Tunisie – Union européenne : Comment repartir du bon pied ?

220x113xtunisie-partenaire-privilegie-220.jpg.Au moment de négocier le statut privilégié, se rappeler que l’Accord d’association avec l’UE aura été un partenariat “maigre“ parce qu’il n’a pas activé le codéveloppement.

Faire les comptes, avant de rempiler pour le Statut privilégié! Voilà le réflexe des milieux d’affaires et des cercles académiques. Dans ce sillage, l’Association des économistes tunisiens (ASECTU) a réservé le dîner-débat de ses journées doctorales à la question.

Prédisant une certaine inquiétude chez ses interlocuteurs, Mme Laura Baeza, ambassadeur de l’UE faisait remarquer: “vous attendiez beaucoup de ce partenariat“. Et le Pr Mohamed Haddar, président de l’ASECTU, de rappeler les termes du deal “More for More“ laissant insinuer que la première manche du partenariat n’a pas réalisé des résultats structurants pour l’économie tunisienne.

Un faible appoint de croissance

Selon les estimations d’un ancien ministre de l’Industrie tunisien, notre partenariat avec l’UE nous aurait rapporté un petit point de croissance supplémentaire. C’est toujours bon à prendre, me diriez-vous. Mais à ce train là, il n’y pas de quoi construire des châteaux en Espagne.

Alors, quand l’ambassadrice européenne avance certains chiffres, elle ne triomphe pas à bout du scepticisme ambiant.

Les IDE européens ont atteint 1,5 milliard de dinars tunisiens en 2012, mais cela représente moins d’un milliard de dollars, ça reste timide. La reprise des exportations tunisiennes à destination de l’UE est bien réelle. Elle a retrouvé son niveau de 2010, avec un total de 9,5 milliards d’euros. Il est vrai que ce chiffre dépasse les réalisations du Maroc et de l’Egypte. Mais c’est oublier que ces deux pays disposent d’un troisième poumon, à savoir leurs exportations sur l’Amérique.

La Tunisie voit son commerce extérieur à 80% corseté avec l’UE. Il faut reconnaître que c’est une source de vulnérabilité.

Et, au programme des contreperformances, la liste est longue. Le programme MEDA n’a pas carburé à fond. Il n’a pas tenu ses promesses de transfert technologique. L’aide financière n’était pas en phase avec les besoins, non plus. Malgré les promesses de Romano Prodi, qui vantait les mérites du “Traité de bon voisinage“, nous promettant tout sauf les institutions, l’écart de traitement entre la Tunisie et les PECO (Pays de l’Europe centrale et orientale) était abyssal. Entre 2004 et 2006, alors que l’aide pour la rive sud était de 5 euros par tête d’habitant, les PECO recevaient 100 fois plus, c’est-à-dire 500 euros par tête. Et quand les pays du pourtour de la Méditerranée ont demandé la création d’une banque euroméditerranéenne de financement du développement, ils ont eu droit au mécanisme FEMIP géré par la BEI.

Plus embarrassant encore, au moment où nous essayons de rebondir, l’UE est en panne. Ceci sans citer les coups répétés, de sueur froide. De temps en temps, on nous sort la menace de relocalisation des industries de composants auto ou des centres d’appels. C’est beaucoup de déconvenues!

Négocier l’agriculture et les services

Le Statut privilégié, qui doit se concrétiser par l’accord de libre-échange complet et approfondi, n’est pas sans risque. Il comporte bien une levée de protection sur les produits agricoles et les services. Il faut une certaine dose d’inconscience pour ouvrir les frontières aux produits agricoles européens. On ne peut se mesurer à un géant qui subventionne ses exploitants agricoles grâce à la PAC (Politique agricole commune). On a pu en voir les méfaits, récemment, sur nos étals. Le fromage bleu proposé moins cher que nos deux marques locales. C’est un suicide commercial.

Quant aux services, parlons-en. Rapide poste ne résisterait pas longtemps. La Bulgarie en a fait l’amère expérience. Un ouragan a balayé l’opérateur local et c’est Fedex ou DHL, qui a pris la place.

Des secteurs entiers sont concernés. La place de Tunis pourrait être soufflée par les enseignes bancaires internationales, en un rien de temps. On s’expose, qu’on se le dise bien. Et puis, en toute bonne foi, l’expérience de la grande distribution n’encourage pas à aller plus loin dans l’ouverture des services. Les hyper ont, partiellement, aidé les industriels locaux à se moderniser mais leur impact marchand est faible. Elles ne pratiquent pas le discount, qui est leur vocation essentielle, ce qui aurait réalisé une avancée sociale pour les consommateurs tunisiens.

Membre ans l’adhésion, çà c’est une bonne affaire

Il ne faut pas noircir le tableau. Il y a eu de l’aide financière. La Tunisie, via la mise à niveau, a su familiariser ses entreprises à la concurrence internationale. Ces dernières ont pris goût à l’appel du large. Mais pour faire court, l’UE n’a pas été une rampe de lancement pour la Tunisie. On a eu la libre circulation des marchandises. Pas tout à fait celle des capitaux car les IDE européens ont préféré les PECO. Et la libre circulation des hommes ne viendrait probablement jamais. Les seules avancées, telle que l’immigration positive avec les visas “talents et compétences“ s’apparenteraient au brain drain (fuite des cerveaux).

Le pays veut de la croissance inclusive et il manque de ressources pour investir dans les régions. Quand Mme Laura Baeza demande si on a des propositions concrètes, la proposition du ministre du Développement et de la Coopération internationale dans le gouvernement de BCE refait surface. Il avait demandé le statut de membre sans l’adhésion. Dans cette perspective, la Tunisie serait éligible aux fonds structurels destinés au développement régional. Mais l’UE a fait la sourde oreille. Et pourtant, cette piste nous rapprocherait du deal de codéveloppement.

Le moment est venu pour remettre l’affaire sur le tapis.

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