Tunisie – Industrie : «Le projet Gaz du Sud était en souffrance avant l’arrivée du gouvernement Essid» (Zakaria Hamad)

Zen, serein et confiant. Zakaria Hamad, ministre de l’Industrie, est rassurant, il redonne confiance en un climat d’affaires fragilisé par la dictature des syndicats et des entreprises vivant une «liberté de travail provisoire». Pour lui, le gouvernement est là pour solutionner et par du concret et non pour se lamenter; il est là pour agir et non pour réagir.

Deuxième partie d’un entretien qui rassure plus que la réalité que nous vivons tous et particulièrement l’économie du pays.

zakaria-hamad-industrie.jpgWMC : Qu’en est-il du projet du pipeline Gaz du Sud?

Zakaria Hamad : Le gaz du sud était en souffrance, il n’a jamais démarré. C’est le gouvernement Habib Essid qui l’a fait revivre et remis sur pieds, il faut bien le signaler. C’est un projet structurant, d’où son importance. Nous pouvons considérer aujourd’hui que nous sommes bien avancés sur ce projet, son entrée en production est prévue pour 2017. Nous sommes aujourd’hui à 20% de progression au niveau de l’exécution des travaux.

C’est un projet tellement important que j’ai décidé de créer un Comité de pilotage que je préside moi-même pour suivre l’avancement des travaux de réalisation, étape par étape.

Je voudrais rappeler à ce propos que grâce au projet Gaz du Sud, nous pourrions approvisionner 25% de la Tunisie en gaz naturel.

Y a-t-il des projets structurants aussi importants que celui du Gaz du Sud que vous comptez lancer?

Il y a des projets assez importants qui étaient en instance et que nous avons essayé, dès mon arrivée, de débloquer. Il y a celui du stockage du GPL à Gabès qui démarrera incessamment. Il y a celui de la Mdhilla II pour la transformation du phosphate que nous amorcerons bientôt. Ce sont des projets à 100% publics, ils sont structurants et nécessitent de gros investissements.

Il y a aussi l’infrastructure de transport et de distribution du gaz à Gafsa et à Djerba, celui de Meknassi pour l’extraction de phosphate. Nous travaillons dessus pour renforcer la production de phosphate. 100 emplois seront créés dans un premier lieu et au bout de deux ans la mine emploiera 417 cadres et ouvriers.  

Il y a aussi un autre projet de grande importance à Om El Khchab Gafsa, avec une capacité d’extraction de 2 millions de tonnes de phosphate. Il avance très bien pour faire l’extraction et le lavage du phosphate.

Qu’en est-il des centrales électriques?

Il y a un programme pour la création de 3 centrales électriques que compte lancer la STEG et qui s’étalera sur 4 ans, de 2016 à 2020. Une à Radès, une à Mornaguia et une autre à El Skhirat. Pour les deux premières, nous avons déjà lancé les appels d’offres et les opérations de dépouillement sont en cours et avancent bien. Pour la troisième, nous réfléchissons à la structure même de la centrale, l’utilisation des combustibles ou des énergies renouvelables. 

Nous avons quand même réussi à promulguer la loi sur les énergies renouvelables et j’estime qu’elle est déterminante pour notre pays. Elle est structurante pour le secteur énergétique (nous avons un déficit qui se creuse de jour en jour). Les énergies renouvelables représentent une solution adéquate à notre manque en ressources en hydrocarbures fossiles. C’est une solution alternative et durable, nous ambitionnons de satisfaire 30% de nos besoins en électricité d’ici l’an 2040 par les énergies renouvelables.

Là, nous préparons les textes réglementaires pour l’application de la loi, nous espérons que d’ici début 2016, nos besoins seront définis et nous ferons participer la STEG et les privés pour couvrir leurs propres besoins et aussi vendre à la STEG le surplus de leur production en électricité.

Pour changer de chapitre, monsieur le ministre, parlons un peu de l’industrie agroalimentaire et son importance dans les régions. Surtout celles à vocation agricole comme Sidi Bouzid ou encore Kairouan. Un programme de développement de ces industries a-t-il été mis en œuvre par votre ministère et concrètement?

La centrale laitière créée par Hamdi Meddeb à Sidi Bouzid est un modèle à suivre. Je l’ai beaucoup encouragé et soutenue parce que j’y crois. C’est une usine top sur le plan technologique et elle est appelée à s’agrandir. Nous nous attendons à des extensions d’ailleurs car elle a eu un effet d’entraînement au niveau du secteur agricole dans la région.

Les industries agroalimentaires doivent être développées dans les régions. A Kairouan, il y a un grand potentiel en matière de production d’huile d’olive et de tomates, piments, etc. Sauf qu’il va falloir travailler sur les mentalités. Il y a un aspect culturel auquel nous devons accorder de l’importance, nous devons faire un tour de table avec les agriculteurs de la région pour les convaincre de travailler en clusters, ou filières pour être plus compétitifs et plus agressifs commercialement parlant.

Cette démarche est indispensable si nous voulons créer une grande industrie de l’agroalimentaire dans les régions. A Sidi Bouzid, il y a une qualité de tomates extraordinaire, malheureusement elles ne sont pas toutes transformées en produits consommables en conserves.

Est-il normal que dans un pays comme la Tunisie où nous consommons énormément de viandes rouges, nous n’arrivons pas à ce jour à développer la filière de manière professionnelle de manière à satisfaire des consommateurs de plus en plus exigeants ? Et pourtant de par le monde, c’est une industrie.

Il est vrai que nous souffrons de lacunes qui ont un impact même sur la santé des consommateurs. Il y a des études qui ont été réalisées pour améliorer la qualité du travail et les produits des abattoirs, mais cela reste insuffisant à ce jour.

Quand nous voyons une entreprise comme «Habra» pour l’industrialisation de la filière ovine et bovine qui a échoué à s’imposer sur le marché, nous ne pouvons qu’être déçus. Quel est le rôle de l’Etat dans l’encadrement et l’encouragement de ce genre d’activités?

Notre rôle est d’aider les professionnels à s’organiser. Parce que lorsqu’on arrive en bout de chaîne et que les différents maillons ne sont pas fiables ou organisés, il y a forcément des carences. L’idée est de s’organiser davantage. Si nous nous organisons davantage et développons un peu plus le secteur agroalimentaire, nous gagnerons 1 à 2% de croissance.

Vous parlez de difficultés au niveau de l’organisation des filières industrielles, qu’en est-il de celles se rapportant aux problèmes fonciers que rencontrent les entreprises et même au niveau des pôles industriels?

Dans le cadre de la mise en œuvre du premier axe stratégique de notre programme de restructuration du secteur industriel, il va falloir que nous renforcions nos capacités en termes d’aménagement des zones industrielles. En Tunisie, bon an mal an, nous aménageons près de 150 hectares dédiés à l’industrie. Si nous voulons réellement renforcer la présence des zones industrielles dans les régions, le rythme d’aménagement doit être accéléré au maximum.

Nous avons mis en place une stratégie à ce propos, et nous sommes bien avancés à ce niveau. Nous œuvrerons en faveur d’une discrimination positive en faveur des régions.

Là vous nous parlez de programmes concrets?

Bien évidemment. Je vous ai déjà dit que notre plan de développement industriel est décliné sur trois axes. Chaque axe a sa propre stratégie, que ce soit les stratégies à caractère horizontal -tel que l’infrastructure qualité industrielle et technologique-, ou des stratégies sectorielles comme nous l’avons fait pour l’aéronautique… Je vais revenir après sur les énergies renouvelables parce que c’est très important.

Pour nous c’est important, même si certaines parties ne sont pas très convaincues de nos approches, nous préparons d’ailleurs un projet de loi explicatif sur l’article 13 pour voir comment on va procéder à l’application de cet article.

Monsieur le ministre, nombreuses sont les entreprises qui ont dépensé des millions de dinars dans le cadre de leur politique RSE, je citerais à ce propos la CPG, Petrofac et British Gaz, et pourtant le climat social leur est défavorable, pourquoi d’après vous?

Ces firmes ne sont pas seules à avoir dépensé des centaines de millions de dinars. Elles ne sont pas les seules, l’ETAP est également très présente pour ce qui est de la RSE.

Ces firmes ont agit de manière ponctuelle pour calmer les tensions sociales. Elles ont fait nombre d’actions, c’est indéniable, mais comme je vous l’ai dit tout à l’heure, il faut structurer les approches. Il faut identifier les besoins et impliquer les habitants des régions. Répondre aux questions suivantes: comment améliorer le niveau de vie, le cadre de vie etc. Il faut qu’on travaille sur l’environnement, sur la culture, il faut aider les jeunes à créer leurs propres entreprises, il faut avoir une approche globale, et pour Kerkennah, il faut mettre en place un programme qui soit visible aussi.

Si nous nous investissons dans des opérations qui ne sont pas visibles par les citoyens, c’est comme si nous n’avions rien fait, nous pouvons dépenser des millions de dinars en vain, mais si nous mettons en place un programme bien préparé et efficace, il aura des retombées sur la région, et c’est là que nous pouvons réussir l’approche sociétale.

Le rôle d’un ministre, c’est également celui d’un PR pour vendre le site Tunisie et convaincre les investisseurs de ses avantages. Je n’ai pas beaucoup entendu parler de pareilles actions de votre part. Est-ce parce qu’elles n’existent pas ou parce qu’il y a un déficit de communication.

La première réunion que j’ai faite en arrivant ici a été avec les opérateurs privés et des investisseurs de l’UTICA. J’y crois pleinement, il est vrai que j’ai quelque part un déficit de communication. Je reçois chaque jour au moins un investisseur, mais franchement je ne peux pas me mettre à créer l’évènement pour la simple raison que j’ai reçu un investisseur. J’estime qu’il est plus efficace de travailler d’abord et si jamais il y a des réussites et que les négociations aboutissent, en ce moment-là nous pouvons communiquer, mais tant que nous sommes au stade de réunions, il vaut mieux être discret le temps que cela se concrétise.

La communication n’est pas un objectif, l’objectif est tout de travailler d’abord et de communiquer ensuite. C’est par la crédibilité et les actions concrètes que nous pouvons établir des rapports de confiance entre nous et les citoyens. Vous savez parfaitement que ça n’a pas été facile pour nous, avec les attentats terroristes, avec recrudescence des grèves dans les entreprises. Mais nous n’avons pas le choix, nous sommes là pour apporter des solutions et améliorer le climat des affaires et non pour nous plaindre. Le gouvernement Essid a fait beaucoup pour apaiser le climat social, sur le plan sécuritaire, nous avons réservé des fonds assez importants pour la sécurisation des périmètres industriels sur tout le territoire national et assurer la paix sociales en signant un accord avec l’UGTT. Il faut redonner espoir au pays et donner plus d’espoir aux investisseurs.