INTERVIEW : M. MONCEF FAKHFAKH – DIRECTEUR GENERAL DES ARCHIVES NATIONALES

Par : Autres

«Les archives sont une source inépuisable pour la mise en valeur de notre
patrimoine du commerce international»

 

fakhfakh060805.jpgLe
thème des archives en association avec notre patrimoine du commerce
international est d’une grande actualité car il permet de situer la valeur
incommensurable des trésors d’archives que nous détenons, notamment en
matière de commerce international et d’appréhender en conséquence les
meilleurs moyens de les conserver.

Les autorités tunisiennes ont d’ailleurs pris conscience du lien
indissociable entre conservation de la mémoire et développement économique.
Elles ont ainsi voulu pérenniser ce lien à l’occasion de la célébration de
la première journée nationale des archives le 26 février 2004, en
l’organisant sous le thème « Un siècle de participation tunisienne aux
foires et expositions internationales ».

Pour obtenir des informations plus approfondies à ce sujet la Tunisie
Economique a rencontré M. Moncef Fakhfakh, Directeur Général de
l’institution publique des archives placée sous tutelle du Premier
Ministère.

M. Fakhfakh est expert international. Il avait occupé auparavant nombre de
postes dont celui de Président de la Branche Régionale Arabe du Conseil
International des Archives, de Vice Président du Conseil International Sur
les Archives, comme il a été à la tête de la Société Internationale des
Archives Francophones. Il a publié diverses études et recherches dans le
domaine des archives.

 


La Tunisie
est, depuis l’époque phénicienne, réputée être une plaque tournante du
commerce international. Nos archives nationales dans leur état actuel,
permettraient-elles de participer à mieux faire connaître cette composante
essentielle de notre patrimoine historique ?

— La conservation touche des
documents pertinents concernant tous les domaines dont le commerce
international vu que les documents les plus anciens remontent à trois
siècles et demi. Les fonds d’archives contiennent de documents sur le rôle
joué par la Tunisie dans le commerce international surtout pendant les 18ème
et 19ème siècles et ce en dehors des activités de course ! Il
s’est avéré que la Tunisie a

occupé un rôle important entre
le continent africain et européen, et nous avons recensé des dizaines de
dossiers relatifs à la participation de la Tunisie aux foires et expositions
internationales depuis 1851. Ce n’est donc pas un hasard que la première
exposition documentaire organisée à l’occasion de la célébration de la
première journée nationale des archives le 26 février 2004, l’a été autour
du thème: « Un siècle de participations tunisiennes aux foires et
expositions internationales» .

 


Peut-on trouver des traces
écrites de l’histoire des échanges commerciaux de la Tunisie dans les
périodes anciennes ?

— Il en existe quelques traces
dans les chroniques, il existe aussi quelques manuscrits dans les
bibliothèques, mais comme les archives gardent principalement celles
laissées par l’administration et le secteur public d’une manière plus
générale, on peut dire que c’est depuis deux ou trois siècles que l’on
relève les informations les plus significatives par rapport à ce secteur
spécifique.

 


Durant la période
précoloniale, différentes communautés ont coexisté et ont exercé différentes
professions, notamment les Maltais, les Siciliens, les Grecs, les Juifs…
Il est en particulier notoire que les Juifs ont créé un commerce florissant
avec leurs cousins de Livourne avec lesquels ils ont conservé des liens. En
trouve-t-on suffisamment de références dans nos archives sur cette période ?

— Bien entendu, les archives
concernent certains documents relatifs à la diversité des communautés
connues par la Tunisie et précisément les documents ayant trait à la
relation entre les commerçants et les pouvoirs publics (documents
consulaires). Au moyen de la naturalisation et du «tiers colonial» la France
a pu absorber une grande partie des communautés européennes et ceci a permis
de rééquilibrer la composition française au sein de la population tunisienne
qui était auparavant minoritaire, notamment en raison de la présence d’une
très forte communauté italienne et ceci bien sûr a permis de donner à la
population française un rôle plus prépondérant que cela soit par rapport au
commerce local ou par rapport au commerce international. Les juifs jouaient
par ailleurs un rôle non négligeable dans le commerce international à côté
des autres communautés autochtones non musulmanes comme les Grecs, les
Maltais et les Siciliens qui étaient répartis entré le secteur primaire et
le secteur tertiaire. On savait en particulier que les juifs occupaient une
place dominante dans le secteur financier et parfois s’adonnaient à l’usure.
Certains d’entre eux avaient aussi rempli la fonction de «Khaznadar» en
assurant la comptabilité de l’Etat. Ils géraient en l’occurrence les biens
de la famille Beylicale. On sait dans ce contexte selon certains documents
des archives que le premier salaire du Bey avait été fixé en 1860 dans le
cadre de l’établissement de la liste civile et de l’élaboration du premier
budget de l’Etat tunisien. Les juifs participaient aussi à l’exportation des
biens vers les pays européens.

 


En particulier la
réglementation du commerce extérieur durant la période précoloniale et
coloniale gagnerait à être mieux connue. Existe-il des recherches effectuées
en ce sens ?

— Beaucoup de travaux de
recherche sont actuellement accomplis par les universitaires. On évalue
quotidiennement la présence aux archives d’une quarantaine de chercheurs.
Les recherches sont aussi accomplies sur le commerce colonial à l’étranger,
en France et en Italie notamment On retient en particulier celles effectuées
par Sadok Boubaker dans le cadre d’une thèse sur le commerce entre la
Tunisie et Marseille au 16ème et au 17ème siècle. A
cette fin les archives de la Chambre de Commerce de Marseille ont été
utilisées. En ce qui concerne la réglementation précoloniale, il faut savoir
la qu’elle est assez réduite. On note par exemple pour le commerce intérieur
l’existence d’une réglementation beylicale relative aux taxes municipales (Kanoun
El M’ahsoulet) à partir de la fin du 19ème siècle. C’est une
réglementation précise relative à ces taxes pour toutes les régions
(détermination de la tarification fixée selon certains critères).

 


Pouvez vous donner des
précisions sur les « Lezmas » ?

— Les «Lezmas» sont définies
comme un fermage accordé pour une exploitation annuelle renouvelable trois
fois. C’est en quelque sorte un monopole accordé pour le commerce de
certaines denrées contre le paiement d’une redevance. Par exemple la
redevance sur le commerce des peaux et cuirs (Dar El Jeld) de 200000 Rials
était payable par fractions. Beaucoup de notables ont bénéficié de tels
fermages comme la famille Jellouli. Des liens étroits existaient en effet
entre le Bey et les «Mkhaznias».

 


Il est connu que des taxes
étaient prélevées pendant la période précoloniale, en particulier les droits
de douane sur les produits exportés ce qui est un non-sens aujourd’hui.
Quelles raisons auraient justifié cela à l’époque et quels étaient les
produits qui avaient été le plus taxés ?

— Il faut se rappeler que la
Tunisie pendant la période précoloniale était un pays essentiellement
agricole avec une part minime de l’économie pour l’artisanat. La politique
de l’Etat consistait donc à soumettre les exportations à des taxes pour
renflouer les caisses et assurer un revenu budgétaire stable. Trois impôts
internes étaient prélevés à savoir l’impôt coranique, la Zakat et la Mejba
(capitation) qui est l’équivalent moderne de la Contribution Personnelle
d’Etat (CPE). La première redevance équivaut au 10ème de la
valeur de la récolte (dattes, blé, huile d’olive). Les agents du fisc
procédaient à la collecte de cet impôt dans les « Mandras». En fait les
ressources de l’Etat à partir des impôts n’étaient pas nombreuses, compte
tenu de l’absence d’une organisation optimale de la collecte étendue à
l’ensemble du territoire. Par contre, les exportations étaient soumises à
des taxes. Une industrie florissante avait notamment commencé à voir le jour
à ce niveau au 18ème siècle : celle de la Chéchia, mais elle
n’avait pas pu se développer. Elle était partagée entre les Italiens et les
Maltais qui lui trouvaient des marchés surtout à Istambul (Turquie).

Les importations contrôlées par
les Français et les Italiens concernaient notamment les bateaux à vapeur («
Babour »=vapeur). Après le congrès de Vienne en 1815 les pressions sur la
Tunisie allaient s’accentuer. En effet Après cette date qui correspond à
celle de l’arrêt de la course – laquelle ne l’oublions pas était également
une source de revenus pour la Régence- des traités avaient été conclus ayant
pour objectif de prévenir toute velléité de retour à la course et surtout de
garantir l’entrée des produits des pays européens dans la Régence.

 


Et pendant la période
coloniale ?

— Pendant la période coloniale
l’économie était basée sur l’exploitation par la France des matières
premières, tels que le Phosphate et les produits agro miniers ainsi que sur
l’importation par cette dernière des produits industriels fabriqués. La
politique commerciale avait par conséquent des objectifs différents et
notamment de favoriser les exportations opérées par les entreprises
françaises. Cet avantage accordé aux commerçants français allait de pair
avec la mise en oeuvre par les autorités coloniales d’une politique
protectionniste pour protéger ces derniers de l’accès dans le pays de
produits qui puissent déranger leurs activités. Les produits agricoles et
miniers étaient en l’occurrence exportés vers la métropole.

 


La Mejba prélevée par
Mustapha Khaznadar est une taxe qui avait provoqué beaucoup de remous. Où en
trouve-t-on trace dans nos archives et existe-t-il de manière plus générale
des travaux sur l’histoire de la taxation en Tunisie ?

— La Mejba est un impôt Per
Capita qui existe depuis assez longtemps. Il est important de souligner que
les Tribus ne paient pas la Mejba. Par ailleurs, cinq grandes villes à
savoir Tunis, Sfax, Kairouan, Monastir et Sousse en sont exempts. Des
accords existent entre le Pouvoir Central et les Tribus en ce sens, à
l’exception des Tribus Makhzen qui ne paient pas la Mejba mais donnent en
échange des cavaliers. Sous le règne de Sadok Bey, Mustapha Khaznadar avait
doublé la Mejba devant les difficultés financières de l’Etat, ce qui a donné
suite au fameux soulèvement dirigé par Ali Ben Ghedhahoum. il existe dans
les archives des registres fiscaux pour la Mejba dans toutes les localités
soumises à cet impôt.

Les Caïds et accessoirement les
Cheikhs procèdent à sa collecte. Ce qui explique d’ailleurs que certains de
ces derniers se soient enrichis car ils ne remettent pas aux autorités
centrales la totalité des valeurs réunies. il existe dans nos archives des
ressources historiques et généalogiques relatives à la société tunisienne,
son système fiscal et beaucoup de travaux ont été élaborés à partir de cela
sur les impôts.

 

 

(Source : La Tunisie-Economique
– Mai-Juin 2005 : Hatem KAROUI)

 

08- 08 – 2005 ::
06:00

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