Forum «Invest in Sfax» : «Sfax est dans un état de légume infrastructurel»

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Pourquoi un privé s’investirait-il dans l’organisation d’un Forum international au risque d’y perdre de l’argent et sa crédibilité en plus? «C’est surprenant mais c’est exactement ce que pensent la plupart des égoïstes qui, depuis 30 ans, prétendent défendre Sfax mais lesquels au final n’ont fait que la détruire et la laisser à l’état de légume “infrastructurel“, répond Naaman Bouhamed, organisateur du deuxième Forum «Invest in Sfax» qui se tient les 2 et 3 octobre 2013.

WMC : Quelles sont les avancées depuis la 2ème édition du Forum économique organisée l’année dernière à Sfax? En fait quelles mesures pratiques ont-elles été prises?

Naaman Bouhamed : Le 1er forum a permis avant tout de faire naître un événement économique de dimension internationale au niveau d’une région économiquement forte mais peu connue des investisseurs étrangers.

Les thèmes qui ont été abordés ont tous attiré l’attention du public (principalement des chefs d’entreprise) de l’importance de valoriser les investissements de demain tel que:

– Les biotechnologies (qui ne sont pas encore comprises en termes de modèle économique) objectif sz création du 1er Cluster international de biotechnologie blanche sur 2014.

– L’aquaculture du thon (la Tunisie maîtrise l’aquaculture de la daurade et du loup), le thon est plus difficile à apprivoiser mais la richesse qu’il peut engendrer est sans limite surtout si c’est dirigé vers le marché japonais.

– L’Ecole internationale des phosphates de Sfax: la Tunisie a une expertise de haute valeur non exploitée à ce jour, l’idée ici est de travailler sur la formation de haut niveau dans les phosphates techniques à forte valeur ajoutée et de la Tunisie comme 1er centre d’étude technique au monde. Pour tous ces projets, il y a une condition: la stabilité politique. Mais pour votre information, les dossiers sont déjà lancés.

Certains experts prétendent qu’un véritable district industriel ne correspond pas à une stratégie d’aménagement du territoire, de développement de zones industrielles ou de technopôles, mais c’est plutôt le rassemblement localisé de petites entreprises dont chacune est spécialisée dans une opération, du genre cluster, ce qui permettrait une étroite interpénétration entre l’activité industrielle et l’activité socioéconomique. Comptez-vous développer cette démarche à Sfax?

Effectivement et surtout à Sfax où le tissu industriel englobe un large spectre d’activité : de l’industrie chimique, agroalimentaire, textile, agricole, pétrolier… le projet est de lancer un embryon du type Cluster de biotechnologie blanche qui regroupe plusieurs profils d’activités dont l’environnement et le profit économique, ou de Food Parc qui regroupe toute la chaîne des valeurs.

Il est clair qu’il vaut avoir 100 SME (Small Medium Entreprise) que 10 grandes, et le tissu industriel à Sfax correspond à ce type de profil. Mais encore faut-il qu’il existe une volonté des pouvoirs publics à favoriser le développement des PPP pour permettre aux privés de prendre le relais. Le manque d’infrastructures est ici criant malgré les ressources humaines très importantes sur la région de Sfax mais véritablement sous-exploitées.

Par ailleurs, en construisant le 1er cluster de biotechnologie sur Sfax, les investisseurs ouvriront la voie à de nouvelles ressources et de nouvelles richesses non encore exploitées aujourd’hui, alors que des sociétés Pharma ou VET se sont créées en Algérie, au Maroc ou en Jordanie… La Tunisie en est restée au stade du R&D. Donc il est temps d’agir!

L’État a justifié son désengagement par le fait que Sfax n’a pas pu s’ériger en pôle de développement capable de rayonner sur les autres régions du pays. Le centre industriel que représente la ville de Sfax n’aurait, semble-t-il, pas pu agir sur les régions environnantes? Faute d’être une locomotive, elle aurait rétréci les perspectives des villes du Sud? Quel commentaire apportez-vous à cela?

Vous avez tout à fait raison, mais 30 ans de boycott en termes d’investissement en infrastructures sur la ville et la région de Sfax a tué non pas la ville mais la capacité des investisseurs sfaxiens et de toute la Tunisie à aller investir dans les régions intérieures. La locomotive est toujours là, mais sans roues, sans mécanique moderne, elle a été laissée à l’abondant par une politique publique discriminatoire des autorités centrales qui voulaient la mort de Sfax.

Mais comment expliquer que Sfax soit toujours à ce jour aussi dynamique, aussi riche et aussi entreprenante? Il y a eu une vraie cassure entre Sfax et les villes intérieures par le manque d’investissement en infrastructures et la politique d’intimidation fiscale envers les grandes sociétés, celles-ci ont dû quitter la ville et la région de Sfax pour s’installer sur le Grand Tunis, et elles ont grandi à l’abri du système. Tandis que les autres, plus petites, sont continues à résister et elles sont toujours actives, soit de nouvelles sociétés ont vu le jour.

Il est à noter que Sfax fournit à la Tunisie la 1ère recette fiscale après le Grand Tunis qui regroupe 3 gouvernorats.

Sfax fournit 80% du gaz de ville de toute la Tunisie, 80% de la production pétrolière, 80% des exportations d’huile d’olive, 80% des exportations des produits de la pèche, 70% des amandes, 60% de la production d’œufs, de volaille de lait de toute la Tunisie…

Le port de Sfax, en termes de volume et de valeur, est le 1er port de la Tunisie; radès concentrant 86% des exportations et importations des conteneurs avec une congestion moyenne de 17 jours et une perte de 50 millions d’€ en 2011.

Malgré le piètre niveau de ses infrastructures, Sfax reste une richesse productive et fiscale importante pour la Tunisie. Si cela ne représente pas une valeur importante de richesse, il faut alors me dire ce que c’est.

Plusieurs entraves peuvent bloquer l’émergence de Sfax en tant que pôle économique non pas national mais régional. Tout d’abord, ses infrastructures insuffisantes, son sous-équipement, malgré la construction de l’autoroute Tunis/Sfax, l’infrastructure routière vers les zones du Sud ne se sont pas réellement améliorées. Les coûts de localisation sont élevés, par manque d’espaces de loisirs, de zones industrielles, et à cause de la cherté. Second facteur : la vitalité du capital local; si les investissements étrangers directs sont très faibles, les investissements locaux exportateurs placent Sfax au deuxième rang, juste derrière la capitale. Comment comptez-vous remédier à cela et avez-vous un plan d’action précis et réaliste pour agir rapidement sur le terrain?

Le forum économique a pour 1ère action de mettre la lumière sur les déficits de la région de Sfax et de tout le Sud de la Tunisie. Les IDE sont très faibles sur Sfax mais les investissements sfaxiens n’ont pas arrêté depuis.

Cependant, il n’y a pas de choix, si nous voulons bâtir une Tunisie forte avec des métropoles fortes, il va falloir investir massivement dans la remise à niveau des infrastructures de la ville et de la région de Sfax. Je peux vous confirmer qu’un nouvel aéroport sur Sfax est à l’étude pour désenclaver effectivement la région, de nouvelles zones industrielles mais surtout des clusters pluridisciplinaires.

Dans le cadre de la co-industrialisation entre l’Europe et la zone Maghreb, la Tunisie a un capital humain, et Sfax les moyens de participer à 50/50 ou dans un cadre d’une politique win-win d’implantation de nouvelle forme de développement économique avec les partenaires européens.

Aujourd’hui, les IDE et surtout la cible des SME-PME-PMI (Small & Medium Entreprises) qui est la véritable force de l’économie sfaxienne, peut offrir aux étrangers la capacité de réaliser du co-investissement. Il faut créer les conditions adéquates, il faut de temps pour que la ville et la région de Sfax soient aussi de plus en plus visibles à l’international. C’est que nous nous efforçons de réaliser depuis un peu plus d’un an maintenant. La promotion de Sfax Mediterranean Métropolies en Europe est une action et une dynamique de longue haleine basée sur le moyen-long terme.

Certains estiment que ce que vous faites pour le développement de la ville de Sfax vise en premier lieu à servir vos intérêts. Tant mieux si les intérêts de la ville et les vôtres ne sont pas contradictoires. Mais avez-vous des projets d’investissement pour la ville et si oui, dans quels secteurs?

Je suis dans un cabinet de consultant expert en développement international, je n’ai ni les moyens, ni les milliards d’investir dans les projets qui sont présentés lors des forums économiques. Si dire que le Forum Economique est une activité privée oui elle l’est, et il me semble sain que cette activité économique de 1er ordre ne devient pas bénéficiaire, elle disparaîtra par elle-même, et disparaîtra aussi la dynamique de communication internationale que je développe pour la région de Sfax.

Je conseille des entreprises depuis plus de 20 ans, je connais les PME-PMI ainsi que les marchés internationaux, la communication ou la promotion internationale est une activité économique importante, elle peut être réalisée par le public (FIPA-APII-CEPEX…) ou des cabinets privés comme le mien.

Aujourd’hui et depuis plus 2 ans, j’ai investi plus d’argent que j’en ai gagné car je pense que la Tunisie a des richesses qui sont loin d’être exploitées, et mes principaux clients sont des entreprises européennes que je cible pour les attirer à regarder du côté de Sfax et de son potentiel. Mes investissements dans la promotion internationale de la région de Sfax et d’autres zones délaissées en Tunisie aujourd’hui sont:

– Sfax Economic Forum (annuel début octobre),

– Sfax International Marathon – IAAF (annuel décembre),

– Sfax-Kerkennah Islands African Championship Cup Triathlon (annuel fin mars),

– Tabarka long distance Championship Triathlon (annuel fin août). D’autres investissements dans le cadre de la promotion internationale de Sfax sont en cours d’élaboration.

Je tiens à vous signaler que les régions sont très riches en Tunisie, elles sont malheureusement bradées par Tunis où la centralisation tue toute initiative économique. La centralisation coûte entre 2 à 3 points du PIB; la décentralisation sera l’une des reconquêtes de la compétitivité en Tunisie au niveau régional, national et international, et les PPP seront l’outil qui permettra à l’Etat de lancer de grands projets, entre autres d’infrastructures sur la Tunisie. .