En Tunisie, les défenseurs de la globalisation, voire les partisans de l’économie de rente (importateurs, franchisés…) qui font la pluie et le beau temps au sein de la centrale patronale (UTICA) et de son appendice la CONECT, sont furieux, ces temps-ci. Et pour cause.

Abou SARRA 

Ils estiment que la non adoption, début mars 2020, par le Parlement de la convention de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) et le retrait, ces derniers jours, par le gouvernement des conventions tuniso-turque et tunsio-qatarie sur la promotion des investissements de ces deux pays en Tunisie ont porté « un coup fatal à l’attractivité du site Tunisie de production international ».

Pourtant, à regarder de près ces conventions bilatérales, tout observateur objectif et averti peut se rendre compte que celles-ci ne servent aucunement les intérêts de l’économie de la Tunisie. Bien au contraire, leur asymétrie en faveur des partenaires étrangers risque d’aggraver le déficit commercial de la Tunisie lequel avoisine, actuellement, les 20 milliards de dinars contre 8 milliards de dinars en 2010.

La Tunisie un peu lésée dans le libre-échange 

Conséquence : les Tunisiens doutent de l’efficience de ces conventions d’autant plus que les accords de libre-échange antérieurs conclus aux niveaux multilaléral (OMC), régional (Union européenne) et bilatéral (zone de libre-échange avec la Turquie) n’ont pas servi les intérêts de la Tunisie.

Ils ont été pour la plupart à l’origine non seulement de l’aggravation du déficit courant mais aussi de la déstructuration du tissu industriel du pays avec la fermeture de milliers de PME tunisiennes. La filière textile-habillement, par exemple, a perdu à elle seule 1 000 entreprises sur la période 2007-2019, selon des statistiques officielles.

Cette situation a été générée, en grande partie, par l’incompétence des négociateurs tunisiens. Ces derniers ont négocié ces accords sans prévoir, en amont, des stratégies industrielles et agricoles devant permettre aux opérateurs et prestataires de services tunisiens de tenir la concurrence et de s’imposer à l’international.

A titre indicatif, l’asymétrie de l’accord de libre échange conclu avec l’Union européenne pour les produits manufacturés s’est traduite par un manque à gagner de moins de 2% de croissance pour la Tunisie.

Idem pour la convention de libre-échange avec la Turquie. La Tunisie, qui ne produit pas des produits manufacturés compétitifs, s’est trouvée dans l’obligation de subir le diktat des opérateurs turcs et de voir son marché inondé, par l’effet du dumping, par des produits turcs.

Là aussi, le résultat est le même: le déficit commercial s’est aggravé avec ce pays tandis que des centaines d’entreprises locales ont été amenées à passer la clef sous la porte.

Ainsi, avec la ZLECA, en dépit de ses avantages potentiels ((réductions des tarifs douaniers, marché de 1,2 milliard de personnes représentant un PIB de 2 500 milliards de dollars), la Tunisie pourrait se trouver dans la même situation.

Des experts indépendants estiment qu’en l’absence de stratégies claires en matière d’internationalisation des entreprises tunisiennes et de conquête de marchés extérieurs, le marché tunisien pourrait être envahi, au nom du libre-échange, cette fois-ci intra-africain, par des produits provenant de pays plus compétitifs, comme l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Maroc…

L’art de vendre légalement le pays 

Cette incompétence des négociateurs tunisiens s’est manifestée de nouveau avec la conclusion des conventions asymétriques avec la Turquie et l’Etat de Qatar.

Sous-médiatisée et signée presqu’en catimini fin décembre 2017,  par le ministre nahdhaoui, Zied Ladhari, alors ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale en marge de la première visite en Tunisie du «sultan», Recep Tayyip Erdoğan, cette convention est, le moins qu’on puisse dire, provocatrice pout tout Tunisien qui se respecte.

Ledit accord stipule que l’investisseur turc bénéficie des mêmes avantages que l’investisseur tunisien notamment en matière d’accès aux crédits fournis par les banques tunisiennes, et d’appropriation de terres agricoles et de biens immeubles.

Mieux, l’investisseur turc est habilité à transférer, en devises, ses fonds financiers et les bénéfices générés vers tous les pays étrangers sans aucun contrôle de l’Etat tunisien.

La convention tuniso-qatarie, signée également par le même Zied Ladhari, comme par hasard, le 12 juin 2019 (période au cours de laquelle des rumeurs couraient sur la mort de l’ancien président Béji Caïd Essebsi).

Il s’agit d’un accord de siège, portant création d’une filiale tunisienne du Fonds qatari de développement (QFFD). C’est, « un type de traité qu’une institution internationale ou régionale conclut avec un Etat qui l’accueille sur son territoire, au motif de définir son statut juridique, de garantir son indépendance et celle de ses agents, ce qui conduit l’État hôte à concéder des privilèges, tels que des immunités pour les agents de l’organisation, ou un statut d’extraterritorialité pour ses locaux ».

Seulement, au regard des larges attributions dont jouit le « Qatar Fund for Development » en tant qu’entité gouvernementale, responsable, entre autres, de l’aide étrangère du Qatar et surtout chargée de coordonner également les institutions caritatives et de développement du Qatar, cette dernière attribution risque d’être exploitée avec excès d’autant plus que les Tunisiens gardent un mauvais souvenir du rôle pernicieux qu’avaient joué ces associations caritatives qataries dans le financement de la radicalisation des islamistes tunisiens et de leur embrigadement pour la guerre en Syrie, en Irak, en Libye, au Yemen et ailleurs.

Pis, cette convention tunsio-qatarie va plus loin que les accords antérieurs conclus avec d’autres partenaires. Elle fait mention du droit du Fonds qatari de conclure en Tunisie, sans aucun droit de regard de l’Etat tunisien et sans une quelconque condition ou entrave officielle, des accords de partenariat avec des parties étrangères, de transférer en toute liberté à l’étranger les fonds et les bénéfices générés par ses affaires, de recruter sans limite et sans aucun contrôle du gouvernement de travailleurs étrangers.

Un message pour tous ceux qui croient encore en l’Islam politique 

En somme, ces conventions scélérates ont pour dénominateurs communs de violer la souveraineté du pays dans quatre domaines de haute sécurité nationale : la politique de change du pays avec cette possibilité de transférer, légalement et sans limites, des devises à partir le la Tunisie avec les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme; la sécurité sociale du pays en habilitant les investisseurs turcs et qataris à recruter, sans limites et légalement, des travailleurs et techniciens étrangers, le droit d’accéder au financement bancaire local avec le risque d’assécher les liquidités; et enfin l’appropriation des terres agricoles qui a été jusqu’à ce jour une ligne rouge à ne pas dépasser.

Il y a lieu de s’interroger, également, sur le degré de réciprocité de ces conventions. La question de savoir si nos sous-traitants et si nos exportateurs ont le droit en vertu de cette convention de bénéficier d’autant avantages en Turquie et au Qatar. Si ce n’est pas le cas, ces conventions ont des relents de trahison.

Quand on sait que le ministre qui a signé ces accords n’est autre que l’ancien ministre nahdhaoui, Zied Laddhari. Quand on sait que la secte Ennahdha a cherché, par tous les moyens, à exploiter la crise du coronavirus pour faire passer ces lois avec ces alliés à l’ARP, les Tunisiens ont cette chance pour réviser, une fois pour toutes, leurs convictions et calculs.

Et pour ne rien oublier, il faut saluer la ferme réaction des Tunisiens et de la société civile aux manœuvres d’Ennhadha et dérivés qui, au nom de la légalité, ne ratent aucune occasion pour vendre le pays.

A bon entendeur.

Abou SARRA