Porteurs de ses espoirs de changement et d’amélioration de son vécu, les représentants du peuple sont loin d’avoir été à la hauteur. Explications.

Le deuxième manquement des députés est leur proportion à passer allègrement d’un groupe parlementaire à un autre et, donc, d’un parti politique à un autre. Pratique que les Tunisiens aiment à appeler «tourisme parlementaire». Plus du tiers des 217 membres de l’ANC se sont adonnés à ce sport. Ceux de l’ARP ont fait pire. En effet, au cours des quatre premières années de la législature qui s’achève fin 2019, la proportion de députés ayant changé de couleur politique a doublé à 60%. Sur les 136 députés «déserteurs», plus de 40% l’ont même fait plusieurs fois plutôt qu’une.

Toutefois, les députés migrants refusent d’être qualifiés de «touristes parlementaires» et soutiennent que ce phénomène est la conséquence de ce qu’ils appellent «tourisme politique», soutient Dr Souhail Alouini. En disant cela, ce chirurgien pédiatre ayant exercé et vécu aux Emirats Arabes Unis pendant dix-sept ans, ancien secrétaire général de l’UPL a en tête le fondateur de ce parti, Slim Riahi, une véritable girouette (voir encadré).

C’est pour cette raison que le député Ali Belakhoua a quasiment la bougeotte. En quatre ans, cet homme d’affaires, originaire de Bizerte et formé aux Etats-Unis, a changé à cinq reprises de groupe parlementaire, passant successivement de l’UPL à Nidaa Tounes, puis de nouveau à l’UPL, ensuite l’Alliance nationale (proche du chef du gouvernement Youssef Chahed), avant de revenir à Nidaa Tounes, qu’il quitte de nouveau le 8 janvier 2019, avec cinq autres députés.

Le parti le plus affecté par les scissions est sans nul doute cette formation, celle du président Béji Caïd Essebsi, qui en est le fondateur. Tous ceux qui en ont claqué la porté l’ont fait parce qu’ils refusent la mainmise de son fils, Hafedh Caïd Essebsi.

Mais un député peut aussi aller voir ailleurs parce qu’on lui a fait miroiter une promotion. Ce fut le cas de Rabiaa Najlaoui. Cette détentrice d’un master en littérature anglaise est passée en mai 2015 de la “Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement“ -une formation populiste d’opposition fondée par l’homme politique et businessman tuniso-britannique Hechmi Hamdi (propriétaire de la chaîne de télévision par satellite Al Mustaquilla)- à Nidaa Tounes. Peu de temps après, elle a été nommée “attachée à la présidence de la République“.

Plus grave encore, de forts soupçons de corruption pèsent sur quelques députés. Un certain Bahri Jelassi a grandement contribué à alimenter les soupçons de corruption visant les députés. En février 2017, cet homme d’affaires, fondateur du Parti de l’Ouverture et de la Fidélité et ancien candidat à l’élection présidentielle, convaincu que «la politique c’est du business», avait jeté un pavé dans la marre en déclarant qu’il avait acheté certains membres de l’ARP.

Affirmant qu’il n’était pas le seul à se livrer à ce genre de «shopping», il avait révélé être concurrencé par une figure du monde des médias, Larbi Nasra, fondateur de la chaîne de TV Hannibal.

De fait, cet ami de Ben Ali et parent par alliance de Belhassen Trabelsi, beau-frère de l’ancien président, lui aussi porteur alors d’un rêve présidentiel, avait créé le Mouvement de la République en août 2013, qui a pu gagner les faveurs de douze députés de l’ANC.

Il est également de notoriété publique que Chafik Jarraya, l’homme d’affaires jadis associé aux Trabelsi, avait des obligés parmi les représentants du peuple qu’il faisait bénéficier de ses largesses. Après l’avoir arrêté en mai 2017 pour qu’il réponde de la triple accusation de complot contre la sûreté de l’Etat, falsification et corruption, le Pôle judiciaire financier a voulu en avoir le cœur net et demandé en mai 2018 la levée de l’immunité de onze députés, dont Sofiène Toubel, le chef du groupe parlementaire de Nidaa Tounes.

Le refus à ce jour du président de l’ARP, Mohamed Ennaceur, de donner suite à la demande de levée de l’immunité parlementaire, lui a valu d’être accusé de protéger des députés corrompus. La présidence du Parlement s’est défendue en arguant qu’il était impossible de le faire en raison d’une erreur de procédure commise par la justice.

L’erreur en question consiste, selon l’ARP, «en l’absence dans les dossiers de preuves sur la présentation des demandes aux députés concernés pour constater leur désir de conserver ou non leurs immunités».

Selon Sofiène Sliti, son porte-parole, le Pôle judiciaire financier a bien inclus les réponses des députés dans sa demande. Mais la présidence de l’ARP voulait que la missive vienne du ministre de la Justice en personne. Or, ce n’est pas la procédure prévue par le règlement intérieur de l’Assemblée.

Celui-ci dispose seulement que «l’examen de la levée de l’immunité se fait sur la base d’une demande du pouvoir judiciaire au président de l’Assemblée accompagnée du dossier de l’affaire».

Un membre de la Commission de l’immunité parlementaire ne partage pas cette version et assure que la justice n’a pas adressé à l’ARP la liste des députés ayant refusé la levée de leur immunité.

Moncef Mahroug

A suivre, 3ème partie

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