Quelles conséquences la nouvelle crise du Golfe a-t-elle pour les pays du Maghreb arabe ? Le CESD, CAREP et le Centre Ibn Rochd d’études ont essayé de répondre à la question.

La –énième- crise que connaît la région du Golfe depuis 2011 -et dont le bras de fer entre un groupe de pays mené par l’Arabie Saoudite et le Qatar n’est que le plus récent avatar- n’est pas un événement tombé comme un cheveu sur la soupe. Rafik Abdessalem et Mehdi Mabrouk, respectivement anciens ministres des Affaires étrangères et de la Culture, et fondateurs-présidents du Centre d’études stratégiques et diplomatiques (CESD) pour le premier et du Centre arabe pour les recherches et études Politiques (CAREP) pour le second, s’accordent sur ce fait.

Pour Rafik Abdessalem, après la fin de la guerre froide et, surtout, l’effondrement de l’ex-Union Soviétique, on a théorisé l’évolution de notre monde, «en état d’instabilité chronique» vers une situation multipolaire où dominerait une seule grande puissance –les Etats-Unis. Mais, note le président du CESD, il est apparu clair par la suite que «la situation mondiale est plus compliquée et complexe» qu’on l’imaginait. Qu’on s’acheminait plutôt vers «un monde multipolaire».

Aujourd’hui, l’ancien chef de la diplomatie entrevoit «l’émergence d’un nouvel ordre mondial» dont les retombées se font sentir à l’échelle de la région arabe. La première d’entre elles est «un vide politique consécutif au recul de la présence américaine». Cela s’est passé durant les huit années de la présidence de Barak Obama qui «avait commencé par manifester de l’enthousiasme pour changer la situation dans la région», avant de se raviser.

Suite au «décrochage» américain, de nouvelles forces –dont notamment la Turquie, la Chine et la Russie- sont entrées dans la danse dans le but de «dominer la région». Et ce à la faveur d’une série de crises, parmi lesquelles la guerre en Syrie, dans lesquelles certains voient «un des aspects du changement en cours» et d’autres la manifestation de «complots extérieurs».

Deuxième retombée de la recomposition stratégique en cours, un état de division et d’éclatement qui prend la forme d’un «retour à la politique des axes qui a paralysé le système arabe».

Troisième conséquence, «une orientation vers le changement des priorités politiques» des pays arabes. M. Abdessalem en voit la preuve dans la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères où l’on a surtout parlé –du moins les représentants de certains pays- de «menace iranienne ou turque». De ce fait, «le dossier palestinien a cessé d’être prioritaire».

Mais, se félicite le président du CESD, «la rue arabe et islamique a retracé la carte des priorités et recentré l’attention sur la question palestinienne par les manifestations qui ont éclaté après la décision du président Trump» de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem.

Mehdi Mabrouk partage les grandes lignes de l’analyse de son partenaire –le CAREP a co-organisé lundi 11 décembre, avec le CESD et du Centre Ibn Rochd d’études, dirigé par Kamel Ben Younes, un séminaire sur «les nouvelles transformations régionales et leurs retombées sur les pays du Maghreb arabe-, mais pas son enthousiasme pour le «réveil» arabo-islamique. Le président du CAREP s’inquiète des retombées négatives des crises en cours dans la région arabe: «division de l’opinions publique arabe», «développement spectaculaire du terrorisme comme moyen de contre-mobilisation», «baisse du minimum commun entre les Arabes», «disparition des lignes rouges sur les plans moral et politique» et «production d’une situation de polarisation interne en prolongement de la polarisation externe», ce qui «pourrait réduire les chances de réussite de la transition démocratique».