Améliorer le service client, le personnaliser, le rendre plus rapide, analyser et traiter les données en temps réel, c’est à cela que sert l’intelligence artificielle qui doit être un instrument servant à rendre les entreprises plus performantes et compétitives, mais pas un effet de mode, relève Kawthar Boussemma, directeur du Master Big data IA à Dauphine-Tunis.

Nous l’avons rencontrée à l’occasion du Forum « Femmes dans les data sciences » organisé à Tunis par l’Association Re-Connect présidé par Sami Ayari.

 Entretien.

WMC : Comment l’intelligence artificielle pourrait-elle permettre aux entreprises d’évoluer et de se projeter dans le monde de demain ?

Kawthar Boussemma : Cela dépend de l’entreprise et des moyens dont elle dispose. La difficulté de l’utilisation de l’IA (Intelligence artificielle) réside dans la capacité d’une entreprise à disposer de son propre système d’information. Un système performant qui doit contenir toutes les données numérisées. Si la donnée n’est pas disponible, on ne peut pas faire de l’IA. Il est regrettable que, pour certaines entreprises, l’IA relève plus de la mode alors qu’elle doit être considérée comme un instrument important pour leur développement et leur croissance.

On entend parler de l’intelligence artificielle, et on se lance mécaniquement dans des applications IA, mais il y a beaucoup de projets qui échouent.

Est-ce parce que ça n’est pas adossé à des technologies avancées ?

Il y a de cela, mais le plus important est de partir d’un besoin. Il faut se dire : « l’intelligence artificielle et l’informatique c’est l’avenir, j’ai un besoin, comment y répondre en investissant dans des technologies sophistiquées et le faire intelligemment et rapidement ».

Quand on parle d’IA, on parle de réduction des coûts, d’efficience et de rapidité. Auparavant, on parlait plus de la partie décisionnelle, de business intelligence parce qu’on ne disposait pas de machines puissantes qui nous permettaient de traiter un volume important de données. Aujourd’hui, avec les avancées du hardware, des systèmes d’information et l’offre du cloud, nous pouvons disposer d’un système d’information puissant sans avoir à payer une fortune, juste un abonnement.

En IA, si on a un système d’information performant, si on a la donnée cartographiée et on a le besoin, on peut concevoir les applications. Pour cela, il faut s’appuyer sur les gens du métier, c’est très important, qui comprennent la donnée et qui savent l’utiliser et la traiter pour l’optimisation des performances de l’entreprise.

Il y a un risque pour le stockage dans le cloud que vous avez cité. Comment être sûr d’être protégé contre l’espionnage économique ?

Ceci dépend du contrat signé avec l’éditeur du logiciel. Je prends l’exemple de la France. Il y a des entreprises françaises dont les données sont sensibles qui ont, en signant avec les éditeurs américains, exigé d’avoir le data center en France parce que la réglementation européenne s’applique à la donnée.

Il y a toujours des solutions pour la question de la confidentialité des données, on négocie et on introduit dans les contrats des clauses qui protègent nos intérêts. Ce qu’apporte l’avantage d’avoir une application cloud, c’est de bénéficier de la montée des versions du logiciel. Aujourd’hui, les logiciels c’est tous les six mois, il y a des nouveautés de logiciels. Si on investit dans un système d’information, en six mois notre système est obsolète ; si on va vers la solution cloud, notre système reste toujours valable.

En Tunisie c’est cet état d’esprit qui règne. Comment le changer, d’après vous ?

En Tunisie, je constate qu’à ce jour, les entreprises ne sont pas informatisées et ont un mal terrible à centraliser leurs données. Chaque département détient sa part d’informations. Vous voulez identifier les besoins d’un client et vous avez affaire à des versions différentes selon les départements. Ça veut dire quoi ? Nous allons au département comptabilité pour avoir des informations sur le client, au département ressources humaines, celui du marketing et également celui des finances.

En fait, il faut aller chercher la donnée du client auprès de cinq départements. Ce qui se passe est que dans une même entreprise, chaque département détient l’information et cloisonne ses données. C’est dommage ! Le fait est que si on détient l’information et on ne l’exploite pas à bon escient, on rate le coche et notre compétitivité s’en ressent. Or, si on partage, c’est là qu’on fait de belles réalisations.

Quel rôle de l’intelligence artificielle dans les milieux éducationnels à l’international et comment on peut l’appliquer en Tunisie ?

A l’international il n’y a pas d’acteurs majeurs dans les systèmes d’information éducationnels, et c’est pour cela que je pense que c’est une chance et une opportunité pour la Tunisie qui peut les développer. On parle du cas de CRM, on parle tout de suite de Sales-forces. Qand on dit logistique, c’est SEP ; finances, on dit Oracle. Mais dans l’éducation, il n’y a pas d’acteurs forts qui proposent des solutions complètes, donc il y a un marché à prendre, il y a un positionnement à occuper.

Une grande banque pourrait investir dans ce domaine ?

Une grande banque peut investir, c’est faisable, et aujourd’hui on peut employer les chômeurs en leur apprenant à numériser tout ce qu’on a comme données pour les mettre à disposition et construire des IA.  Sachant que si on peut construire de l’IA pour la Tunisie, cette IA peut être utilisée à l’international. Commençons par le prototype, commençons par nous, soyons égoïstes, créons une application pour la Tunisie, pour nous, et vous pouvez être certains que si on la développe, elle intéressera rapidement l’international.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali