Politique : Dans un document accusateur, les indépendants du Front Populaire reviennent à la charge!

tunisie-front-populaire-politique.jpgCe n’est pas la première fois et ça ne sera sûrement pas la dernière d’après l’âpreté des débats. Un mouvement critique lancé par les indépendants du Front Populaire (ceux qui ne sont pas affiliés à l’une de ses composantes partisanes) se fait entendre à travers deux militants de grande envergure, Tahar Chegrouch et Mohamed Fetati, deux figures de la gauche historique qui ne cessent, depuis la création du Front, d’essayer de se faire entendre sur des questions aussi importantes que l’organisation et la démocratie interne, la gestion des courants…

Dans un document daté du 25 juin 2015, les deux militants reviennent à la charge longuement sur deux questions majeures concernant l’égalitarisme entre les composantes du Front et ses conséquences néfastes et l’élection des structures à tous les échelons. Ils dénoncent la position officielle du Front sur ces sujets, invoquent les principes de la constitution du Front et appellent à en débattre. Les deux militants n’oublient pas de souligner que d’autres questions non moins fondamentales attendent des réponses claires et rapides. Comme la construction du Grand Parti de Gauche, l’unité des forces démocratiques ou encore la tactique générale, figurent parmi les questions brûlantes que la direction du Front s’abstient de débattre.

Pour alimenter le débat et éclairer l’opinion sur cette question, nous publions l’intégralité du document que Tahar Chegrouch a publié sur sa page facebook.

«Le Front Populaire à la croisée des chemins»

Par Tahar CHEGROUCHE et Mohamed FETATI

Après avoir été un grand projet qui soulevait les enthousiasmes et suscitait les espoirs… le «Front Populaire» est devenu une coquille vide et un vase clos où se trament des basses manœuvres… A peine que le scandale des documents concernant «la chute du gouvernement» a pu être étouffé avec beaucoup de maladresse et de déchirements… qu’«un complot» est dévoilé. Le secrétaire général de l’UGET est démis de ses fonctions par ses paires et alliés du Front Populaire. «Le Congrès de l’Unité» de cette organisation tant attendu est ajourné à la rentrée universitaire… Un autre congrès a été tenu le lendemain de cette déclaration… Il est clair que les congrès ne sont plus un moment fort de réflexion et d’élaboration d’orientations, mais plutôt des lieux de règlements de compte… Loin de nous l’idée de nous ériger en arbitre ou en juge entre les différents protagonistes. D’abord, nous ne disposons pas de données crédibles susceptibles de nous permettre de formuler un jugement fiable…Ensuite, nous nous interdisons de nous immiscer dans les affaires intérieures d’une organisation dont nous respectons l’autonomie.

Si nous avons signalé cette querelle, c’est uniquement pour souligner l’état de déliquescence qu’ont atteint les relations entre différentes composantes du Front. Ce scénario qu’on vient d’invoquer est en quelque sorte la préfiguration de ce qui se passera lors de la prochaine “Conférence nationale“ du Front Populaire. Ajournée à maintes reprises pour approfondissement des débats au sein des structures régionales, elle est, enfin, annoncée pour l’automne prochain. Après plusieurs conférences régionales tenues où l’assistance des secrétaires généraux est plus visible que celle des militants, il est légitime de se demander quelles thématiques ont été traitées?… Quelles réponses ont été apportées aux multiples interrogations des militants? Pour être fructueux, les débats devraient se baser sur des documents d’orientation ou- dans les pires des cas des esquisses qui cerneraient les problématiques et proposeraient les démarches à suivre pour les traiter.

A ce jour, aucun document politique ni organisationnel n’a été préparé. Les Conférences régionales ont été des déversoirs, un purgatoire en quelque sorte où les mécontentements des militants ont été épanchés.” “تفريغ قلوب …

La direction du Front Populaire est confrontée à des problèmes théoriques et politiques complexes. Elle n’a ni le courage politique, ni la probité intellectuelle pour les affronter, sans parler de compétences. La logomachie marxisante (un sous-produit de l’Analyse Marxiste), apprise à la hâte dans les A.G à l’Université, n’est aucunement apte à résoudre ces problèmes compliqués.

Quand ces problèmes sont soulevés par des militants, la Direction du Front Populaire les occulte et feint de les ignorer, lorsque des journalistes s’en emparent. La tactique suivie est simple. Esquiver les questions et donner des réponses vagues du genre «La question de l’organisation est posée au sein du Front!», «La démocratie doit être élargie au sein du Front!», «Le Front œuvre pour l’unité de la gauche en son sein!». Cette manière de faire qui a dominé à certains moments de la vie clandestine n’est plus de mise. Au cours des années noires de chasse aux sorcières, la vie politique de l’organisation clandestine était opaque. La discrétion était de règle. Beaucoup se souviennent des dégâts qu’elle a engendrés: dissimulation, duplicité, despotisme, etc.

Le temps est venu pour rompre avec ces mœurs rétrogrades. Face à l’enlisement du Front, sa crise s’aggrave de jour en jour et ne peut plus être cachée. L’unité de façade s’écroule et les dissensions internes révèlent les vrais problèmes occultés jusque là. Après l’article d’Anouar KOUSRI, membre du Bureau exécutif, survient l’interview donnée au quotidien «Le Maghreb» en date du 20/06/2015 par Ziad LAKHADAR, membre du Directoire. Cette interview a le mérite de donner quelques spécimens des problèmes réels que vit le Front Populaire, longtemps soulevés par nous-mêmes et par d’autres militants, mais toujours occultés par la Direction. Celle-ci-après la défection de certains de ses membres se trouve confronter pour la première fois à un grand dilemme. Il est interpellé à résoudre ces questions de façon démocratique ou s’éteindre à petit feu à l’image du défunt «Front du 14 Janvier 2011». Outre les nombreuses questions politiques d’ordre tactique soulevées où Ziad se démarque particulièrement des tendances aventuristes au sein du Front, il soulève une série de questions relatives à l’organisation et à la direction du Front. Nous nous contentons dans cet article d’examiner deux questions qui nous paraissent s’imposer de part leur importance et leur acuité:

1 : L’égalitarisme entre les partis et organisations composant le Front.

 «Au sein du Front tous les partis sont égaux en droit et s’équivalent en pratique». Ainsi, a déclaré solennellement «La Conseil des Secrétaires Généraux». En effet, les partis qui composent le Front populaire, sont déclarés égaux quelque soit le nombre de leurs adhérents, leur couverture du territoire national, la présence de leurs militants au sein de la société civile et les organisations syndicales, et leur rayonnement au sein de l’intelligentsia…. Il s’ensuit l’institution du système de quotas « المحاصصة » érigé en un principe de direction et de gestion du Front.

Ainsi, des postes de responsabilité au sein des structures du Front, à la prise de parole en public et dans les médias, en passant par la candidature à la députation, sont répartis «équitablement» indépendamment des données réelles relatives au poids et aux compétences de chaque parti. Le corollaire de ce système de quotas est le consensus, le vote est banni. Ainsi, il arrive que l’opposition d’un petit parti sur une grande question bloque la prise de décision et le bon fonctionnement du Front… Une pareille aberration défie toute logique! Beaucoup de militants du Front rapportent l’anecdote du fameux Secrétaire Général dont le groupuscule, faute d’adhérents qui lui permettent de se présenter dans de nombreuses régions, s’ingénie et inventa le subterfuge suivant: il envoyait son proche parent représenter son groupuscule dans plusieurs gouvernorats. Le nombre de militants mobilisés, chaque fois pour l’accompagner jusqu’au lieu de la réunion, dépasse de loin les adhérents de son propre groupuscule. Alors que de nombreux vaillants militants de la région sont écartés de facto parce qu’ils sont indépendants.

Cet égalitarisme n’est pas fortuit, il remplit une fonction bien précise. Il assure la prédominance d’un parti au sein du Front et plus exactement au sein du «Conseil des Secrétaires Généraux». Ce service est monnayé de plusieurs manières: accès aux médias, représentation à l’étranger, députation, etc. On comprend alors pourquoi le Directoire s’obstine à ne pas distribuer les cartes d’adhésion et surtout refuse le principe de l’élection des structures du Front et plus particulièrement celle de la Direction.

S’il lui arrivait d’autoriser des élections, il se rétracte aussi rapidement quand il se rend compte que leurs résultats ne sont pas conformes à ses attentes. Ainsi, «Le Conseil des Secrétaires Généraux» n’a nullement entériné les résultats des élections pour former les listes régionales de candidature à la députation plus particulièrement au poste de tête de liste (l’enjeu réel). L’application de la règle des quotas prévaut sur le libre choix des militants. Drôle de Direction! Elle dénie à ses propres militants ce qu’elle revendique pour le peuple. Cette Direction oublie que certains de ces militants ont donné le meilleur de leur jeunesse pour imposer, au prix d’années de prison et d’exclusion sociale, le principe des élections libres, transparentes et proportionnelles dans le pays et au sein des organisations où ils ont milité.

2 – L’Élection des structures du Front à tous les échelons.

L’élection de toutes les structures est enfin avancée comme un principe général et incontournable. Les multiples propositions qu’avançaient les indépendants se heurtaient, jusqu’à ces derniers jours, à la question si épineuse à savoir celle de l’élection de la Direction. Celle-ci est soustraite des débats sous des arguments fallacieux, et dire que cela émane de personnes qui se considèrent, comme étant des démocrates conséquents. Si ce dernier tabou vient de sauter, le «Conseil des Secrétaires généraux» part en éclats et emporte dans sa volée le poste de porte parole, qui sera, à son tour, soumis à l’élection. «C’est là que le bât blesse». S’il est vrai que les propositions du camarade Ziad sont pertinentes, elles n’en demeurent pas moins limitées parce qu’elles se contentent de traiter les conséquences du problème et s’interdisent de remonter à la racine du mal qui est, à notre sens, la conception «cartelliste» du Front qui a fait son temps, même si elle était valable pour un certain temps. Cette conception conçoit le Front comme étant un cartel des partis politiques, un regroupement, une juxtaposition des directions nationales de partis coalisés dont les appareils continuent à être des entités autonomes les uns par rapport aux autres.

Ce type de regroupement ne peut enrayer ni l’émiettement du champ politique ni la crise de représentativité des partis politiques. Bien au contraire, il les perpétue. Ainsi, depuis la constitution du Front populaire, on constate la coexistence en son sein de cinq formations qui parlent au nom de la classe ouvrière, quatre partis au nom de la nation arabe et trois autres au nom du courant social-démocrate.

Par ailleurs, le Front n’a pas réussi à monter un appareil d’organisation et de mobilisation où fusionnent les efforts et les ressources communes (humaines et logistiques) tant aux niveaux territoriaux (gouvernorats, délégations…) que sectoriels: travailleurs, paysans, femmes, jeunes. A ce niveau, les divisions se sont plutôt accélérées (syndicats étudiant et ouvrier…). Cette ambition s’avère impossible et le Front s’est recroquevillé sur les directions nationales des partis qui le composent. La marginalisation des indépendants, la force vive et intarissable est la conséquence directe de cette conception étroite du Front.

C’est pourquoi le silence du camarade Ziad sur la question des indépendants nous intrigue. On se demande alors quel type de front compte-t-il réaliser? Notre réponse à nous est claire et a été présentée à maintes reprises. Nous voulons un front réellement démocratique et populaire…Une organisation ouverte aux personnes, aux groupes, aux partis qui désirent adhérer à sa plateforme et à son programme et qui acceptent de payer leur cotisation. En contrepartie, ils ont le droit d’élire et se porter candidat à tous les échelons de ses structures sans distinction aucune.

La règle à respecter scrupuleusement est celle qu’une adhésion donne droit à une voix. D’autres questions non moins fondamentales attendent des réponses claires et rapides. La construction du Grand Parti de Gauche, l’unité des forces démocratiques, la tactique générale figurent parmi les questions brulantes que la Direction du Front s’abstient de débattre. Comme un corps fragilisé qui refuse de s’animer, le Front, otage du «Conseil des Secrétaires Généraux» est à la croisée des chemins. Beaucoup de ses militants ont perdu patience et ne se cantonnent plus d’attendre .Car à l’horizon, de nouvelles solutions pointent….