« Sont pris sous forme de lois ordinaires les textes relatifs à la détermination de l’assiette de l’impôt, de ses taux et des procédures de son recouvrement ». Ceci est stipulé par l’article 65 de la Constitution tunisienne. Ce qui nous renvoie à l’accord signé entre le gouvernement et le syndicat des magistrats. Accord qui ne pourrait, normalement, être appliqué sans que cela soit stipulé dans une loi adoptée par l’ARP.

Mechichi et son équipe ont de nouveau plié face à des revendications pécuniaires exigeant d’un Etat, en grandes difficultés financières, d’abdiquer sous peine de voir les tribunaux fermés indéfiniment.

Les magistrats, de par la loi (article de loi 1967), n’ont pas le droit de faire grève. Et du temps où Ghazi Jeribi était ministre de la Justice, la menace brandie par les juges de faire grève s’est trouvée confrontée à la décision du ministre d’amputer les salaires des jours de grève. La reprise a été très rapide.

Mais trancher dans l’intérêt de l’Etat n’est pas à la portée de tout le monde. Et quand on a accepté de négocier avec les sit-inneurs d’El Kamour, on ne peut que céder aux exigences du corps magistral.

L’accord avec le syndicat des juges aurait d’ailleurs (d’après nos sources) été signé en l’absence du ministre de la Justice, représentant l’autorité de tutelle, en l’absence du ministère des Finances (édifié sur l’état des finances publiques) et même en l’absence d’un représentant de la fonction publique.

L’exécutif ne reconnaît plus l’exécutif, il traite plutôt avec le tissu associatif.

Si nous considérons les revendications salariales des magistrats comme légitimes car améliorer leurs émoluments et leurs conditions de travail préserve le prestige de l’autorité judiciaire et renforce son indépendance ne faisant pas des juges des cibles faciles aux acheteurs des bonnes consciences, l’outil préconisé pour y parvenir pourrait porter un coup dur aux finances de l’Etat.

Nous visons par cela le point relatif à l’exonération d’impôt sur l’indemnité de la magistrature. Une exonération abrogée en 1990.

Pour l’histoire, la réforme fiscale mise en place par Nouri Zorgati en 1990 avait institué l’IRPP (Impôts sur les revenus des personnes physiques) et mis fin aux différentes exonérations d’impôts des différentes indemnités observées dans nombre de secteurs. Le principe énoncé par Nouri Zorgati était que tout est imposable.

Pour pallier à la réduction des salaires induite par la nouvelle loi, une autre loi fut promulguée pour instituer une indemnité pour charges fiscales additionnelles dont le but est d’aboutir au montant net des rémunérations pour toutes les recrues avant 1990. Elle fut appliquée sur des dizaines de corps de métiers.

L’accord signé par le gouvernement des « technocrates » présidé par Mechichi pourrait avoir de lourdes conséquences sur le budget de l’Etat, et ce outre son illégalité et sa non-conformité à la Constitution.

Ironiquement ça nous rappelle la célèbre citation du scénariste français Michel Audiard : « Il y aurait des méthodes sûres pour ruiner une affaire qui marche : le jeu ou les technocrates… le jeu, le plus rapide ; les technocrates, le plus sûr ».

En Tunisie, il s’agirait de la mise à mort des finances publiques en détresse respiratoire.

D’autres corps pourraient avoir la même exigence

Première conséquence de l’accord, de possibles nouvelles revendications émises cette fois-ci par le corps de l’enseignement supérieur et les hautes fonctions publiques dont les salaires ont toujours été alignés à ceux des magistrats. Ce que l’Etat a gracieusement offert à près de 3 mille magistrats pourrait-il le généraliser à des centaines de milliers d’autres hauts fonctionnaires ?

Deuxième conséquence, cet accord, si appliqué, est-il rétroactif ? Et si c’est le cas, l’Etat pourrait-il verser des rappels sur plus de 20 ans : 1990/2021 à tous ceux qui en bénéficiaient auparavant ?

Et si, à son habitude, le gouvernement Mechichi venait à céder aux revendications possibles de nouveaux contestataires, où pourrait-il dénicher les recettes des impôts prévus destinés aux caisses de l’Etat ?

Reviendrait-il, pour y parer, au secteur privé saigné à blanc ? Recourra-t-il à de nouvelles impositions sur des opérateurs privés et leurs salariés pour pallier aux largesses de son gouvernement ? Un gouvernement qui aurait mieux fait d’élever carrément les salaires des magistrats, ce qui, pour le moins, aurait eu le mérite de préserver les ressources fiscales de l’Etat et d’éviter que l’Etat casse l’Etat*.

Rappelons que Mohamed Boussetta, ministre de la Justice, avait, dans un premier temps, accepté de verser d’importantes sommes à l’amicale des magistrats et destinées à la réparation des dommages causés par la pandémie du coronavirus. Précisons aussi que 3% des salaires bruts des magistrats sont versés dans les caisses de l’amicale, ce qui pourrait lui permettre de négocier nombre de services au profit des magistrats et en prime une couverture santé de premier ordre.

Aujourd’hui, si l’accord gouvernement/syndicat des magistrats venait à être appliqué, s’il est généralisé aux autres corps administratifs, ce serait aux autres, ceux qui ne sont ni des magistrats ni des agents de grands établissements publics défendus férocement pas des syndicats, de compenser les pertes à gagner par l’Etat.

Dans un pays qui se prétend démocratique et égalitaire, est-il juste que des centaines de milliers de travailleurs tunisiens, principalement dans le privé, aient à assumer le poids financier des charges sociales des fonctionnaires de la CNSS et de la CNRPS, ou encore les privilèges des agents publics, et les facilités accordées par des gouvernements faibles aux autres établissements publics ?

N’est-ce pas là l’expression de grandes injustices ?

*Entre Réforme fiscale Nouri Zorgati instituant l’IRPP et l’exonération de l’indemnité de magistrature offerte par le gouvernement Mechichi.

(1) : http://www.tunisie-constitution.org/fr/article-65-0

Amel Belhadj Ali