Tunisie – Culture : 61% des Tunisiens n’ont jamais lu de leur vie un livre

Les résultats d’un récent sondage, effectué dernièrement par Sigma Conseil, sur la relation du Tunisien avec la culture et ses principales composantes -le livre, le cinéma, le théâtre et la musique-, révèlent non seulement l’ampleur du désert culturel dans lequel évolue désormais le tunisien mais également sa répugnance presque génétique à ne rien dépenser pour sa culture.

Portée du niet russe.

tunisien-sondage-contre-lecture.jpgMené auprès d’un échantillon de mille personnes résidant à hauteur de 70% dans les villes et 30% dans le monde rural, et représentant les 24 gouvernorats du pays, toutes les catégories sociales et tous les âges, ce sondage a été rendu public, jeudi 31 avril 2016, sur la chaîne privée El Hiwar Ettounsi dans le cadre de l’émission «Alyaoum Etthamen». 

Des résultats effrayants

Interrogés s’ils allaient, régulièrement, à des spectacles de chants et de musique, 59% des sondés ont révélé qu’ils n’ont jamais assisté, de leur vie, à un gala, tandis que 41% ont déclaré avoir eu le temps de le faire, au moins une seule fois. Hassen Zargouni, DG de Sigma Conseil, a précisé que les fêtes de mariage ne sont pas concernées par ce sondage.

Interrogés sur le dernier livre qu’ils ont lu, 61% des enquêtés ont déclaré ne pas avoir lu, de leur vie, un seul livre. Les 39% restants ont déclaré avoir au moins un livre, y compris les livres religieux. Empressons-nous de signaler tout de suite que le taux de 61% est un des plus bas de toute la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (Mena).

Les sondés ont été interpellés sur leur degré de fréquentation des salles de cinéma. 66% d’entre eux ont déclaré qu’ils n’ont jamais vu, de leur vie, un seul film dans une salle de cinéma, alors que les 34% qui restent ont révélé avoir vu au moins un film dans une salle de cinéma.

Ils ont été également questionnés sur leur degré de fréquentation des salles de théâtre, 72% ont répondu ne pas avoir assisté, même une seule fois, à une seule pièce de théâtre contre 28% qui ont fait savoir le contraire, c’est-à-dire qu’ils ont assisté au moins une fois à un spectacle de théâtre. 

Les non-dits du sondage

De tels chiffres sont le moins qu’on puisse dire effrayants. Ils démontrent de manière éloquente trois choses. Premièrement, le Tunisien est, de nos jours, un être inculte par excellence, et par conséquent malléable à merci et exposé à toutes les manipulations idéologiques.

Deuxièmement, ces chiffres illustrent l’atrocité du travail de sape systématique que le dictateur Ben Ali et son ministère de la culture avaient déployé pour appauvrir les esprits, manipuler les contenus culturels et dissuader toute créativité intellectuelle.

Troisièmement, ils viennent illustrer également que le soulèvement du 14 janvier 2011 était loin d’être une révolution au sens convenu pour les historiens. A ce sujet, l’universitaire et historien français Jean Tulard estime que toutes les révolutions (française, bolchévique, mexicaine…) suivent la même évolution: elles germent et naissent dans les mentalités grâce aux intellectuels, explosent dans les villes du pays grâce aux couches populaires, favorisent, dans l’euphorie, une fraternité nationale avant de glisser, in fine, dans la terreur, c’est-à-dire la prise du pouvoir par une dictature new look: un autre parti totalitaire, l’armée…». C’est tout juste une émeute téléguidée au point d’avoir amené l’actuel président de la République, Béji Caid Essebsi, à qualifier «le printemps arabe de création purement occidentale». 

Réinventer la culture sans le ministère de la Culture

Aujourd’hui, abstraction faite de ces considérations historiques, l’urgence de nos jours est de mettre à profit cette période de transition démocratique et l’esprit de liberté qui souffle sur le pays pour réinventer la culture du pays et en faire une  industrie prospère et génératrice d’emplois, comme c’est le cas en France, en Italie et dans les pays développés en général. Car on ne le dira jamais assez: l’“émeute“, le “soulèvement“ ou “révolution“ du 14 janvier 2011 ne peut survivre et se pérenniser qu’à la faveur de la promotion de la culture. Un tel projet est tributaire entre autres de la décentralisation culturelle, de la mise en place, dans tous les villes du pays, d’environnements incitatifs à la créativité culturelle et de la suppression pure et simple du ministère de la Culture à l’origine de tous les maux du secteur, pendant les trois dictatures successives de Bourguiba, de Ben Ali et de la Troïka.