Société : Les Tunisiens manquent de compétences, et la victimisation devient structurelle!

Non, nous ne sommes pas tous compétents et les 250.000 chômeurs diplômés ne sont pas tous des lumières, tout comme, reconnaissons-le, nous ne pouvons pas déterminer avec justesse le nombre exact des chômeurs réels dans notre pays au vu de «l’essor» de l’économie informelle qui emploie des centaines de milliers de personnes sans que l’on puisse les comptabiliser ou les introduire dans la dynamique économique «officielle».

Nous occultons également et très souvent de parler de ces chômeurs qui «refusent de travailler» estimant que leurs diplômes valent des salaires gratifiants parce qu’ils ont suivi des cursus universitaires, comme si cela était suffisant !

wmc-caricature-competences-2013-680.jpgAbsurde lorsque que nous savons que s’il y a tant de chômeurs diplômés sur le marché, ce n’est pas autant parce que les postes d’emplois n’existent pas mais parce que leurs profils ne répondent pas au minimum requis pour les occuper. Et ce malgré les difficultés économiques que traverse le pays. Pour nombre d’eux eux, le refus de recevoir des formations supplémentaires devient un frein à leur recrutement.

Le chômage, cette bombe à retardement qui menaçait depuis la fin des années 90 de faire tomber le régime tunisien, a finalement explosé en pleine figure de l’ancien président, révolution 2.0 oblige. Elle a généré de nouvelles valeurs et tendances conduites par des politiciens souffrant pour la plupart d’un déficit de patriotisme, intéressés et voraces.

Ils ont poussé la «populacerie» jusqu’au mépris, car en les plaçant dans une posture de victimes systématiquement revendicatrices, ils en ont fait des assistés incapables de choisir

Ces politiciens ont exploité la vulnérabilité du pays pour faire du chômage et de la marginalisation des régions un fonds de commerce juteux. Ils ont victimisé à outrance les uns et les autres au point de les convaincre définitivement de leur incapacité en tant qu’individus et communauté à changer le cours de leur existence. Ils ont poussé la «populacerie» jusqu’au mépris car en les plaçant dans une posture de victimes systématiquement revendicatrices, ils en ont fait des assistés incapables de choisir et de décider des orientations à suivre en tant qu’intelligence individuelle ou collective.

En lieu et place de proposer au peuple un projet sociétal, progressiste, constructif et viable, les acteurs de la scène publique se sont acharnés sur lui, semant la haine, faisant des différences entre régions et classes des motifs de refus les uns des autres et suscitant des conflits sur tout le territoire national.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

A cause «d’une longue période de privation et frustration ayant touché une partie des Tunisiens, de faux espoirs véhiculés par les slogans creux de la pseudo-révolution du 14 janvier, une tendance plus ou moins consciente à la vendetta qui anime beaucoup de Tunisiens, dont ceux qui tirent les ficelles du chaos, la faiblesse du civisme et du patriotisme à la base des notions d’espace et d’intérêt communs et une régression massive d’une bonne partie des Tunisiens redevenus enfants incapables de tolérer le moindre manque à l’origine de la suspension de capacité de patienter», estime Skander Boukhari, psychanalyste. 

Les victimes des inégalités existent mais la victimisation à outrance n’est ni spontanée, ni improvisée

Ceci ne concerne pas que la Tunisie, les victimes des inégalités existent partout dans le monde, mais la victimisation à outrance n’est ni spontanée ni improvisée et particulièrement sous des cieux qui ont subi des secousses telles que les nôtres en si peu de temps et sans être passés par une révolution culturelle.

Les experts expliquent le phénomène de victimisation voulue ainsi: «Nous avons affaire à des Nations sans Etat, s’estimant victimisées au sein des cadres stato-nationaux en question et revendiquant leur autonomie. Ces courants se développent dans les aires d’implosion de l’institution étatique: ex URSS, Europe de l’Est, Etats du Tiers Monde, mais aussi dans les banlieues et autres marges des sociétés les plus cohérentes. Ils se manifestent également dans le cadre d’un “retour du religieux” à caractère nationalitaire. De vieilles solidarités éclatées que l’on avait crues évanouies à jamais se réveillent, revendiquant un droit de victimisation légitime sur leurs membres, librement accepté par les participants. Ces mouvements sont animés et parfois suscités par des “entrepreneurs identitaires” qui s’emploient à communiquer leur foi communautariste à des entourages au départ étrangers à cette perspective, spéculant sur des situations de victimisation émanant d’adversaires plus avancés dans ce processus. Ces meneurs se posent en représentants charismatiques de leurs “peuples” et de ce fait comme les détenteurs du droit sacré de décider du sacrifice éventuel de leurs mandants »*.

“Nous avons affaire à des Nations sans Etat, s’estimant victimisées au sein des cadres stato-nationaux en question et revendiquant leur autonomie…”

Cet état de faits analysé dans la revue «Conflits» rappelle étrangement le cas tunisien. Une volonté de division du pays, le réveil des vieilles rancœurs et un chaos orchestré par les mercenaires de la politique et des droits de l’Homme avec pour fonds de commerce: «les polarités nationale, ethnique, régionale, socio-économique, confessionnelle, idéologique, clientéliste, sexuelle et politique».

De tels cultes de la victimisation peuvent se propager rapidement et mener à la destruction de l’unité nationale à une violence recrudescente et à un renversement total de l’échelle des valeurs.

«Ahna dima m3a Ezzaoueli» (Nous soutenons systématiquement les démunis)

Ainsi, il n y a plus d’ascenseur social qui s’appelle diplôme et non plus une valeur travail qu’on chérie, on ne parle même plus du halal dans le sens «yilzmik thallil arkik» (il faut justifier ton salaire par la sueur). Tout ce que nous voyons aujourd’hui est une légitimisation systématique de tout acte revendicateur justifié ou arbitraire, destructeur ou illégal. Certains politiciens vont même jusqu’à vous dire «ena dima ma3a Ezzaoueli» ce qui dénote d’une approche totalement erronée de la chose publique. Car il s’agit pour un député, un ministre ou le président d’un parti politique de voir global, d’être juste et de défendre la communauté dans son ensemble et non les pauvres au détriment des moins pauvres ou des mieux nantis sous prétexte qu’ils ont été lésés dans leurs vies ou encore les riches parce qu’ils ont les moyens.

«Al Adlou assessou Il3imrane» (La justice est la base de tout progrès). Où est la justice dans tout cela? Les personnes nées riches, qui ont réussi leurs vies, qui ont osé, qui ont trimé pour améliorer leurs conditions de vie doivent-elles s’excuser de l’avoir fait? C’est par ce genre de raisonnement que l’on massacre le principe du mérite, que l’on tire la société vers le bas au lieu de donner de l’espoir en valorisant les réussites, en incitant à plus d’ambition et en suscitant le rêve.

Cette tendance s’est tellement développée en Tunisie que les «victimes assistées» sont devenues de plus en plus exigeantes, estimant qu’elles sont dans leur droit de tout exiger et de tout demander.

Les personnes nées riches, qui ont réussi leurs vies, qui ont osé, qui ont trimé pour améliorer leurs conditions de vie doivent-elles s’excuser de l’avoir fait?

Ainsi, à une assistante sociale qui travaille dans des quartiers très pauvres, une maman s’était présentée aux services sociaux pour revendiquer de plein droit de l’argent pour acheter des gâteaux pour fêter la fin de l’année! Certes la compassion est de mise dans ce genre de cas et la société civile ainsi que les pouvoirs publics se doivent d’être plus prévenants pour aider les familles vivant dans la précarité d’améliorer leur qualité de vie, mais pas au point où le gâteau du 31 décembre devient un droit acquis. Pourtant des milliers de familles de conditions modestes ou de la classe moyenne n’achètent pas les gâteaux de la «Saint Sylvestre» parce que trop cher. Elles préfèrent le préparer chez elles.

Un autre cas décrit par Dr Boukhari. Celui d’un jeune homme de 33 ans qui travaille comme «klaybi» qu’il a aidé à régulariser sa situation avec la CNAM en réglant le dû. Ce jeune homme s’est présenté à son cabinet avec un formulaire pour une mise à la retraite anticipée pour cause d’invalidité dépassant les 66, 66%! Le refus catégorique du docteur de souscrire à la requête du demandeur lui a valu la qualification de “tbib mouch inseni”! (un médecin inhumain).

Eh oui, c’est la nouvelle culture que l’on veut nous imposer!

C’est pour dire que le travail est un état d’esprit et que dans la pauvreté, il y a une dignité et une volonté d’avancer.

Heureusement qu’il y a d’autres exemples autrement plus valorisants tels celui décrit par une grande dame qui prépare l’ouverture de son hôtel et qui avait remarqué à quel point un jeune ouvrier était concentré sur le nettoyage et l’aménagement des jardins de l’hôtel: «Il ne levait même pas la tête et ne jouait pas le jeu exprès pour m’impressionner, curieuse de découvrir son profil, j’ai su qu’il était titulaire d’une licence en droit et qu’il venait de Sidi Bouzid. Cette prédisposition inconditionnelle à travailler pour gagner sa vie m’a profondément touchée. Je lui ai promis qu’il aura un grand avenir dans mon entreprise et que sa carrière changera de bout en bout».

C’est pour dire que le travail est un état d’esprit et que dans la pauvreté, il y a une dignité et une volonté d’avancer. Ce jeune homme n’a pas brandi son diplômé exigeant un poste d’emploi coûte que coûte, il a fait les choses dans le sens inverse, il s’est suffi de ce qui se présentait à lui en attendant une opportunité. L’opportunité est venue jusqu’à lui.

A méditer