Depuis 10-15 ans, on vante les réussites économiques de Recep Tayyip Erdogan. Mais souvent, on confond croissance économique développement économique et social. Oui, la Turquie a accompli d’immenses progrès économiques, c’est incontestable.

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ceux-ci se sont accompagnés d’avancées sociales. Cela ne semble pas être le cas, car, les sanctions imposées par Trump ces derniers jours à la Turquie sont en train de révéler les failles du “miracle économique turc“… notamment en termes d’inflation, de chômage, endettement des entreprises et autres déficits commerciaux.

En effet, notre confrère Christian Losson du quotidien français Libération, dans un article publié lundi 13 août et intitulé “Turquie: Erdogan dans le piège économique“, souligne que «la livre turque, qui a perdu plus de 50% en un an (40% de sa valeur depuis le seul début d’année) face à l’euro et au dollar, touche un plus bas sur fond de crise diplomatique avec les Etats-Unis et de défiance envers la politique économique du président Recep Tayyip Erdogan».

En tout cas, Erdogan dénonce avec la plus grande virulence ce qu’il appelle «le complot américain» pour mieux faire vibrer la corde nationaliste. Mais ce n’est pas certain que cela marche, surtout que les purges qu’il a opérées suite au coup de manqué de juillet 2016 ont laissé des traces dans la société : avec ces différentes arrestations et autres renvois, pratiquement toutes les familles turques ont été touchées de près ou de loin.

Analysant l’effondrement de la monnaie turque et de ses conséquences, Losson écrit : «Loin des discours nationalistes du chef de l’Etat sur le “miracle économique turc“, la Turquie, fragile et déséquilibrée, est confrontée à nombre de défis structurels. C’est d’ailleurs, et de loin, le principal sujet de préoccupation des Turcs, loin devant les questions de justice ou de sécurité. Le pays connaît une inflation dramatique, 15,9% en rythme annuel en juillet -cinq fois la moyenne des pays développés. Une inflation qui entame le pouvoir d’achat des ménages. Le chômage réel s’est envolé à 17%, loin des statistiques officielles (11%)».

Il poursuit son analyse : «… Les entreprises croulent sous l’endettement, d’autant que, poussées par le régime pour relancer la machine, elles ont beaucoup emprunté en dollars après le coup d’Etat raté de juillet 2016. Résultat : elles ont accumulé une dette en devises étrangères de plus de 200 milliards de dollars, dont un tiers arrive à échéance dans l’année. Et se retrouvent fragilisées par le pire taux de change de l’histoire du pays. A lui seul, le BTP a totalisé un nombre record de faillites l’an passé».

Et ce n’est pas tout. La Turquie enregistre un sérieux déficit de sa balance des paiements (-5,5% du PIB en 2017). «Pour financer les 50 milliards de dollars de déficit de son compte courant, le pays recourt chaque jour à 200 millions de dollars de financement extérieur. L’interventionnisme du président, ajouté au renforcement de sa mainmise sur l’économie depuis sa réélection en juin, ne fait rien pour rassurer».

Losson revient sur les causes de la chute de la livre turque, à savoir la décision de Donald Trump, vendredi 10 août, de doubler les taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium turcs, «… en rétorsion à l’arrestation d’un pasteur américain accusé “d’espionnage“ et “de terrorisme“»…

En plus, «les autorités ne supportent plus non plus le soutien apporté par Washington en Syrie aux YPG, les Unités de protection du peuple kurde (branche armée du Parti de l’union démocratique. Cette escalade diplomatique inquiète les investisseurs étrangers, dont la Turquie s’est pourtant rendue dépendante. Ils retirent leur argent, ce qui accentue encore la chute de la livre, déjà fragilisée par les faiblesses de l’économie».

Toutefois, beaucoup de pays risquent dans les prochaines semaines de payer les trois escalades qui sont en cours dans cette région : celle opposant la Turquie aux Etats-Unis qui vient s’ajouter à celles irano-américaine, saoudo-qatarie et irano-saoudienne.

Première conséquence visible : le cours du pétrole a connu ces derniers jours accès de fièvre, et ce même si l’Iran a décidé “de baisser le prix du pétrole pour ses clients asiatiques“.

Pour nous Tunisiens, soyons donc lucides et ne nous laissons pas berner par “le miracle économique“, comme certains pays du Tiers monde le furent pendant la guerre froide à propos du “miracle le communisme“ en URSS. Une dictature quelle qu’elle soit ne peut jamais durer éternellement, et tout ce qu’elle bâtit s’effondre avec elle.