Irrité et très en colère, Samir Majoul, président de la centrale patronale (Utica), a tiré à boulets rouges sur les politiques qui n’ont pas su, des décennies durant, doter le pays d’une infrastructure sanitaire adéquate devant protéger la santé des tunisiens.

«A défaut d’une prise en charge sanitaire acceptable, ces derniers sont exposés, aujourd’hui, presque impuissants aux conséquences désastreuses de la pire pandémie qu’ait connue l’humanité, en l’occurrence le corona virus (Covid-19)», a-t-il-dit.

Le patron des patrons, qui était l’invité de l’animatrice Meriem Belkadhi sur la chaîne privée EL Hiwar Ettounsi, a déploré également la tendance fâcheuse des politiques à naniser les privés, à les diaboliser et à les empêcher, par différents moyens, de développer leurs entreprises.

Ces mêmes entreprises privées lesquelles si jamais elles s‘étaient développées naturellement auraient pu être, selon lui, en ce moment de crise, d’un grand secours pour le gouvernement le plus grand soutien.

Il a ajouté qu’en dépit de ces défaillances assassines, les patrons tunisiens sont déterminés à contribuer à la protection des ressources humaines du pays et à leur assurer, en cette période de confinement sanitaire, tout ce dont elles auront besoin en médicaments, en produits alimentaires et en diverses prestations indispensables.

«Ce n’est pas donné à n’importe quel pays de décréter le confinement sanitaire total sans disposer d’une base de production industrielle à même de lui garantir les moyens de continuer de fonctionner. Et ce sont les privés qui l’ont créée», a-t-il noté.

La Tunisie doit beaucoup aux privés !

Le président de l’UTICA a souligné que le secteur privé est le seul secteur qui créé la richesse dans le pays, qui paye ses impôts et ne récupère pas le surplus d’impôt.

Car, d’après lui, les entreprises publiques sont éternellement déficitaires tandis que le secteur informel dont la part dans l’économie avoisine les 50% est en tain de tirer l’activité économique vers le bas, dans l’impunité la plus totale.

Mieux, il a estimé que c’est grâce à l’UTICA et l’UGTT que la Tunisie a connu la paix sociale durant des décennies. Il est allé jusqu’à défier l’administration en demandant à auditer ce qu’a rapporté chaque entreprise, depuis sa création, à l’Etat.

Il a fait une mention spéciale pour le secteur bancaire auquel il a reproché d’avoir dévié de sa mission principale en finançant le déficit budgétaire et en privant les opérateurs économiques des liquidités requises.

Samir Majoul a sévèrement critiqué le monopole qu’exerce l’Etat sur l’importation de plusieurs produits dont les médicaments (pharmacie centrale ), le thé, le riz, le sucre (Office du commerce), le blé (Office du blé).

Empressons nous de signaler ici que Samir Majoul se trompe quant il dit que l’Etat détient par exemple le monopole de l’importation du blé. Nous lui rappelons que des groupes agroalimentaires privés sont également autorisés à importer du blé.

L’UTICA partisane de l’économie de rente?

C’est peut être à ce niveau que le Président de l’UTICA a commis une grosse erreur, au cours de cet entretien conduit, d’ailleurs, avec trop de complaisance. Car, en réclamant avec insistance l’ouverture des secteurs d’importation aux privés, Samir Majoul a confirmé tout le mal qu’on dit de l’organisation patronale, en ce sens où cette structure s’est forgée la réputation d’être plus un cartel enclin à favoriser les activités de rente (franchise, importation) qu’une organisation soucieuse de privilégier les secteurs productifs et l’intérêt supérieur du pays.

Même les représentants des bailleurs de fonds de la Tunisie en sont conscients. Lors d’une interview accordée au journal «Le Monde», Patrice Bergamini ambassadeur de l’Union européenne (UE) a fait assumer la responsabilité de la déficience économique en Tunisie aux positions d’ententes et de monopoles qui prévalent en Tunisie et qui entravent, selon lui, la transition économique.

C’est dans cet esprit qu’il importe de comprendre pourquoi, la puissante Fédération tunisienne du textile-Habillement (FTTH) a pensé, à un certain moment, à quitter la centrale patronale. C’est justement à cause du rôle nocif que joue au sein de cette organisation, le lobby des importateurs du textile.

Est-il besoin de rappeler que selon Hosni Boufaden, président de la (FTTH), sur cinq articules écoulés dans le pays une seule est made in Tunisia ?

C’est dans ce sens qu’il serait utile de comprendre également le rôle négatif que jouent les exportateurs d’huile d’olive au sein de l’UTICA. L’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) n’a pas manqué de le signaler haut et fort à l’occasion de la récolte record de cette année et du bradage des prix provoqué, sur le marché intérieur, par ce lobby.

Pis, à aucun moment de cette interview, le président de l’UTICA n’a parlé de l’impératif de booster l’investissement dans les régions de l’intérieur ou dans les secteurs agroalimentaires et pharmaceutiques porteurs qui peuvent garantir aux tunisiens, sécurité alimentaire et meilleure médicamenteuse.

Rôle des privés dans la crise des entreprises publiques et l’informalité

A aucun moment, il n’a parlé du rôle qu’ont joué les privés tunisiens dans la recrudescence de l’informel. L’informalité étant perçue, ici, comme une réaction naturelle à l’incapacité des privés locaux de fournir des produits manufacturés adaptés au pouvoir d’achat du consommateur tunisien.

Et même les entreprises publiques, elles ne sont déficitaires et plombées par des sureffectifs que parce que les privés n’ont pas joué leur rôle comme il se doit pour payer décemment leurs ouvriers et leur assurer une couverture sociale minimale.

C’est le cas des sous-traitants privés des entreprises publiques, avant 2011. Exaspérés par la précarité de l’emploi, les ouvriers des entreprises sous-traitantes ont mis à profit l’anarchie créé par le soulèvement, du 14 janvier 2011, pour mettre la pression sur les gouvernements et intégrer les maisons mères. Le résultat on le connaît aujourd’hui.

A n’en point douter, par delà les déclarations intempestives du Président de l’UTICA, et quel que soit l’impact du Covid-19 sur la santé des tunisiens et l’économie, il faut s’attendre à de grands changements dans le pays après la maîtrise du virus corona. Il y a urgence.

A bon entendeur.