Tunisie : Après “les touristes envahisseurs“, Marzouki s’attaque aux “monarchies“ (2-2)

 

marzouki-maroc-220.jpgNous avons vu dans une première partie comment la réflexion de Marzouki selon laquelle la «monarchie reste un régime antinomique avec la démocratie» a provoqué des critiques dans la presse marocaine. Dans cette deuxième et dernière partie, nous nous interrogeons sur la responsabilité des conseillers du président de la République tunisienne. Et sur le statut de la présidence de la République dans la nouvelle Constitution.

Moncef Marzouki voulait-il dans son discours du 25 juillet 2012, commémorant le 55ème anniversaire de l’instauration de la République, «froisser» quiconque des pays à régime monarchique en affirmant que «la monarchie, même si elle cohabite avec des valeurs d’égalité, de libertés individuelles et autres droits de l’Homme, reste un régime antinomique avec la démocratie»?

Il n’y a que les esprits tordus pour croire à cette thèse. Prononcé, dans un discours fêtant la République, le chef de l’Etat a sans doute voulu mettre l’accent sur les vertus de la République en Tunisie comparée au régime monarchique des Husseinites, qui ont régné sur la Tunisie près de 250 ans (1705-1957). On ne peut logiquement comprendre autrement la réflexion faite par Mohamed Moncef Marzouki au sujet du régime monarchique. Même si tout le monde sait qu’il arrive à l’homme, militant des Droits de l’Homme et ardent défenseur des libertés, de s’emporter quelquefois pour les grands idéaux démocratiques.

Mais s’il est aujourd’hui quelqu’un à blâmer, c’est bien les conseillers du président. Tout le monde sait qu’un discours prononcé à telle occasion est toujours préparé avec grand soin. La rédaction du discours présidentiel passe par de nombreuses étapes, comme le confirme une riche littérature faite de mémoires de premiers responsables et de témoins de la vie politique (ministres, conseillers, …) et de récits de journalistes.

Etre clair et précis, prendre en compte la nature de l’audience et parler «politiquement correct»

En effet, après la fixation des idées-force par une kyrielle de conseillers, la rédaction du discours est confiée à un nègre qui les met en forme. Le texte est, par la suite, largement revu et corrigé. Chaque mot et chaque phrase sont pesés. A ce stade, les conseillers imaginent les interprétations qui peuvent être faites et les réactions que ces mots et phrases peuvent susciter.

Généralement, des soucis majeurs guident la démarche des conseillers: être clair, précis, le plus prêt possible de l’échafaudage établi au départ, prendre en compte la nature de l’audience, être positif et parler «politiquement correct»; soit arrondir les angles et éviter les expressions qui risquent de fâcher, de froisser et de heurter. Et ce avant que celui qui prononcera le discours en donne la dernière version. Cette dernière étape n’exclut pas –loin s’en faut- des allers et venus pour enlever telle ou telle expression ou encore ajouter une référence. Cela peut durer des jours et des jours et exige des tonnes de patience.

Il est à se demander si les discours du chef de l’Etat obéissent à cette mécanique. Comment se fait-il dans ce cas que les conseillers aient oublié d’attirer l’attention de Marzouki sur les réactions que peut susciter sa réflexion concernant les régimes monarchiques. Les services du protocole présidentiel n’avaient-ils pas convié au discours des représentants de pays qui ont choisi la monarchie comme régime de gouvernement? Cette réflexion ne pouvait-elle pas nuire aux intérêts de la Tunisie qui entretient des relations solides avec des monarchies, notamment du Golfe?

Plusieurs pays de l’Union européenne, premier partenaire économique de la Tunisie, sont des monarchies (Grande-Bretagne, Belgique, Espagne, Hollande, Luxembourg, Suède, Danemark, Norvège…). Le Japon, partenaire de choix de la Tunisie est également une monarchie. Idem pour le Canada, qui est placé sous la couronne britannique.

Et le Maroc, le Bahreïn, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Koweït, Oman,… tous des pays frères qui ont toujours apporté un soutien -qu’il soit politique ou économique- à la Tunisie.

Parlementaire ou présidentiel aménagé

De toute manière, et comme le dit le proverbe, à quelque chose malheur est bon: l’épisode de la monarchie pose d’une manière assez sérieuse le statut de la présidence de la République en Tunisie. La réflexion mérite d’autant plus d’être menée que la Troïka et la classe politique semblent divisées sur le régime politique à adopter: parlementaire ou présidentiel aménagé.

Le fait est là: le président de la République est une personnalité que l’on ne peut mettre au second rang. Arabe et Méditerranéen, le Tunisien y croit encore au chef; il ne conçoit pas un Etat sans timonier. Un homme qui le représente et agit en son nom. On ne peut d’un trait effacer des siècles d’histoire. Le président de la République devrait-il être élu par la majorité parlementaire, être dépourvu de réels pouvoirs, bon seulement pour «inaugurer les chrysanthèmes» ou au contraire être élu au suffrage universel et posséder de réelles prérogatives?

La réflexion de Mohamed Moncef Marzouki sur le régime monarchique n’aurait sans doute jamais suscité autant d’intérêt si le président de la République n’était pas dans l’esprit de plus d’un, notamment à l’étranger un symbole important. Un symbole que la Constitution qui sortira des cartons de la Constituante devra traiter noblement. Qu’il porte le nom de Mohamed Moncef Marzouki ou un tout autre nom!