Pierre Vermeren, historien spécialiste du Maghreb et professeur d’Histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon –Sorbonne, a apporté son soutien à l’état d’exception que vit la Tunisie depuis le coup de force constitutionnel opéré le 25 juillet 2021.

Abou Sarra

L’historien, qui s’exprimait dans le cadre d’une interview publiée par la revue indépendante bimensuelle «Libyan Affairs» (janvier 2022), a évalué, par la même occasion, le rapport de force en place entre les principaux partis politiques du pays.

Le pays était dans une situation intenable

Concernant la décision du président Kaïs Saïed d’activer l’article 80 de la Constitution, de limoger le chef du gouvernement et de suspendre le Parlement, celle-ci était justifiée : « le pays était dans une situation intenable », a-t-il dit avant d’ajouter : « la décision de Kaïs Saïed a répondu aux attentes d’une grande partie de la population et a, selon moi, permis de débloquer la situation ».

L’historien a fait une mention spéciale pour le déblocage de l’appareil judiciaire : « ces dernières années, la justice a reçu des instructions d’Ennahdha pour ne pas juger les présumés responsables des attentats et assassinats terroristes 2013-2015. Après le 25 juillet, « ces affaires sont relancées (…), les enquêtes peuvent enfin être ouvertes et certaines personnalités, notoirement corrompues, ont été arrêtées. Cela est fort bien vu par une majorité des Tunisiens », a-t-il signalé.

S’agissant des rapports des forces politiques en place, Pierre Vermeren a écarté, d’emblée, tout rôle de la gauche « qui, par l’effet de son effritement, ne représente plus une force politique importante ». Dans son analyse, il n’a pas daigné évoquer les centristes.

Montée fulgurante du PDL d’Abir Moussi

Pour le reste de la classe politique, l’historien a retenu deux partis qui peuvent jouer un rôle dans le futur. Il s’agit du Parti destourien libre (PDL) d’Abir Moussi, et du parti Ennahdha du gourou Rached Ghannouchi.

Pour l’historien, le PDL connaît aujourd’hui une montée fulgurante : « d’après les sondages, a-t-il-noté, cette formation pourrait arriver en tête si des élections législatives anticipées étaient organisées dans les prochaines semaines ».

Au sujet du parti Ennahdha, Pierre Vermeren estime que ce mouvement idéologique d’obédience islamiste est en chute libre. D’après lui, ce parti, qui s’est «maintenu, depuis 2011, au pouvoir par le compromis, la ruse et la menace est aujourd’hui très affaibli. Parce qu’il est divisé en interne et a dû s’allier à un parti salafiste provocateur Al Karama pour composer un bloc majoritaire au Parlement».

Le parti Ennahdha en chute libre

Autre maillon faible de ce parti cité par l’historien, la dépendance d’Ennahdha de son chef Rached Ghannouchi. « Cet ancien président du Parlement et architecte principal du parti islamiste, dit-il, a acquis l’image d’un politicien qui favorise les tensions au Parlement et entretient des rapports flous avec la justice pour se maintenir coûte que coute au pouvoir ».

Et Pierre Vermeren de tirer cette conclusion : « … même si Ennahdha a encore de nombreux soutiens à l’étranger, le parti est discrédité auprès des Tunisiens. Il est au plus bas dans les sondages. Beaucoup de Tunisiens veulent faire payer le parti pour la situation catastrophique du pays sur le plan économique et social. La population a aujourd’hui un accès limité à l’alimentation, les hôpitaux sont en crise, le chômage est explosif et la corruption est très forte. Le parti est donc dans une situation calamiteuse quant à son bilan… ».

Et pour ne rien oublier, interpellé sur un éventuel rôle que peut jouer l’armée en Tunisie, l’historien a été très clair. Pour lui, l’armée tunisienne a toujours eu pour mission de sécuriser les frontières. « Les présidents tunisiens successifs ont toujours veillé à ce que l’armée ne soit pas au cœur du pouvoir. Elle est donc restée en marge ».

Dont acte.