Tunisie – Béchir Boujdai, membre du bureau exécutif de l’UTICA : “Des réformes réelles et une stratégie effective sont préconisées face au déclin de l’industrie”

Par : TAP

bechir-boujday-utica.jpgBéchir Boujdai, membre du Bureau Exécutif de l’UTICA et président de la Fédération Nationale de la Mécanique, préconise, dans une interview accordée à l’agence TAP, des réformes fiscales “réelles” pour prendre en main le sort d’un tissu industriel encore en place, mais de plus en plus affaibli, en l’absence d’une stratégie “effective” de développement.

Il estime que le fléchissement des indicateurs de l’industrie est, avant tout, un résultat naturel de la conjoncture et des difficultés par lesquelles passe l’économie tunisienne.

Question: Comment expliquez-vous le fléchissement des indicateurs de la production industrielle en Tunisie?

Réponse: C’est un résultat naturel de la conjoncture difficile par laquelle passe l’économie tunisienne. C’est aussi, un choix délibéré de transiter d’une économie de services capitalistiques vers une économie de services moins capitalistiques, mais qui sont d’une rentabilité immédiate.

Malgré ce fléchissement, le tissu industriel est là. Il faut qu’il le reste, car on reconnait l’indépendance d’un pays par son tissu industriel. Or, l’implantation d’une industrie solide nécessite des aménagements, des infrastructures, des services annexes et des moyens de promotion pour certains secteurs. Notre industrie, nous en avons hérité et nous l’avons construite, mais elle reste une industrie basée, en grande partie, sur la sous- traitance, qui est moins lourde que les industries mécaniques. En Tunisie, le tissu industriel est tiré par des entreprises locomotives (STEG, STIA, CPG, El Fouledh ….).

Le choix de l’industrialisation n’a pas été, toutefois, parachuté, c’est un choix naturel et soutenu par les atouts dont dispose la Tunisie (proximité de l’Europe, compétences humaines, rapport qualité-prix de la main d’œuvre…).

Le marché tunisien était protégé auparavant, mais après l’accord de libre échange avec l’Union européenne, les frontières ont été ouvertes et nous nous sommes trouvés exposés à une rude concurrence et aussi à l’entrée de produits divers et peu contrôlés sur le marché local. Résultat: il y avait des commerçants qui se sont transformés en industriels alors qu’aujourd’hui c’est presque le contraire, des industriels, attirés par le gain facile, se transforment en commerçants. On vendait la main d’œuvre la moins chère dans le bassin méditerranéen pour un rapport qualité-prix qui était favorable. Aujourd’hui, on a perdu ce rapport et on va le perdre davantage, non à cause des augmentations salariales, mais pour des problèmes sociaux, de productivité, de production, de non respect de nos engagements et de la dépréciation du dinar

Q: Est-ce un choix délibéré de transiter de l’industrie vers les services?

 R: C’est, en partie, un choix. Malheureusement, dans cette mutation, on est en train de toucher chaque jour un peu plus à la compétitivité et à la position du site Tunisie vis-à-vis de ses concurrents qui ne son pas uniquement ceux du bassin méditerranéen, mais aussi d’autres très sérieux de l’Europe de l’Est.

 Il y a aussi le choix de diversifier les marchés et et les activités. Le Tunisien est aussi intelligent et a compris qu’il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier. Mais, généralement, l’instauration d’un cadre économique transparent, clair et compétitif est souhaitable et pourrait générer des profits pour les entreprises où qu’elles soient.

 Q: Y a-t-il des secteurs de l’industrie qui se portent bien?

 Malheureusement, on a très peu de secteurs qui se portent bien. Ceux qu’ils le sont sont des secteurs diversifiés et supposés être soutenus, d’une façon ou d’une autre, et je ne parle pas du soutien étatique. Je veux dire qu’ils investissent dans des pays où la qualité de la vie est meilleure et où il y a plus d’ouverture, de potentiel et surtout des procédures simplifiées.

En Tunisie, il y a de plus en plus d’investisseurs qui se trouvent découragés par des blocages à plusieurs niveaux. C’est pourquoi, d’ailleurs, depuis des années, aucun mégaprojet n’a été réalisé dans le pays. C’est toujours à cause de l’absence de grandes réformes. On n’a pas encore eu suffisamment de courage pour prendre les mesures nécessaires, les réformes radicales et les décisions responsables qui permettent de relancer l’industrie tunisienne. Dans d’autres pays, même en l’absence de gouvernement, l’économie tourne normalement, mais en Tunisie nous n’avons pas un gouvernement fort et audacieux.

D’autre part, il faut séparer la politique des affaires et respecter les lois de la démocratie. Il faut qu’il y ait une paix sociale, aujourd’hui, nécessaire pour avancer. Les politiciens doivent, ainsi faire leur paix politique et nous laisser travailler en paix.

Q: La contrebande vient aggraver la crise de l’industrie, pourquoi nous n’avons pas réussi à la combattre?

 La contrebande est un problème majeur pour les industriels qui travaillent dans les règles de l’art. Il faut une lutte ferme contre ce mal qui porte préjudice à l’économie tunisienne en général. Pour combattre ce fléau, les produits non conformes aux normes et qui présentent des risques sur la santé doivent être éliminés et dénoncés pour être connus par tout le monde. Il faut, en contrepartie, faciliter les procédures l’entrée des produits dans les circuits conventionnels, réduire les taxes douanières et engager des réformes fiscales réelles dans le cadre d’une stratégie effective. Aujourd’hui, il y a un blocage au plus haut niveau des réformes proposées, dont celles suggérées par le ministre des Finances dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2015. J’estime que jusqu’à ce jour, il n’y a aucune déclaration officielle gouvernementale qui dénonce fermement la contrebande, qui doit être criminalisée. Car, les barons de la contrebande sont connus et leurs magasins aussi, mais ils continuent d’exercer au lieu d’être sanctionnés.

Q: Qu’est ce que vous recommandez pour faire évoluer la situation et relancer l’industrie?

 R: Il faut être réaliste et cohérent. On ne peut pas remodeler la Tunisie du jour au lendemain. Malheureusement on est en train de favoriser la création de plusieurs extrémismes, je ne parle pas d’extrémisme religieux mais d’extrémisme politique et d’extrémisme parlementaire. Il faut aussi développer le sentiment de patriotisme d’appartenance à cette nation. On a besoin d’un gouvernement fort qui assume ses responsabilités et fait respecter la loi.

Le châtiment n’est pas la meilleure formule, mais il faut faire respecter la loi et couper avec l’impunité. Aussi, il ne faut pas tolérer les blocages pour des raisons de majorité et de minorité, car maintenir le pays figé est un crime, pour celui qui en est la cause, mais aussi, pour celui qui a le pouvoir, mais pas l’audace de faire évoluer les choses.

 Q: Et pour les secteurs clés de l’industrie ?

 R: Aujourd’hui, on a un secteur très développé à fort potentiel, celui des composants automobiles, premier secteur exportateur avec le textile-habillement. Pour ce qui est du secteur mécanique, c’est un sous-traitant, mais c’est de la sous-traitance technique. Il y a encore des possibilités à l’export, mais il faut respecter les engagements et travailler à flux tendu. Pour booster le secteur, il faut améliorer les services portuaires, la performance logistique et le temps de réponse.