Une Commission consultative a été mise en place par le ministère de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables, afin de trouver des solutions légales pour interrompre la convention avec la COTUSAL. Et l’une de ses propositions consiste à modifier le Code des mines pour que la “Compagnie générale des salines de Tunisie” -ou COTUSAL- puisse s’y inscrire, sachant que cette dernière en avait fait la demande en dehors des délais légaux autorisés par ce code.

L’Observatoire tunisien de l’économie explique, dans une analyse publiée au mois de juin, que cette modification “impliquera des délais importants qui aboutiront probablement à renouveler la convention de la COTUSAL”.

Intitulée “Polémique autour de la COTUSAL: le sel marin est-il une ressource naturelle?”, cette analyse montre que “cette modification impliquera la jouissance d’un favoritisme hors normes envers la COTUSAL, alors que toutes les autres sociétés se sont soumises au Code des mines, dans sa version actuelle”.

En effet, la convention de 1949 entre l’Etat et la COTUSAL prend fin en 2029. L’Etat doit notifier à la compagnie, 10 ans avant l’expiration de la période de prolongation en cours, c’est-à-dire avant la fin de l’année 2019, s’il a l’intention de mettre fin à cette convention, comme le stipule l’article 3 de cette même convention. Dans le cas contraire, elle sera renouvelée automatiquement pour une période de 15 ans, à savoir jusqu’en 2044.

L’Observatoire souligne que la démarche nécessaire est à l’initiative du ministère de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables, s’interrogeant si ce département “souhaite véritablement mettre fin à cette situation et rompre cette convention entre la COTUSAL et l’Etat tunisien”.

Il cite l’intervention faite récemment par la députée Samia Abbou, à l’ARP, lorsqu’elle avait attiré l’attention sur “la volonté du ministère de l’Energie de modifier le Code des mines, afin que la COTUSAL puisse s’y inclure et sur la gravité de cette modification abusive”.

A noter que le secrétaire d’Etat aux Mines, Hachem Hmidi, avait renouvelé l’engagement de son ministère de mettre fin à la reconduite de la convention de 1949 au plus tôt et de prendre l’initiative de le faire auprès de la COTUSAL.

COTUSAL : un demi million de dinars de manque à gagner annuellement pour l’Etat

Selon Hmidi, l’Etat a enregistré un manque à gagner annuel de l’ordre de 500 mille dinars, en raison de la poursuite du contrat avec la COTUSAL, sous la convention de 1949 et non pas sous le Code des mines, ce qui représente la somme de 7,5 millions de dinars depuis l’entrée en vigueur de ce code (2003), et un manque à gagner annuel de l’ordre de 400 mille dinars des taxes dues à l’Agence de Protection et d’Aménagement du Littoral (APAL) que la COTUSAL ne paye pas sous la convention 1949.

La somme totale due à l’APAL, depuis sa création en 1995, se monte à 9,2 MDT.

La production du sel en Tunisie a permis, depuis des années, de satisfaire les demandes locales et d’exporter vers d’autres pays. La production du sel est estimée à 1,5 million de tonnes annuellement, dont 90% sont destinées à l’exportation.

Environ 30 entreprises et 6 personnes physiques opèrent dans le secteur du sel, offrant 665 emplois dont 430 sont pourvus par la COTUSAL.

La COTUSAL réalise près de 30 MDT de chiffre d’affaires avec une production annuelle de 1 million de tonnes de sel, dont 750.000 tonnes sont destinées à l’exportation.

La production annuelle de sel marin par cette compagnie représente 70% du sel produit en Tunisie.

Le sel marin est-il une ressource naturelle?”

Selon l’article 13 de la Constitution, l’octroi des concessions d’exploitation des ressources naturelles est désormais plus transparent et ses conditions sont soumises à l’approbation du Parlement. Ainsi, l’exploitation du sel en Tunisie, qu’il s’agisse d’exploitation de gisement ou de marais salants, devrait dorénavant être discutée et approuvée par l’ARP.

Pour sa défense, la COTUSAL argumente que l’extraction du sel des marais tunisiens ne relève pas de l’article 13, car cette exploitation ne repose que sur l’exploitation de l’eau de mer, du soleil et du vent par évaporation et qu’elle ne consomme que des énergies renouvelables, sans aucun risque de priver les générations futures d’une telle richesse.

Pour l’Observatoire, “il paraît indispensable de leur rappeler que le soleil, l’air, et la mer font partie du territoire national et par conséquent leur exploitation est régie par l’article 13. De plus, il faut aussi attirer l’attention sur le fait que l’article 13 n’a pas été rédigé uniquement pour protéger les générations futures, mais principalement pour garantir la propriété des ressources du territoire national au peuple tunisien ainsi que la souveraineté de l’Etat sur ces ressources”.

“Au regard des chiffres, il est clair que l’exploitation du sel marin en Tunisie est une richesse nationale à partir du moment où il s’agit d’une richesse produite par des facteurs de production résidents, à savoir les entreprises résidentes sur le territoire”.

“Quant à la polémique récente autour de la COTUSAL, ainsi que celle qui a éclaté en 2014, elle reste toujours une affaire sans suite. Du fait d’être régie par la convention de 1949, pour les salins de Sousse et Sfax, ce qui représente la moitié de la production de la COTUSAL, cette dernière s’est vue obtenir le droit exclusif d’extraire le sel marin pendant 50 ans, en occupant le domaine public à un prix symbolique et le droit exclusif d’exporter le sel marin pendant 30 ans”, constate l’Observatoire.

La compagnie exploite également le sel marin sous la convention de 1949 et ne se soumet pas, pour les salins de Sousse et Sfax, au Code des mines par rapport à tous les autres exploitants de sel marin tunisien.

Face à cette convention inégalitaire, l’application de l’article 13 prend tout son sens. L’article 13 concrétise la souveraineté permanente sur des ressources naturelles, principe émanant de la volonté des Etats de revoir les contrats inégaux de la période coloniale, ici parfaitement concrétisé par la convention 1949.

Le sel est bien une richesse nationale

Pour l’Observatoire, “puisque le sel est bien une richesse nationale et une ressource naturelle, il semble que l’affirmation du contraire par certaines parties prenantes du débat autour de la COTUSAL soit un argument avancé pour ne pas se soumettre à l’article 13 de la Constitution Tunisienne”.

Dans le cadre de ses activités visant à “révéler la vérité sur les violations du passé”, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) a récemment présenté des documents qui révélaient l’exploitation abusive des richesses naturelles tunisiennes par le colonisateur français. Parmi les documents sur lesquels l’IVD appuie ses conclusions, une convention datant de 1949, relative au droit d’exploitation de la Compagnie générale des salines de Tunisie, a été rendue publique.

Il ressort de cette publication que “par cette convention, le Résident Général de France à Tunis a approuvé la fusion de 4 sociétés françaises de salinité qui exploitaient les salines de Khniss, Sidi Salem, Sfax (Thyna) et de Mégrine constituant ainsi la COTUSAL et organisant son activité”.

La convention de 1949 a suscité une grande polémique, elle a permis à la COTUSAL, de détenir le monopole du marché de l’exploitation du sel en Tunisie jusqu’en 1994, date à laquelle son premier concurrent est entré sur le marché. De plus, depuis l’ère coloniale et jusqu’à nos jours, cette convention octroie une taxe d’exploitation calculée sur la base du prix le plus bas de la grille afférente à l’exploitation du sol tunisien, à la COTUSAL, ce qui autorise cette compagnie à exploiter un domaine public maritime à un prix symbolique.

Ainsi, la compagnie dont le capital actuel est de 65% étranger et 35% tunisien, exploite les salines tunisiennes de “Thyna” et de “Sahline” à un franc français par hectare et par an.