turc affirmer, de manière condescendante, au sujet de la récente visite du président Recep Tayyip Erdogan, que celui-ci est venu en Tunisie «à la demande de son excellence le président Caïd Essebsi». Pas à l’invitation. Une façon peut-être de dire que c’est vous qui avez besoin de nous, pas l’inverse. Et c’est nous, les Turcs, qui sommes en position de force.

En agissant ainsi ou en cautionnant pareils actes, le mouvement Ennahdha aura beau multiplier les dénégations, il ne pourra empêcher les gens de se demander s’il n’est pas, d’une manière ou d’autre, une sorte de 5ème colonne de la Turquie en Tunisie. Et ses détracteurs d’affirmer qu’il l’est sans le moindre doute. Un parti politique peut entretenir des relations avec un pays étranger. Mais pas n’importe comment et faire n’importe quoi.

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