Cela volait très haut. C’est le moins qu’on puisse dire de la conférence présentée samedi 25 février par l’économiste Hédi Larbi dans le cadre des rencontres du Cercle Kheireddine et où il a été question des «Expériences internationales de sortie de crises économiques. Quelles leçons pour la Tunisie?».

4 pays, 4 cas modèles avec chacun ses spécificités : la Slovénie après la chute du régime communiste, l’Uruguay suite au passage du pays d’un régime militaire à un autre civil, la Suède et Singapour dont les crises ont été provoquées parce qu’on avait anticipé les difficultés et crises économiques. Tous ces pays ont réussi tant bien que mal leurs transitions et, pour les meilleures raisons du monde, sauvegarder leur stabilité sociale et assurer leur développement et croissance économique avec pour leitmotiv: jamais de consensus mais des compromis! Dans cette première partie, deux cas, la Slovénie et Singapour. 

Pour garantir le succès de l’entreprise, les acteurs et leur manière d’interagir sont fondamentaux, explique Hédi Larbi. Les acteurs dans tous ces pays ont eu le courage de s’incliner devant l’intérêt national et ont osé redéployer leurs stratégies de développement pour réussir la sortie de crise.

Premier exemple : la Slovénie, suite à la chute du mur de Berlin dans les années 90. Un pays où l’économie s’était totalement écroulée. «Le modèle social était toujours là mais le peuple était désemparé parce que les institutions étaient effondrées. Une remarque en passant. A l’époque, le revenu moyen par tête d’habitant était de 5.000 $, en fait de 2.200 dollars parce que les chiffres étaient gonflées explique l’intervenant. Aujourd’hui, il est de 32.000 $ par an! La Slovénie est le premier pays exportateur d’Europe et se situe bien entendu dans la zone euro».

En Slovénie, la transition économique a duré tout juste une année, pas 5 ou 7 ans. Le modèle politique était européen démocrate libéral. Nous ne pouvons faire de transitions politiques sans transitions économiques, assure Hédi Larbi. «Si nous passons des décennies à discuter de transition politique sans la lier à une transition économique, nous sommes ensuite bloqués parce qu’en général c’est à travers le débat politique que nous arrivons à insérer un certain nombre de réformes, une nouvelle vision, de nouvelles stratégies».

La question que les acteurs slovènes avaient posée à l’époque était: quel modèle d’économie de marché ils voulaient. Les indicateurs économiques étaient désastreux avec un taux de chômage de l’ordre de 35%, des déficits budgétaires successifs et une situation sociale catastrophique. Les syndicats étaient puissants et le gouvernement n’a jamais eu de majorité parce que le gouvernement était de coalition. La situation risquant de devenir dramatique, il n’a pas fallu plus d’une année pour qu’opérateurs publics et syndicats (au nombre de 4) comprennent que le seul moyen de sauver le pays était de s’entendre. L’un des syndicats, Association des Syndicats Libres (ASL) était très fort parce que lié au parti communiste et qui avait exigé 400% d’augmentations de salaire au vu de la détérioration du pouvoir d’achat. 

Dans l’intérêt de la Slovénie, la gauche s’est alliée à un gouvernement libéral

Eh oui, sous d’autres cieux la gauche n’oppose, pas un non automatique à toutes les décisions gouvernementales observant un autisme insupportable face aux maux réels du pays. L’exemple slovène relaté par Hédi El Arbi le démontre explicitement.

Peur de l’échec, pression des bailleurs de fonds et élection, après une année, d’un gouvernement de centre droite libéral (sur le plan politique et non économique) fragile qui a très vite démarré les négociations avec la puissante ASL et un secteur privé inexpérimenté dans un contexte économique où la croissance a été pendant 3 trois ans de -10%.

Pour sortir de crise, le gouvernement slovène s’est entouré d’experts venus pour la plupart de l’étranger et les a priés de mettre en place un programme de relance économique. Les décideurs de la place ont compris que la réponse aux problèmes du pays ne consistait pas en une augmentation systématique des salaires, suivie, généralement, tout de suite d’une inflation mais bel et bien de relance économique.

Pour ce, et pour réaliser la stabilité macro-économique, la cohésion sociale était de rigueur. Un cadre de dialogue institutionnalisé et indépendant a été mis en place et scindé en deux composantes: l’une technique, regroupant les experts baptisée “conseil économique et social“ et l’autre décisionnelle articulée en un “Conseil d’Administration“ composé du gouvernement, des partenaires sociaux et des partis politiques.

La première avait pour objectif la conception de programmes concrets et réalisables en prenant en considération les implications des données économiques sur le social, et l’autre décide car il revient aux politiques de trancher et d’assumer.

En Slovénie, on a réussi à technocratiser les politiciens. Résultat: rationalisation du dialogue social grâce aux débroussaillages des experts et techniciens qui éclairent les décideurs.

Pour mettre fin aux revendications, il a été décidé de procéder à des augmentations salariales de l’ordre de 15% d’un seul coup sur 2 ans et à partir de la 3ème année, les salaires ne pouvaient être augmentés qu’en considérant l’équation productivité (-1,5%).

Les experts ont également mis en avant la problématique des entreprises publiques en difficulté, vétustes qui employaient des centaines de milliers de personnes et qui ne pouvaient résister au contexte économique européen très compétitif. Il fallait privatiser.

4ème point traité, les caisses de retraite en souffrance et qui risquaient de totalement s’effondrer à cause du redressement des entreprises publiques et leur privatisation, ce qui implique entre autres le licenciement de milliers de travailleurs et l’incapacité de payer les retraites.

«Les problèmes économiques sont imbriqués les uns des autres, d’où l’importance d’avoir des experts pour les dénouer», indique M. Larbi.

Les axes résultant du travail engagé par le gouvernement slovène ont été la stabilisation macroéconomique, la politique du revenu et la politique salariale, et chaque composante des propositions des experts ont fait l’objet de rapports détaillés sur le comment et les moyens de concrétisation des objectifs de relance. Il s’agit de la politique industrielle, la réforme de la fiscalité et la réforme du code du travail : l’un des piliers de toutes les réformes.

«Le nationalisme de basse échelle éliminé» 

En Slovénie, le nationalisme de bassse échelle a été éliminé tout de suite parce qu’il s’agissait de sauver le pays. Le fait que des experts étrangers participent à la proposition de plans de redressement du pays ne posait plus problème. L’argument avancé était de taille: ils disposaient d’une expertise qui n’existait pas sur place.

Autre élément important adopté par les différents acteurs sur la place slovène était de ne pas politiser le contrat social. L’une des premières suggestions du Conseil économique et social consiste en l’élimination des retraites anticipées et l’élévation de l’âge de retraite à 63 ans. Il y eut mise en place de systèmes de retraite complémentaires et création d’une association de retraités. La révision du régime de retraite a depuis lieu tous les 5 ans. «En fait, en Slovénie, on n’a pas fait de réformettes, on a engagé de véritables réformes».

Pour ce qui est de la privatisation des entreprises publiques, on a appelé les employés à en devenir les actionnaires. 50% ont été achetées par leurs salariés dont la moitié seulement a survécu. Les entreprises qui pouvaient être sauvées ont été renflouées par l’Etat et on s’est débarrassés de celles qui n’étaient plus gérables.

Un fonds de chômage a été mis en place pour les travailleurs licenciés afin d’éviter une crise sociale. Ils ne pouvaient, toutefois, pas en bénéficier sauf s’ils acceptaient de suivre des cycles de formation et de recyclage supervisés par des responsables d’orientation professionnelle. Le programme de réinsertion a été accompagné par des agences de placement qui suivent la formation de bout en bout et trouvent des postes d’emploi aux chômeurs dans le secteur privé.

Résultat : le PIB de la Slovénie a doublé en 5 ans et redoublé de nouveau au bout des 5 autres années, et c’est le pays le plus stable en Europe de l’Est. Cette réussite est la résultante d’un dialogue social structuré et organisé avec les partenaires sociaux dans un cadre institutionnel indépendant avec un programme de réformes et de l’expertise.

Singapour: Une réforme provoquée et non subie

Singapour, le dragon de l’Asie a provoqué le changement, il y a 42 ans. «En 1975, les conseillers du Président sont venus le voir et l’ont prévenu: monsieur si nous continuons sur cette lancée, nous risquons gros au bout de dix ans. A l’époque, l’économie du pays était au plus fort avec un taux de chômage de 3% de chômage, une épargne nationale de 80%, des exportations atteignant les 179% du PIB. Pour l’ensemble de la période 1961-2015, le taux de croissance de ce pays a affiché une moyenne annuelle de 7,51%.

Le constat des experts est tiré d’une étude lancée par le conseil stratégique du pays et qui prévoit la chute économique du pays après 15 ans. La raison en est simple, on doit la prospérité de Singapour à une industrialisation de faible valeur ajoutée, ce qui ne lui permettra plus, avec la montée en flèche de pays comme la Malaisie, la Chine, l’Inde et d’autres… Des pays qui investissent énormément dans les hautes technologies.

Le niveau de salaires et le coût horaires y étant plus élevés à Singapour, elle ne n’aurait pas pu être compétitive. Les investisseurs implantés sur place font leurs extensions ailleurs. Constat: 30% de l’économie peut disparaître et le taux de chômage augmentera.

A Singapour, les syndicats étaient très forts, par conséquent, il fallait les convaincre. Le président a pris les choses en main et a décidé de la mise en place d’une transformation structurelle de l’économie dans tous les domaines. Les meilleurs technologues du monde ont été sollicités et en premier des Américains et des Anglais parce qu’ils maîtrisaient les subtilités des hautes technologies et les marchés. «Chez nous, dès que nous ramenons un expert international, les cris fusent de partout». Ils se sont mis à la diplomatie économique et ont commencé par recruter des technologues dans chaque pays pour la mise en place de stratégies d’investissements ciblées.

Le président ainsi que les hauts commis de l’Etat ont été mis à disposition pour démarcher eux-mêmes les grands groupes. C’est ainsi qu’Intel est devenue la locomotive des hautes technologies sur place.

Le président a également décrété en présence des partenaires sociaux une augmentation de salaires de 20% chaque année et pendant 2 décennies. Les syndicats ont applaudi, les employeurs ont opposé un niet ferme. La réponse du président fût : le monde change et vous restez au point mort, prenez votre temps et dites-moi ce que vous pouvez faire pour que vous ne perdiez pas vos marchés et sauvez vos affaires.

Les membres du patronat se sont concertés et revenus avec des propositions pour la restructuration de leurs entreprises mais avec une condition: la révision du code du travail qui ne comporte pas les outils nécessaire à une refonte de l’économie.

In fine, tous les acteurs sur place sont arrivés à une conclusion: ne plus discuter de salaires mais des moyens adaptés à une restructuration économique où tout le monde est gagnant et avec pour fer de lance les technologies à haute valeur ajoutée.

Les secteurs identifiés, de grandes incitations fiscales ont été mises à disposition pour encourager les nouveaux investisseurs.

Pour satisfaire aux besoins des nouvelles orientations économiques du pays, une transformation radicale du système éducatif eut lieu et l’Instance indépendante d’éducation et de formation professionnelle dotée d’une grande expertise dans l’éducation a été créée.

Les investissements dans la logistique et les process industriels se sont accrus.

L’acteur social au Singapour a été de toutes les décisions et a été présent à tous les conseils d’administration. «Ce n’est pas vrai que dans les économies libérales, il n y a pas de social, le social existe mais de manière intelligente. Au Singapour, le leitmotiv est devenu, je ne défends pas le salaire, je défends le revenu. Si un salaire doit disparaître, qu’il en soit ainsi pourvu qu’ensuite la situation s’améliore». Pour les syndicats, la leçon à tirer était qu’à partir du moment où l’on pouvait mieux vivre parce que l’on a amélioré ses performances le problème des licenciements ne se posait plus de la même manière. Sachant que dans leur pays après que le chômage ait atteint les 8% suite à l’adoption des nouvelles stratégies, il s’est résorbé au bout de 5 ans. Dans l’attente, les chômeurs ont bénéficié, d’une prime de chômage.

Pour conclure sur les deux exemples cités plus haut, nous avons vu deux exemples très différents l’un de l’autre avec toutefois des similitudes: la prédisposition de tous les acteurs sur place qu’ils soient politiques, partenaires sociaux ou technocrates à s’engager dans le chemin des réformes de fonds aussi douloureuses et compliquées soient-elles.

Ils n’ont pas fait de surenchères et ne sont pas tombés dans un populisme destructeur et détestable. Le patriotisme l’a emporté sur l’ego et le corporatisme!

A méditer.