Les femmes sont l’épine dorsale de l’économie rurale et de l’agriculture familiale en Tunisie, comme partout dans le monde. D’ailleurs, l’agriculture familiale qui assure 85% de l’alimentation dans le monde repose sur les femmes. Ces dernières devraient, compte tenu du rôle qu’elles jouent dans la garantie de la sécurité alimentaire, bénéficier de tout l’accompagnement et l’appui nécessaires et occuper la place qu’elles méritent dans les politiques et plans nationaux de développement, selon les intervenants au séminaire national qui s’est tenu, vendredi, à Tunis, sur le “renforcement du rôle des femmes dans la conservation dynamique des systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM) en Tunisie”.
Organisée à l’UTAP, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la biodiversité (22 mai 2025), cette conférence a réuni de nombreuses femmes agricultrices et responsables de GDA, venant de plusieurs régions du pays, des représentants des divers départements ministériels (Environnement, agriculture, femme…), des points focaux en plus du représentant de la FAO et des deux chambres parlementaires (ARP et CNRD).
Le monde compte actuellement, 95 Systèmes Ingénieux du Patrimoine Agricole Mondial, définis par la FAO comme étant “des systèmes et des paysages remarquables d’exploitation de terres, riches en une diversité biologique d’importance mondiale et évoluant grâce à l’adaptation d’une communauté à son environnement, à ses besoins et à ses aspirations au développement durable”.
La Tunisie, qui projette de créer 5 sites de systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM), d’ici 2030 et qui compte déjà trois inscrits dans la liste mondiale, soit les jardins suspendus de Djebba (Béja), les oasis historiques de Gafsa et les cultures Ramli, de Ghar El Melh, est actuellement le premier pays d’Afrique du nord et de la région MENA, en termes de nombre de SIPAM.
Promus par le pays dans le cadre de sa Stratégie et Plan d’action Nationaux sur la biodiversité (2018-2030), comme une priorité pour développer le savoir et valoriser le savoir-faire traditionnel (objectifs Aichi 18 et 19), est actuellement le premier pays d’Afrique du nord et de la région Mena, en termes de nombre de SIPAM.
Noureddine Nasr, expert international en développement rural et agricole a déclaré aux médias que la femme joue un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité et des systèmes agricoles ingénieux menacés de disparition.” Ce rôle consiste par exemple à préserver et faire durer les traditions culinaires à partir d’ingrédients et de semences artisanale non importée comme c’est le cas pour le mais de Gafsa qui sert à préparer des plats et des soupes comme la “sliga” et “hsa” pendant l’hiver. A ghar El Melh à Bizerte, les cultures de pommes de terre et de haricot blanc spécifique à cette localité sont aussi jalousement gardées et conservées par les agricultrices. Ce sont elles qui assurent la conservation et la valorisation des produits et des savoirs-faire dans des sites et des écosystèmes fragiles”, a-t-il expliqué.
La Tunisie projette, dans le cadre d’un programme dédié à la conservation impliquant les Collectivités locales pour la valorisation des connaissances et des Savoir-faire traditionnels, de créer 5 sites SIPAM d’ici 2030, notamment à Ghar El Melh, Kerkennah, Djebba, Kesra et l’agrosystème Jessour. Mais, selon Nasr, il existe en Tunisie beaucoup plus que 5 sites SIPAM, “Il faut revenir à un recensement déjà élaboré en 2010-2011, des systèmes en Tunisie qui pourraient être inscrits sur la liste du patrimoine mondial, dont les Ksours de Matmata, Chnenni, Douiret (Sud de la Tunisie), les systèmes pastoraux et nomades à Medenine, les systèmes de pêche à la Charfia à Kerkennah et autres”.
Le porte-parole de l’UTAP, Fethi Ben Khelifa, a appelé les autorités à intégrer le plan d’action sur l’agriculture familiale, élaboré en coordination avec 5 départements ministériels au plan de développement national 2026-2030.
L’agriculture et les produits agro-alimentaire qui contribuent à 14% à la main d’œuvre nationale, 9% à l’exportation et 6% à l’investissement, ne bénéficie que de 3% des financements, a-t-il regretté.
Les femmes agricultrices représentantes des Groupements de développement agricole GDA et des sites SIPAM, sont unanimes à souligner que leur objectif est de préserver le patrimoine national tout en créant des moyens de subsistance et de garantir une vie décente pour leurs famille et aussi une dynamique économique pour les communautés locales.
Ferida Djebbi, présidente du GDA Kounouz Djebba, qui présentait les pratiques de valorisation des figues de Djebba à travers le séchage et la transformation en confitures a évoqué certains problèmes auxquels font face les femmes agricultrices. En plus des difficultés parfois d’écoulement des produits sur les marchés, elle a évoqué le coût de renouvellement des certificats bio, estimé à 2 mille dinars.
“Pour des GDA confirmés et des sociétés bien établies, ça ne pourrait pas poser de problème, mais pour des groupements de femmes dans un milieu rural, payer 2 mille dinars pour renouveler un certificat valorisant les produits locaux et de terroir, c’est aberrant”, a indiqué Djebbi.
Pour des femmes reconnues comme “conservatrices confirmées de patrimoine agricole artisanal national” et qui contribuent activement à la garantie de la sécurité alimentaire, un surcroit d’efforts est nécessaire, d’après les intervenants et intervenantes, pour préserver leurs droits, leur rendre hommage et leur témoigner gratitude.
Une exposition de produits de terroir et de produits valorisés par les GDAs et les sites SIPAM a été organisée à cette occasion, à l’UTAP.