Faire de la Méditerranée une zone de pêche durable où les pêcheurs seront les gardiens et co-gestionnaires de cet espace vital, c’est le principal objectif que le programme méditerranéen du Fonds mondial pour la nature (WWF) œuvre à réaliser, à travers le projet “FishMPAB Blue2”.

Mené depuis 2017 dans 11 sites européens de 6 pays de la rive nord de la Méditerranée (Espagne, France, Italie, Grèce, Croatie et Slovénie), en collaboration avec d’autres partenaires, dont l’UE, le projet devrait concerner prochainement d’autres pays, la Tunisie entre autres, selon le WWF.

C’est au nord-ouest de la Sicile que se trouve la plus grande Aire Marine protégée (AMP) en Méditerranée, en l’occurrence Egadi, un petit archipel des côtes siciliennes (Italie), composé de trois îles principales : Favignana, Levanzo et Marettimo.

Cette aire, créée en 1991, “comprend les champs marins les plus étendus et les mieux préservés” de la région. Elle abrite des espèces animales protégées dont le phoque moine, les grands dauphins, cachalots, le mérou brun et le poisson parapluie.

Rencontré au large de Favignana, Rosario Rittunno tirait ses filets de pêche jetés la veille. Il est à bord d’une petite embarcation avec un autre marin pêcheur, ce qui lui permet d’utiliser un filet de 2500 m, comme l’exige les normes de pêche dans la zone. S’il était tout seul à bord, la longueur du filet devrait se limiter à 2000 m, d’après les explications des collaborateurs de MPA.

Deux poulpes, quelques crabes et des poissons de variétés différentes dont des rascasses constituent la prise du pêcheur ce jour là.

“Une prise moyenne pour la saison”, dit Rosario, 42 ans, qui retire les poissons du filet en les montrant aux touristes qui le regardaient à partir d’une autre embarcation.

En effet, la démonstration de pêche s’inscrit dans le cadre de la pêche touristique (pesco-tourismo), activité encouragée par le projet afin d’offrir une source de revenu supplémentaire aux pêcheurs.

WWF est conscient que la petite pêche ou la pêche artisanale n’est pas économiquement viable, selon ses responsables. Il s’agit pour Rosario “de compenser les jours chômés en hiver”, en raison des conditions climatiques.

Rosario, qui exerce ce métier depuis 18 ans, après avoir été matelot sur pétroliers, affirme être inquiet de la rareté des prises ces dernières années.

Angelo, qui vient d’une famille de pécheurs de l’Ile Favignana, critique l’absence d’aide de l’UE. Alors que Celle-ci n’est attribuée que pour des projets bien précis tels la modernisation des barques ou l’acquisition de nouveaux équipements, explique Ilaria Rinaudo technicienne scientifique à la zone MPA.

Son octroi demande de longues formalités et exige le respect de certains critères, précise cette jeune biologiste de formation, qui accompagnait des journalistes méditerranéens dans une tournée dans la zone.

Les pêcheurs, cogestionnaires du milieu marin

En dépit de ces critiques, les deux pêcheurs ont signé avec une douzaine de leurs collègues un code de conduite en 14 points, qui porte en particulier sur le respect de la régulation de l’Aire Marine Protégée sélectionnant les outils et techniques de pêches non offensives au milieu marin.

Le code prévoit, entre autres, une contribution des pêcheurs aux travaux d’observation et de collecte d’information sur tout ce qui se passe dans la zone concernée et l’application des instructions en cas de capture accidentelle d’espèces protégées.

Des activités de surveillance et d’observation de l’environnement associant les pêcheurs, de l’archipel Egadi (ouest de Sicile) sont prévues dans le cadre du projet FishMPABlue, outre les études et les tests menés sur les captures en zone protégée.

Les pêcheurs, considérés comme source de savoir et de connaissance sur la mer sont associés également, dans les différentes activités de sensibilisation des touristes.

A la lumière des résultats de ces travaux, toutes les parties en l’occurrence les managers des MPA, les scientifiques et les pêcheurs décident de la conduite à adopter pour maintenir la durabilité des pêcheries.

Il s’agit de favoriser, chez les pêcheurs, le sentiment d’appropriation et d’auto-investissement, une méthode de cogestion qui intervient après des décennies pendant lesquelles les responsables des zones marines protégées ont tenté d’imposer une gestion durable, sans parvenir à des résultats tangibles en raison de la réticence de la population locale.

Le Monde connaît, actuellement, une crise de pêche particulièrement perceptible en Méditerranée. Cette mer a perdu durant les 50 dernières années, jusqu’à 41% de ses mammifères marins et 34 % de la population totale de poissons, d’après les données de WWF.

Des enseignements et des expériences importantes en matière de cogestion des aires marines protégées et de la pêche artisanale seront tirés des 11 sites pilotes du projet et serviront d’autres pays dans la région.

Pour Anne Rémy, directrice de la communication au programme méditerranéen du Fonds : “la Tunisie, qui possède une flotte de petites embarcations de pêche importante, doit avoir sa place dans ce projet”. Le réseau tunisien d’aires marines et côtières protégées crée en 2015, doit englober les archipels de la Galite et de Zembra, Tabarka, et Cap Negro et probablement les îles Kuriat, d’après l’Agence de protection d’aménagement du littoral (APAL).