Tunisie – Financement de la campagne électorale : La Cour des Comptes attend toujours les rapports financiers des candidats

cours-des-comptes-220.jpgEh non, le déroulement des dernières élections pour la Constituante n’a pas été un long fleuve tranquille, ni limpide d’ailleurs. «La législation promulguée pour l’usage dite “à coup’’ qui n’avait pour vocation que la seule organisation des élections pour l’Assemblée nationale constituante arrêtée dans l’urgence, a été à l’origine d’un certain nombre d’imprécisions et même d’insuffisances dans la rédaction des textes d’application des élections. C’est ce qu’a indiqué Barbara Joane, rapporteur de la Commission nationale française des budgets et financements électoraux, lors d’une journée d’études organisée mardi 3 juillet 2012, par la Cour des Comptes en partenariat avec le PNUD, la communauté européenne et l’IFES*, intitulée «La situation actuelle du contrôle des financements des campagnes électorales et les perspectives d’avenir» et ouverte par Hamadi Jebali, chef du gouvernement.

La Tunisie aurait adopté, grâce aux décrets-lois relatifs à l’organisation des élections à l’ANC, celui de 2011-35 et celui 2011-91, une législation assez ambitieuse en matière de financements des campagnes électorales et des partis politiques. Une législation qui a tenu à réguler l’aspect organisationnel et financier du processus électoral, le premier décret a offert un cadre normatif de référence, et le deuxième a déterminé les procédures et les modalités de contrôle de la Cour des Comptes du financement de la campagne électorale des élections de l’ANC.

Pour Barbara Joane, la tardiveté de la promulgation du décret-loi 91, venu préciser les modalités de tenue des rapports financiers et l’étendue du contrôle de la Cour des Comptes, trois semaines seulement avant la tenue des élections, a eu pour conséquence de placer partis politiques et listes indépendantes dans une situation d’attente et d’incertitudes.

Est-ce que ce qui explique que seulement 32,15% des rapports financiers des candidats aux élections ont été envoyés à la Cour des Comptes? Soit des dépenses de l’ordre de 3.499.910 DT qui ne dépassent pas les 42% de la totalité des subventions publiques? Lesquelles s’élèvent à 8,589 MDT?

Rappelons quand même que la Cour des Comptes procède seulement au contrôle des comptes bancaires uniques spécialement ouverts pour la campagne et assure le suivi de toutes les opérations de retraits et de dépenses réalisées par les partis ou les indépendants même si elles ne touchent pas directement les comptes en question. Quant aux financements occultes ou d’origine inconnue, personne ne peut savoir ce qu’il en est réellement dans la réalité…

La Cour des Comptes, qui procède pour la première fois depuis sa création au contrôle de l’opération électorale, n’a pas eu la tâche facile dans l’exercice de ses nouvelles prérogatives. D’après Alya Bratli, chef de département, citant des observations incluses dans le rapport préliminaire de la Cour, certaines ambiguïtés des textes de lois ont empêché d’accéder à des concepts de base en matière de contrôle des financements, tout comme il y a eu des insuffisances au niveau de la législation pour ce qui est de sanctionner les contrevenants si nécessaire, ce qui a limité le champ d’action des opérations de contrôle effectuées par la Cour des Comptes et l’a privée des moyens de dissuasion et de contraintes nécessaires dans l’application de la loi.

Pire, il a été difficile pour les contrôleurs de la Cour des Comptes d’accéder aux informations concernant les financements étrangers, de tracer la provenance de fonds venant de sources inconnues ou de suivre les opérations financières irrégulières. D’ailleurs, 6 partis parmi ceux qui ont gagné et 14 listes indépendantes parmi les 31 sorties victorieuses des urnes n’ont soumis aucun document comptable à la Cour des Comptes. Ces refus d’obtempérer à la loi ont représenté une grave entorse au principe de transparence et de traçabilité des fonds publics et est un mauvais signe quant au degré d’intégrité des élus du peuple. Pire, parmi les 33% des partis qui ont soumis des documents comptables à la Cour des Comptes, 17% n’ont pas présenté les rapports financiers relatifs à toutes les circonscriptions électorales. La plupart des registres comptables présentés à la Cour des Comptes n’ont été ni paraphés ni numérotés et n’ont pas été saisis auprès des commissions sectorielles de l’ISIE. Les extraits bancaires uniques n’ont pas non plus été soumis à la Cour des Comptes, ce qui a empêché les contrôleurs de vérifier la légalité des financements et leur légitimité. Aucun état du nombre de manifestations et d’activités organisées dans le cadre des campagnes électorales n’a été non plus mis à la disposition de la Cour des Comptes.

Tout en sachant que lors des dernières élections, il y a eu approbation de financements publics dont 50% ont été distribués au démarrage et le reste au milieu de la campagne électorale. Il a été également stipulé qu’il était interdit de bénéficier de financements étrangers et de dons ou de subventions de personnes privées. Le plafond des dépenses dans chaque circonscription a été fixé au triple de la subvention allouée au titre de l’aide publique pour financer la campagne. 77 partis avec 883 listes et 739 listes indépendantes ont bénéficié des financements publics.

Parmi d’autres conclusions relevées par la Cour des Comptes, des actes de virement de fonds sur les comptes des têtes de listes électorales ou même sur les comptes de personnes qui ne se sont même pas présentées aux élections. Les contrôleurs publics ont également observé l’existence de comptes bancaires ouverts spécialement pour recevoir des financements publics au nom de partis ou de têtes de listes qui ne touchent pas à la campagne électorale.

D’autres part, l’ouverture de comptes bancaires à l’extérieur de nos frontières n’a pas été une tâche aisée, ce qui a incité les concernés à ouvrir des comptes personnels au nom des têtes des listes dans les pays de résidence.

Fait notable, nombreux sont les partis qui ont usé de cash pour financer leurs activités et sans que les fonds passent par des comptes bancaires, ce qui fait peser le doute sur les origines occultes de cet argent… Est-ce ce qui s’est passé en Tunisie et qui a pesé lourd sur le choix des urnes?

Nombre d’infractions et de transgressions de la loi sur les financements des campagnes électorales ont été relevées par les contrôleurs de la Cour des Comptes allant de l’usage d’argent liquide dont l’origine ne peut être retracé à la comptabilisation de dépenses sur des manifestations fictives jusqu’à la falsification de comptes et de dépenses. Il y a eu même l’acquisition d’équipements sur le compte de l’argent public à des fins soi-disant électorales mais pour aménager les locaux des partis et des candidats indépendants.

La synthèse du rapport de la Cour des Comptes présentée en cette journée d’étude ne traite pas de tous les aspects relevés par les contrôleurs publics. Il va falloir attendre la publication du rapport final qui paraîtra sous peu et où les contrevenants seront éventuellement cités.

Attendons-nous à des surprises!