Au regard de la grave crise multiforme qui prévaut, actuellement,  dans le pays, les tunisiens célèbrent, dans une ambiance anxiogène, le 10ème anniversaire du soulèvement –émeute, révolution, insurrection, coup d’Etat-, qui a eu lieu le 14 janvier  2011, avec comme corollaire certain une rupture non encadrée et inédite avec une ère d’autoritarisme et d’arbitraire qui a duré 65 ans.

Dix ans après, il est très difficile, pour nous journalistes, de se prononcer sur la positivité ou la négativité du bilan de ce tournant dans la vie du pays. Seuls les historiens, avec le recul qu’ils prennent par rapport aux événements, peuvent le faire.

Néanmoins, nous pouvons nous attarder sur des faits majeurs qui ont marqué la Tunisie au triple plan politique, économique et social.

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Au niveau politique, nous estimons que le changement opéré, dans le pays une décennie durant, a eu pour conséquence deux nouveautés majeures.

Emergence de la polyarchie

La première consiste en «l’émergence de la polyarchie». La sociologue et économiste, Riadh Zghal, explique ce mode de gouvernance comme étant la pratique politique «qui impose le partage du pouvoir et exige des compétences dont ne disposent ni les anciens gouvernants habitués à l’ordre du pouvoir centralisé, ni les nouveaux gouvernants sans expérience de gestion des affaires publiques et plutôt animés par le ressentiment, un désir inassouvi de vengeance et une volonté d’imposer qui un modèle de société et qui un modèle économique».

Entendre par là que depuis 2011, en Tunisie, il n’existe aucun groupe politique qui peut gouverner seul le pays. Selon un sondage autrichien, celui de la WVS (World Value Survey), organisation mondiale traitant de la sociologie des valeurs sociopolitiques dans les différents pays du monde, 56% des 1 205 des sondés tunisiens situent leurs pensées et ambitions politiques au centre, contre 12% comme étant de gauche et 32% comme étant de droite (religieux et autres intégristes).

D’ailleurs, les résultats des élections qui ont eu lieu depuis 2011 ont toujours confirmé cette configuration. Ils ont régulièrement donné 40% à 50% environ des voix pour la famille centriste, 20 à 30% des voix pour les conservateurs (religieux) et le reste pour les sensibilités de gauche et pour ce qu’on appelle, en Tunisie, la masse silencieuse.

Bilan catastrophique de l’islam politique

La deuxième nouveauté a été l’accès au pouvoir, durant cette décennie (2011-2021), de l’islam politique représenté par Ennahdha et ses dérivés.

Le bilan de cette force politique, combattue depuis 65 ans par les régimes autoritaires de Bourguiba et de Ben Ali, a été tout simplement catastrophique.

Avec les islamistes, le pays a connu des attentats politiques avec l’assassinat, en 2013, de deux leaders d’opposition de gauche, en l’occurrence Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Il a été également la cible de nombreux actes terroristes dont les attentats perpétrés en 2015  contre des touristes au Musée du Bardo à Tunis, et à la station balnéaire de port El Kantaoui à Sousse.

Mention spéciale pour la bataille de Ben Guerdane (sud-est de Tunisie) qui a opposé, le 7 mars 2016, les forces armées tunisiennes et des djihadistes islamistes qui voulaient créer “un émirat daechien“ dans ce village frontalier.

La nouvelle Constitution, un facteur de blocage

Au plan institutionnel, les islamistes ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration et l’adoption, en 2014, d’une nouvelle Constitution. Cette Constitution est devenue, de nos jours, un facteur de blocage de la vie politique en Tunisie. Il lui est particulièrement reproché de « diluer le pouvoir de l’exécutif entre le gouvernement, la présidence de la République et le Parlement, et de créer de ce fait un système de gouvernance instable et difficilement gérable.

Moralité de l’histoire, dix après le changement du 14 janvier 2011, Les Tunisiens se sont mieux connus. Ils ont appris par le choc qu’ils ne sont pas aussi homogènes qu’ils le pensaient.

Quant au pays, il navigue toujours à vue. Les politiques, pour la plupart des conservateurs et populistes, n’arrivent pas à s’entendre sur les fondements pérennes d’une “troisième République“, voire sur un Etat néo-national.

A suivre : Le socio-économique, dix ans après