Tunisie – Politique : Ces vieux qui nous gouvernent!

 

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Les faits sont têtus, nombre de ceux qui pèsent lourd sur le paysage politique tunisien sont âgés. Pourquoi? Il faut plonger dans les racines de notre culture populaire pour expliquer cette gérontocratie qui gagne beaucoup de terrain

Rached Ghannouchi, président d’Ennahdah, 72 ans – Béji Caïd Essebsi, président de Nidaa Touness, 87 ans – Hamed Karoui, président du mouvement destourien, 87 ans – Ahmed Mestiri, 88 ans – Mansour Moalla, 80 ans – Mohamed Ennaceur, 79 ans (ces trois derniers candidats au poste de chef de gouvernement). Et bien d’autres. Le paysage politique tunisien offre la part belle à une certaine gérontocratie. Un terme qui désigne un régime politique où le pouvoir est exercé par les personnes âgées.

Cela est dans la logique des choses, pourrait-on dire. La Tunisie a été tout récemment gouvernée par des vieux. Bourguiba, le premier président de la République, a été fidèle au poste jusqu’à l’âge de 84 ans. Et Zine El Abidine Ben Ali, qui lui a succédé, a tenu le gouvernail jusqu’à l’âge de 75 ans. L’un et l’autre pouvait rester encore à la tête du pays. Bourguiba était président à vie. Et Ben Ali se préparait à un … sixième mandat.

Certains beys de Tunisie, qui, comme tous les rois, régnaient jusqu’à leur mort, sont, par ailleurs, restés bien vieux sur le trône. Ali III (1817-1902) a même réalisé un record en rapport avec ce qu’était l’espérance vie à son époque: il est mort donc à 84 ans. Ahmed II (1862-1942), qui a précédé le bey adulé du peuple Sidi Moncef, a été à la barre jusqu’à 80 ans. Et le dernier bey, Mohamed Lamine (1881-1962) aurait pu rester au trône jusqu’à 81 ans s’il n’avait pas été déposé le 25 juillet 1957 par Bourguiba.

Georges Clemenceau en France, Sandro Pertini en Italie

L’histoire récente nous montre que les pays occidentaux, fief de la démocratie –faut-il le préciser-, ne sont pas en reste. En témoigne l’exemple de Georges Clemenceau, surnommé «le Tigre», l’homme qui a conduit la France à la victoire pendant la Première Guerre mondiale. Né en 1841, il a été président du Conseil (Premier ministre) de 1906 à 1909 et de 1917 à 1920. Sa carrière politique s’est arrêté à 79 ans lorsqu’il décide de se présenter à la présidentielle de janvier 1920. Il n’obtient cependant pas le suffrage des Français.

Autre personnage symptomatique de cette gérontocratie, Sandro Pertini. Né en 1896, le président de la République italienne arrive au Palais du Quirinal (résidence du chef de l’Etat en Italie) alors qu’il a 82 ans (1978). Il restera au Palais du Quirinal jusqu’en 1982. Il a alors 89 ans.

Doté d’une forme splendide, il était toujours présent sur tous les terrains pour partager les heurs et malheurs du peuple italien. Il restera dans l’histoire avec la phrase «Fate presto» (Faites vite) prononcée, en novembre 1980, à l’endroit des secouristes, à l’occasion du tremblement de terre à Irpina, dans le sud de l’Italie.

Les plus âgés d’entre nous sont les mieux considérés

Revenons en Tunisie pour expliquer pourquoi cette gérontocratie a la peau dure. S’explique-t-elle par la culture d’un peuple qui croit toujours dur comme fer aux vertus du patriarche, protecteur, mais aussi sage et expérimenté?

Le mode de production des élites n’obéit-il pas à un schéma mental qui veut que se soient toujours les plus âgés d’entre nous qui sont les mieux considérés? Parce que pour être une «âme bien née», il faut, contrairement à ce que professe le tragédien Pierre Corneille, dans le Cid, il faut que «la valeur» attende le «nombre des années». Un proverbe tunisien ne nous dit pas, à ce titre, que «celui qui est né une seule nuit avant vous, vous devance d’une ruse»?

Rien d’étonnant dans ce cas que chaque fois qu’il faut faire bénéficier un fonctionnaire d’une fonction, on pense d’abord aux plus âgés d’entre nous. «Tu as le temps d’être nommé dans quelques années à d’autres postes. Laissons passer d’abord M. X. Il est plus proche que vous de l’âge de la retraite», entendent souvent les jeunes loups ambitieux qui veulent gravir les échelons. D’ailleurs, aussi bien dans le public que dans le privé, le passage de grade et les nominations prennent en considération d’abord, ensuite et enfin le nombre des années.

Sans doute par ce qu’être vieux s’est plus expérimenté. L’expérience, une valeur sûre qui passe avant le dynamisme, l’esprit d’initiative, le sens de l’innovation, le savoir, l’efficacité, et bien d’autres valeurs généralement liées à la jeunesse.

Il faut dire que la culture populaire a fait son lit pendant des siècles. Un proverbe africain dit d’ailleurs que «lorsqu’un vieux meurt, c’est une bibliothèque qui brûle!»