2009, année de l’économie sociale et solidaire ?

Par : Tallel

Et si 2009 était l’année de l’économie sociale et solidaire (ESS),
et plus largement d’un changement de cap de l’économie ?

Depuis une dizaine d’années, l’ESS a beaucoup progressé et
franchi un véritable palier : développement et structuration des CRESS, du CEGES,
croissance quantitative du nombre d’entreprises ESS, apparition de nouveaux
acteurs et nouveaux dispositifs d’appui à la création et au développement
d’entreprises ESS, essor des politiques territoriales en faveur de l’ESS
(notamment des Régions), création du statut de la Scic, développement de
l’épargne solidaire, du commerce équitable, de l’agriculture biologique,
multiplication des publications, des évènements, etc.

Bien sûr, tout cela est imparfait, fragile, mais une véritable dynamique
s’est enclenchée. Ces derniers mois, les signaux se sont multipliés et accélérés
: forte progression des employeurs de l’économie sociale aux élections
prud’homales (19%, +9% par rapport à 2002, l’économie sociale est même
majoritaire dans des villes comme Lille) ; 700 manifestations territoriales lors
du 1er mois national de l’ESS en novembre 2008 ; 12.000 visiteurs lors du 3ème
Salon de l’emploi dans l’ESS en novembre 2008 ; etc.

Pour autant, un point faible majeur demeure, véritable «maillon faible» de l’ESS
: la capacité à investir, influer et peser sur le débat public et politique (les
difficultés actuelles de la DIIESES en témoignent). Si à bien des égards, l’ESS
est un géant économique et social [1], elle demeure en effet un «nain
politique». De nombreuses raisons expliquent cela (j’en ai abordé quelques unes
dans un article précédent).

Les efforts de l’ESS gagneraient à se focaliser sur ce point, qui est décisif
pour parvenir à changer d’échelle. D’autant plus que l’année 2009 offre de
nombreuses «opportunités» de prise de parole et de propositions politiques, à un
moment, où dominent incertitudes, angoisses, et perte de repères.

Voici par exemple quelques sujets qui seront d’actualité au 1er semestre
2009, sur lesquels l’ESS pourrait intervenir et prendre position.

1) La crise économique d’abord, avec la multiplication des plans sociaux et
fermeture d’entreprises (l’Insee prévoit la perte de 214.000 emplois au 1er
semestre 2009). Si certains sont inévitables, d’autres seront en fait motivés
–sous couvert du prétexte officiel de la Crise- par le souci scandaleux de
conserver à court terme une rentabilité maximale à deux chiffres, sous la
pression des actionnaires et des marchés financiers…

L’ESS ne pourrait-elle pas prendre la parole pour dénoncer ces “licenciements
boursiers” et montrer que des alternatives existent ? De nombreux exemples de
Scop montrent qu’il est possible de développer des entreprises industrielles, en
ayant une vision de long terme, privilégiant la création de richesses durables à
la recherche de la rentabilité maximale. Sur les territoires, notamment ceux en
difficulté, de nombreuses entreprises ESS jouent un rôle important dans le
développement local (exemple du Groupe Archer dans la Drôme). Le probable
nouveau plan de relance qui sera élaboré courant 2009 ne devrait-il pas intégrer
un soutien affirmé aux entreprises sociales et solidaires ?

2) La crise financière qui a engendré la crise économique ensuite. Le 2 avril
prochain, se tient la seconde réunion du G20 à Londres, après celle de
Washington en novembre 2008. L’ESS pourrait porter la parole d’une finance
patiente et raisonnée, en se basant par exemple sur l’expertise et l’expérience
des banques coopératives (dont les quelques dérives, causées justement par la
volonté de s’affranchir du cadre coopératif, ne doivent pas cacher la forêt de
leurs bonnes pratiques).

3) La réforme des collectivités territoriales. Différents rapports sont
attendus courant 1er semestre, notamment le rapport Balladur, commandé par
Sarkozy et prévu pour fin février. Si la nécessité d’une réforme du
«mille-feuille» des collectivités est peu contestée, les orientations à donner à
cette réforme font débat. Au-delà d’une prévention du risque de diminution des
budgets ESS, pour cause de «rationalisation» des collectivités locales, les élus
ESS des collectivités (de tous niveaux) ne pourraient-ils pas exprimer, à partir
de leurs expériences, des propositions communes sur cette réforme des
territoires ?

4) La transposition de la directive européenne des services (et la question
des SSIG, Services sociaux d’intérêt général), à mener par la France avant fin
2009 (dans la lignée du rapport Michel). Le Collectif SSIG-Fr mène une action
pertinente sur cet enjeu fondamental (mais très technique) qui concerne tous les
citoyens. Elle pourrait être amplifiée et reprise par l’ensemble des acteurs de
l’ESS (pourquoi pas une pétition ?).

5) Les lois «Grenelle de l’environnement» 2 et 3. Les décisions prises lors
de ce Grenelle se déclinent en trois lois. La loi Grenelle 1, dite
“d’orientation et de programmation du Grenelle Environnement”, se veut une
traduction des engagements pris lors du Grenelle en octobre 2007. Sa mise en
œuvre est déclinée par 2 lois d’application, les lois Grenelle 2 et 3, plus
techniques et plus détaillées. La loi Grenelle 1 reste à adopter par le Sénat.
La loi 2 est prévue normalement pour le 1er semestre.

Le texte de loi Grenelle 1 comporte un volet «gouvernance des entreprises»
dont voici quelques orientations : «Construire une nouvelle économie conciliant
protection de l’environnement, progrès social et croissance économique exige de
nouvelles formes de gouvernance, favorisant la mobilisation de la société par la
médiation et la concertation. (…) L’État appuiera la création, pour les
entreprises de toute taille, de labels attestant la qualité de leur gestion dans
les domaines environnementaux et sociaux (…) La France proposera un cadre de
travail au niveau communautaire pour l’établissement d’indicateurs sociaux et
environnementaux permettant la comparaison entre les entreprises».

L’ESS, pionnière dans les pratiques d’évaluation d’utilité sociale et des
richesses extra-économiques, ne pourrait-elle formuler et promouvoir des
propositions concrètes s’inspirant de ses pratiques, pour nourrir la mise en
œuvre de ces orientations ? A noter aussi que la Commission Stiglitz/Sen «sur la
mesure des performances économiques et du progrès social» rendra son rapport
final et ses propositions fin avril 2009.

On pourrait facilement compléter cette liste, en étudiant l’agenda de l’Elysée,
des deux chambres parlementaires (députés et sénateurs) ainsi que les évènements
médiatiques qui rythmeront le premier semestre. Il serait aussi pertinent d’être
proactif sur des sujets plus émergents, appelés à occuper la scène au second
semestre 2009. Sur ces différents sujets, il est possible de construire une
parole forte et pertinente de l’ESS.

Il est temps de mettre les moyens pour mener cette «bataille des idées», en
direction des médias, des élus des collectivités, des ministres et du
gouvernement, des parlementaires (députés et sénateurs), des think tanks, des
partis, de la société civile organisée (syndicats, ONG, organisations de
consommateurs…) et… du président de la république.

Les 5ème Assises du développement durable qui se tiendront les 19, 20 et 21
janvier 2009 à Lyon, ont pour slogan : «changeons de cap, changeons de repères,
changeons d’échelle». Un projet qui irait comme un gant à une ESS conquérante
mais empathique, offensive mais ouverte, capable d’impulser une dynamique
politique et de construire un front le plus large possible des acteurs d’un
changement de cap de l’économie. Je ne peux souhaiter mieux à l’économie pour
2009 !

Source :

http://www.lafronde-economique.info/article-26522901.html