« Quand le bâtiment va tout va ». Une rengaine que nous répétons à longueur d’année dans une Tunisie où le bâtiment va mal, où des entreprises jadis florissantes ont fait faillite, et où des entrepreneurs sont emprisonnés parce qu’incapables de payer leurs dettes à cause, entre autres, des impayés de l’Etat.

L’OIT (Organisation internationale du travail) vient de réaliser, avec la Fédération du BTP relevant de l’UTICA, une étude sur le secteur du bâtiment dans notre pays.

L’un des éléments les plus édifiants de cette étude est que le tissu entrepreneurial du secteur BTP a évolué de 60% alors que l’employabilité a régressé de 33% durant la même période. « En 2019, la capacité salariale a chuté à 1,3 salarié/entreprise, contre 4,9 salariés/entreprise en 2003. En 2003, les entreprises privées dans le secteur de la construction embauchaient 11,3% des salariés privés, contre 5,0% uniquement en 2019 », mentionne l’étude.

Le secteur du BTP a beaucoup perdu de son attractivité en termes d’emplois formels tout au long de la dernière décennie. « 13,8% des entreprises BTP ont eu des offres d’embauche non satisfaisantes durant les 3 années passées ». Un taux qui avoisine les 28% dans les grandes entreprises.

Le secteur du bâtiment regroupe une panoplie d’activités dont la conception et la construction des bâtiments publics et privés, industriels et des infrastructures telles la voierie ou les canalisations. Et il est l’un des principaux employeurs de l’économie nationale en termes d’emplois directs et indirects. D’où son poids économique.

Dans son plaidoyer adressé au gouvernement pour assurer la sauvegarde et la relance de ce secteur vital, la Fédération du BTP a appelé à la constitution d’un groupe de travail avec les professionnels pour accélérer la réalisation des projets en cours et lancer ceux bloqués d’une valeur avoisinant les 15 milliards de dinars selon les bailleurs de fonds internationaux.

Au programme, le démarrage d’une première tranche dont l’investissement est de 2 milliards de dinars sur 3 mois, sachant que chaque million de dinars nécessite le recrutement direct de 25 ouvriers et de 25 autres dans d’autres activités dont la menuiserie, la forge, la mécanique, l’électricité et la construction.

La Fédération du BTP appelle aussi à la prolongation du décret 20/2020, qui a fixé les dispositions exceptionnelles pour les marchés publics après l’avènement de la pandémie de Covid-19, à fin 2022 avec une clarification des procédures d’abandon des pénalités de retard et des indemnités et dédommagements financiers, ainsi qu’à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Pour assurer la relance du secteur du BTP, il est impératif de prendre des mesures révolutionnaires de la part du gouvernement dont également l’application des clauses préférentielles au profit des opérateurs nationaux à chaque appel d’offres international. Cette pratique est appliquée dans tous les pays sauf en Tunisie et surtout durant cette dernière décennie qui a vu les préférences aller plutôt vers l’étranger.

La contribution du secteur du BTP au PIB, comme mentionné dans l’étude de l’OIT, est aujourd’hui de 7% (2020), contre 26% et 33% dans respectivement les années 2000 et 2005. C’est énorme ! La « révolution » n’a pas porté bonheur à ce secteur qui a connu des crises successives répercutées sur son apport au PIB, en particulier en 2011, 2015 et 2017. Ceci, bien que le montant des prêts accordés à ce secteur ait doublé depuis 2010 pour atteindre les 8,515 milliards de dinars. Une augmentation qui n’a pas amélioré son score pour lequel la demande est restée relativement stable par rapport à la totalité des crédits recensés. Ceci alors que le tissu privé du secteur BTP a progressé durant la dernière décennie. Le nombre d’entreprises privées en BTP a connu une croissance de 60% entre 2010 et 2019 pour atteindre 43 000 entreprises, soit 4% à 6% de la totalité du tissu entrepreneurial privé.

La majorité des entreprises BTP est concentrée sur le nord-est et le centre-est, avec 44,3% et 28% respectivement (soit 72% des acteurs). Plus de 4 000 entreprises sont installées à Tunis et à Sfax, contre moins de 5% dans les gouvernorats de Zaghouan, du Kef et de Tozeur.

Le sud du pays est le parent pauvre de ce secteur, même en matière de micro-entreprises BTP. La plupart des grandes entreprises BTP sont situées dans le nord du pays, soit 61,1%. Le centre du pays capte près de 1/3 des entreprises toutes tailles confondues. 13,8% des micro-entreprises BTP sont installées dans le sud.

Le secteur du BTP représente un grand potentiel pour l’emploi avec ses 510 000 travailleurs (chiffre INS), et une part importante du PIB. La responsabilité du gouvernement est déterminante pour la relance de cette activité qui a subi nombre de revers depuis 2011.

Les professionnels espèrent que le gouvernement engagera un programme de relance du secteur dont le soutien à la trésorerie des entreprises, la relance de l’investissement dans les projets publics en suspens à ce jour, et la prise en charge des surcoûts dus à la pandémie de Covid-19.

Il faut espérer que leurs vœux se réalisent lorsque l’on sait l’importance de la reprise de leur activité dans la croissance et la revitalisation de l’économie nationale.

Amel Belhadj Ali