A la veille de son départ, Youssef Chahed, ancien chef du Gouvernement a décidé de prendre en charge la différence entre le taux d’intérêt des crédits d’investissement et le taux moyen monétaire dans la limite de 3 points.

L’objectif de cette bonification est de soutenir les PME/PMI en souffrance à cause de la hausse du TMM et de la difficulté à contracter des prêts bancaires.

Est-ce suffisant pour relancer l’investissement et inciter les entreprises ?

Réponses avec Mehdi Mejdoub, Expert Senior en microfinance, développement et RSE et membre du Conseil d’Administration de la BNA, rencontré à l’occasion du lancement des Journées économiques de la BNA consacrées dans leur première édition à la politique monétaire en période d’instabilité.

Vous pensez que la bonification du taux d’intérêt aura un impact sur la redynamisation des investissements ?

Non. La décision de bonification des taux d’intérêt pour les PME a été prise, il y a à peine deux semaines. On dit souvent dans les recherches et les études que nous entreprenons que l’investissement n’est pas élastique quand il s’agit du taux d’intérêt.  Dans la réalité ce n’est pas ce que nous voyons. Prenez à titre d’exemple, le secteur de l’immobilier.  L’une des principales causes de sa crise est l’augmentation faramineuse du taux d’intérêt.  La demande a sensiblement baissé parce que les intéressés n’arrivent plus à contracter des crédits. S’agissant des crédits existants, nous relevons que dans le secteur bancaire, il y a une augmentation extraordinaire du taux des créances classés touchant aux crédits habitat.  Les ménages n’arrivent plus à rembourser les crédits qu’ils ont remboursé en 2013 ou 2014. Les conséquences ne sont pas que financières, elles sont sociales et nombre de divorces sont dus à ce genre de problème. Par ailleurs, l’IACE a réalisé une étude dans laquelle, les chefs d’entreprises ne citent pas le taux d’intérêt en tant qu’obstacle à l’investissement. Et c’est étonnant, c’est à creuser davantage car si c’est le cas, il y a deux options : les entreprises répercutent l’augmentation du taux d’intérêt sur les prix ce qui génère davantage d’inflation ou que ces entreprises n’ont plus la capacité de rembourser leurs crédits et donc ils ne le font pas, ce qui aggrave le taux de créances non honorées auprès des banques.

Qu’en est-il de la capacité des banques à financer l’économie ?

En matière de financement de l’économie, nous pouvons citer deux types de banques. Les 3 banques publiques sont depuis au moins 4 ans, sous le coup des plans de restructuration. Elles sont un business plan et des mesures à respecter et en premier mettre de l’ordre dans leurs comptes. Ce qui ne les empêche pas de financer l’investissement.

La BNA continue à jouer son est la seule banque de la place qui finance l’Office des Céréales et il s’agit là de montants faramineux et qui sont annuels. Elle continue à le faire bien qu’elle soit en pleine phase d’assainissement parce que cela relève de l’intérêt national et elle a un rôle national à jouer.

Maintenant il faut se mettre d’accord sur le principe que les banques privées ou publiques sont là pour se faire de l’argent et si elles veulent réussir, il n’est pas dans leur intérêt de garder leur argent, au contraire, elles doivent le réinvestir et le fructifier. Le problème est qu’il y a un contexte qui n’est pas encourageant à l’investissement. Je cite la confiance, la sécurité, la stabilité sociopolitique ou encore la contrebande, ne pas satisfaire ces conditions freine l’investissement.

Et qu’en est-il des entreprises publiques qui cannibalisent le budget de l’Etat et pour lesquelles, on ne trouve pas de solutions. Ne pensez-vous pas qu’ouvrir les cas désespérés au capital privé pourrait alléger les charges sur l’Etat et en prime sur les banques publiques ?

A GAUCHE – M. MEHDI MAJDOUB – MEMBRE CONSEIL ADMINISTRATION BNA

En fait les entreprises publiques souffrent essentiellement des tiraillements politiques.  Et malheureusement les partis politiques ne défendant pas tous les mêmes intérêts. Du coup, comment voulez-vous investir, développer et libérer l’investissement dans un secteur comme celui de l’énergie, quand vous avez des partis politiques qui tirent vers le bas et qui parlent de la nationalisation du secteur et qui peuvent freiner ou bloquer les investissements ?  Vous connaissez certainement le fameux article 13 qui stipule que les nouveaux investissements doivent nécessairement par l’ARP. Qu’il s’agisse de nationaux ou d’investisseurs internationaux, la patience a des limites, du coup ceci explique en grande partie le problème de l’investissement dans des secteurs aussi compétitifs et coûteux.  S’agissant des entreprises publiques, il y a aussi les tiraillements entre les partenaires sociaux et le gouvernement. Voyez les recrutements effectués par toutes ces entreprises depuis 2011.  Tout cela fait que ces entreprises ne peuvent ni être viables ni solvables. Il faut aborder courageusement ces problématiques, mettre le doigt sur la plaie et sévir.

L’ETAP accorde aux chômeurs déguisés des salaires plus élevés que ceux accordés à ses propres employés, vous en avez parlé, ne pensez-vous pas que c’est ainsi courir vers sa perte ?

Comme toutes les entreprises publiques qui travaillent dans l’industrie extractive, ETAP, CPG et Groupe chimique sont condamnés à faire du social pour acheter la paix sociale. En payant des entreprises de jardinage, d’environnement ou des travaux d’intérêt général et tout le monde sait que la plupart de ces travailleurs ne font rien et qu’il s’agit d’emplois fictifs payés. Avant 2011, l’ETAP était une entreprise florissante, aujourd’hui, elle n’est plus rentable et cela se répercute et ceci a des conséquences fâcheuses sur l’entreprise.

Jusqu’à quand pensez-vous que ces entreprises tiendront avant l’écroulement final ?

Je ne le souhaite pas. Et c’est pour cela qu’il faut crier haut et fort : 10 ans de transition, ça suffit, les temps sont aux solutions véritables ! Politiques et partenaires sociaux doivent comprendre que la politique politicienne n’a rien donné, acheter la paix sociale à n’importe quel prix n’a fait qu’empirer la situation du pays et aggraver la fièvre revendicatrice. Ce n’est pas comme cela que nous sauverons notre pays. Il faut que tous assument leurs responsabilités et que les maîtres mots deviennent : investissement et création d’emploi. Les entreprises évoluant dans l’industrie extractive pourraient envisager dans leurs stratégies RSE des lignes de financements pour encourager les jeunes à créer leurs propres entreprises.  Le secteur énergétique n’est pas un secteur à forte employabilité, il ne peut pas tout absorber.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali