La ville de Mahdia (I) : Familles, pouvoirs et traditions

mahdia-1.jpgL’ancienne capitale du Califat fatimide, symbole naguère de
l’irrédentisme chiite en Afrique du Nord, fondée à des fins économiques,
militaires et stratégiques, est une presqu’île, en forme de citadelle, entourée
d’un littoral poissonneux et cernée, dans ses profondeurs, par les champs
d’oliviers qui sont la fierté et la raison d’être des habitants du Sahel.
Vis-à-vis de son environnement, la ville a de tout temps cultivé un
particularisme tenace dont l’un des traits les plus saillants est ce brassage de
civilisations, de cultures et de peuplades, accostant sur ses rivages, au gré
des rapports de force d’une région méditerranéenne, au cœur du centre marchand
international, sujet de toutes les convoitises des puissances maritimes en quête
d’espaces et d’expansions depuis l’ère phénicienne.

Le commerce, une affaire de famille !!

Les influences arabe, normande et berbère ont façonné sociologiquement la
région, mais ce sont les janissaires d’Istanbul qui ont homogénéisé la ville,
s’imposant, depuis des siècles, comme étant la couche aristocratique de la
ville, porteuse de progrès, de bien-être et de stabilité pour l’ensemble du
corps social.

Actuellement, le nom de certaines familles mahdoises implique impérativement
une activité commerciale, intellectuelle, politique ou artisanale, ce qui dénote
d’une dynamique constante au niveau des corps des métiers intra-muros, d’un jeu
de pouvoir subtil à l’intérieur des différents clans et d’une rivalité
ancestrale ardue pour le contrôle politico-économique de la ville.

La confection, la bonneterie, la parfumerie et tout l’artisanat local sont
l’apanage, nous dit un membre du puissant clan Hamza, un nom synonyme dans la
région d’activités médicales, des familles Turki, Chaouch, Arouss et Besbès dont
les ancêtres ont su transmettre, de génération en génération, l’art de la
conception des habits traditionnels, la maîtrise des coûts de production, la
magie de la vente et la fidélisation des clients.

«Dans la famille, le commerce est une véritable vocation, je dirai même une
destinée naturelle pour nos enfants», affirme M. Rafik Turki, vice-président de
l’UTICA régionale et figure de proue des hommes d’affaires de la région,
rencontré à l’occasion d’un séminaire au CEPEX. C’est pendant les mariages, les
fêtes et toutes les autres cérémonies habituels, dont les mahdois ont le secret,
insiste notre interlocuteur, que les tisserands et les concepteurs des habits
traditionnels étalent leur savoir-faire, exposent le cachet local et engrangent
des bénéfices substantiels.

Les Mahdois, des socialistes ?!!

La question ferait frémir, frissonner et trembler les héritiers des
fatimides, attachés aux mérites du capitalisme depuis des lustres. Néanmoins,
tout en affichant leur amour de l’or, du profit et des privilèges, les mahdois
savent, lorsque les circonstances l’exigent, se solidariser et se réunir autour
d’un projet commun dont les bienfaits vont rejaillir sur toute la communauté.
C’est ainsi que dans les années cinquante, à la veille du départ de l’ancienne
puissance tutélaire, le cheik de la ville, feu Mohamed Kesraoui, a incité ses
concitoyens, toutes classes sociales confondues, à racheter, à travers
l’actionnariat, une usine d’extraction d’huile à base de grignon, propriété d’un
colon sur le point de regagner son pays.

«A l’époque, les temps étaient très durs et pour jeter les bases de cette
coopérative, mon père, après avoir fait le tour des commerçants, a sollicité
aussi l’appui des femmes qui n’ont pas hésité à hypothéquer leur “Kholkhal” pour
mener à bien cette entreprise collective de salut public», clame l’un des fils
du cheik qui se souvient encore de cette épopée. Mon père, dit-il, a lancé
l’idée de la coopérative avec l’impérative coopération des femmes, en souvenir
d’un geste similaire, effectué par des italiennes pour soutenir l’effort de
guerre de leur pays, lors de la 2ème déflagration mondiale.

En dépit des déboires de l’ère Ben Salhiste, du rejet du modèle des
coopératives dans le pays, tétanisé à la suite de la mise en oeuvre, dans les
années soixante, d’un modèle de développement socialisant et de la montée
irrésistible, par la suite, du libéralisme pendant les deux dernières décennies,
l’usine a continué à fonctionner, contre vents et marées, selon le schéma du
père fondateur, faisant fi des turpitudes idéologiques et autres revirements
dont les élites ont le secret et presque tous les mahdois possèdent,
actuellement, des actions et touchent annuellement les dividendes d’un acte
salvateur ancestral.