Pour le romancier tunisien Hédi Thabet, “au moment où ailleurs des milliers d’œuvres sont éditées chaque année, le monde arabe en général et la Tunisie en particulier demeurent en dehors d’un marché qui a de l’ampleur en Occident”.

Cette question a été soulevée dans le cadre du débat organisé, jeudi 2 janvier 2020, à la Maison du roman, à la Cité de la Culture, à l’issue d’une conférence autour de l’œuvre de l’écrivain britannique de science-fiction, Arthur Charles Clarke (1917-2008) en présence de Kamel Riahi, directeur de la Maison du Roman et écrivain. Le duo de romanciers évoque une réalité déplorable d’un roman de science fiction assez marginalisé en région arabe.

La science fiction dans l’œuvre de Hédi Thabet

L’écrivain, initialement d’expression française, a choisi de s’exprimer en langue arabe dans le genre littéraire de science fiction, ce qui pourrait constituer un défi quand on sait le faible engouement de l’électorat arabe pour ce genre littéraire en Tunisie comme dans le reste de la région arabe.

Ayant à son actif cinq romans du genre science fiction, il est aussi auteur de plusieurs articles sur le thème de la littérature de la science fiction. Parmi ses romans de science fiction, “Ghâr al-jinn” (La grotte du djinn, 2001) et “Jabal Alliyyîn” (La montagne de Alliyin, 2004), “Law ada Hannibal” (Si hannibal revenait, 2005) et “Le temple de Tanit” (2013).

Le monde de science fiction de Thabet part de son environnement tunisien, à travers des romans dans lesquels il développe ses idées fictives en partance de la région de Matmata au sud où l’on a découvert les traces des dinosaures et d’une vie humaine à cette époque là de l’histoire lointaine. Il estime que chaque auteur part d’un projet quelconque qui le motive dans la conception de son roman.

Dans ses écrits, il part de l’hypothèse que durant plus de quatre milliards d’années depuis son apparition sur notre planète, l’Homme actuel n’aurait pas été le seul ayant existé sur terre. Une conviction qui, en parallèle, le mène sur la piste de la disparition de certaines espèces animales dont celles des dinosaures alors que d’autres comme les souris, ont pu échapper en trouvant refuge sous la terre.

Dans un monde au bout du gouffre et le risque d’une guerre nucléaire, il serait plausible, selon le monde fictif de Thabet, d’adopter la théorie d’une existence humaine qui avait disparu avec les dinosaures. Selon l’appellation scientifique, cette période qui remonte à 250 millions d’années est l’ère Mésozoïque.

Thabet est convaincu de l’évidence de la chute de la civilisation moderne basée sur un capitalisme ravageur (guerres, famines) qui allaient accélérer sa disparition et la disparition de l’Homme sur terre.

Il suppose qu’une guerre nucléaire avait détruit la vie sur terre et contraint quelques scientifiques à trouver refuge dans une autre planète du système solaire, à Ganymède, à partir duquel l’homme a pu se reconstruire et exister d’une façon assez développée tout en gardant son aspect humain. Pour cela, il adopte une hypothèse souvent reprise par les adeptes de la science fiction sur une éventuelle possibilité de la vie sur cet espace autour de Jupiter.

A l’instar de ce qui existe en occident, Thabet estime vital de créer des associations spécialisées et organiser des Congrès annuels qui rassemblent les adeptes de ce genre littéraire pour un échange et davantage de vulgarisation de roman de science fiction.

Mais il ne croit pas en une issue en vue pour une industrie du livre qui permette la commercialisation et la vulgarisation de la science fiction chez nous. Il décrit une situation qui est fortement liée à la véritable implication des écrivains.

Le constat du romancier Kamel Riahi

Kamel Riahi regrette lui l’absence de spécialistes dans ce genre, ni parmi les universitaires ni même les écrivains. La pensée scientifique est quasi absente chez l’auteur oriental qui est plutôt porté par ce côté sentimental qui nourrit sa pensée et influence sa façon de voir le monde, admet-il.

De là, Hédi Thabet constitue une exception en Tunisie d’un auteur passionné par la science fiction qui s’est lancé seul dans une aventure romanesque peu courante.

Riahi revient sur l’expérience d’un auteur qui “malgré une série de romans dans la science fiction, sa seule distinction était pour un roman qui ne figure pas au premier plan de ses intérêts littéraires qu’est la science fiction”. C’est en quelque sorte “le parcours du combattant pour cet auteur pour faire connaitre un genre littéraire qui n’a pas eu assez sa chance dans les rayons des libraires en Tunisie et dans le monde arabe”.

Riahi fait le constat autour d’un genre qui n’a pas eu sa part dans le palmarès littéraire arabe. Même si les écrivains égyptiens ont dérogé à la règle dans ce genre littéraire par “des séries ayant largement influencé les générations arabes, leurs efforts n’ont pu aboutir à la création d’un véritable noyau de la littérature de science fiction”.

Il se demande, si l’écrivain tunisien n’est pas encore familier de ce genre littéraire et sommes nous en mesure d’écrire le roman de science fiction moderne? N’est-il pas resté de travers dans le genre de science fiction classique qui se nourrissait du rêve d’atteindre la lune et les autres planètes autour de notre cosmos?

Riahi préconise d’adopter l’écriture en duo ce qui ne manquerait pas de produire un récit plus étoffé, enrichi de l’imaginaire et des connaissances de chacun des auteurs mais aussi une façon de cibler un lectorat assez large des deux côtés.